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Grégoire : C’est ma petite faiblesse… Je ne vais pas dire que j’ai fait du recrutement ethnique, mais étant breton moi-même — je sais que c’est un peu cliché ce que je vais dire —, je trouve chez les Bretons les qualités que je recherche : humilité, courage, dureté, opiniâtreté. Entre deux candidats de même profil, s’il y en a un qui est breton, j’ai un penchant pour lui…

JCN : Et le Breton ne vous a jamais déçu ?

Grégoire (sourire) : Jamais !

JCN : Par-delà ce trait d’humour, les services opérationnels de la DGSE disposent-ils des recrues qui seraient le mieux à même d’être infiltrées dans les régions concernées par la lutte contre le terrorisme ?

Victor : Le SA recrute des militaires, il ne s’occupe pas de savoir s’ils viennent de telle région, des banlieues, ou du XVIe arrondissement ! Les gens peuvent venir de n’importe quel milieu. Ce qu’il faut, c’est qu’ils aient le profil. Après, le service réalise des missions à l’étranger. Le fait de venir d’une banlieue ou pas, ce n’est ni un avantage ni un inconvénient ; c’est une particularité. Pour certains cas, ça peut être intéressant, et pour d’autres, pénalisant.

JCN : Quid du Service clandestin ?

Hervé : Très franchement, je n’en ai aucune idée.

JCN : Y a-t-il ou pas des clandestins issus des banlieues ?

Hervé : Je suis parti il y a longtemps…

Fabrice : Il faudrait aller les chercher dans les universités, les grandes écoles, les endroits où ils sont bien formés. Il n’y a sans doute pas assez de candidatures. Parce que ce n’est peut-être pas une tradition de ces communautés issues de l’immigration. Parce qu’[aussi] il y a encore une forte version conservatrice dans ces services qui ont peur de l’infiltration ou qui ont peur de perdre le contrôle de leurs agents. Or, il faut, à mon avis, faire le pari de l’intelligence, et de la loyauté envers la France. Il y a dans les deuxième, troisième générations de ces communautés-là des gens qui ont fait le pari de la France, et qui ont envie de rendre, d’avoir cette vie de sacrifice d’une certaine manière pour la patrie.

VIII

La fabrique des passe-murailles

Bienvenue au pays des légendes ! C’est un peu de la sorte que les chefs de services clandestins pourraient accueillir leurs nouvelles recrues. Si l’on admettait que les clandestins étaient des « guerriers de l’ombre », la légende et la couverture seraient leur armure. Ce qui les protège dans les pays qu’ils fréquentent, mais aussi en France, jusque dans leurs familles… La « légende » a été popularisée par Le Bureau des légendes, série diffusée par Canal + depuis trois saisons — indubitablement, et de très loin, la meilleure réalisée en France sur le monde du renseignement. Les spécialistes y relèveront nombre d’invraisemblances, mais le cinéma ne doit pas être une copie de la réalité. Non pas que la réalité soit moins intéressante que la fiction — c’est même très souvent le contraire —, mais un film n’est pas un documentaire. En l’occurrence, le « bureau des légendes » n’existe pas à la DGSE[32]. Il n’en reste pas moins que la « légende », elle, est bien le quotidien des clandestins.

JCN : Comment définiriez-vous le Service clandestin ?

Fabrice : Le Service clandestin a une implantation particulière, spécifique et bien sûr totalement déconnectée de l’adresse du service que tout le monde connaît.

Grégoire : Ça ressemble à des bureaux, il y a peut-être une petite salle de réunion, mais aucune infrastructure dédiée à la formation, pour une raison simple : la formation se fait essentiellement sur le terrain pour habituer le jeune OT à évoluer dans un milieu normal, et non pas dans un milieu confiné où il se sentirait en sécurité. Ça participe à sa mise en condition psychologique pour son futur travail de clandestin. Il y a des appartements « conspiratifs » qui sont, soit des appartements de structure, c’est-à-dire qui servent d’adresse officielle à des agents clandestins, soit des appartements spécifiquement [réservés] aux contacts, donc qui sont inoccupés, mais qu’on réserve pour des rendez-vous clandestins. Il est évident que, pendant toute cette phase de formation, [l’OT] doit revenir régulièrement au bureau, parce que ça nécessite un suivi de tous les instants. Mais on privilégie les rendez-vous à l’extérieur de l’institution.

Hervé : Il y a une bascule dans la clandestinité interne. Vous allez être beaucoup moins présent au siège de la DGSE — voire plus du tout.

Sandra : Le groupe de clandestins est formé en même temps. Mais on n’est pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre ensemble.

Hervé : On ne se connaît pas tous. Ça peut arriver que l’on se fréquente dans le cadre du service au gré de nos missions et de nos retours en France. On peut se croiser, on peut échanger, mais c’est très cloisonné. On ne connaît pas les identités des autres clandestins par exemple.

Sandra : Pour le coup, on nous donne comme règle, proche de l’interdit, de ne pas échanger avec les autres clandestins sur les détails de la couverture, les objectifs des missions, etc. Le cloisonnement est très fort entre l’unité clandestine et le reste de la boîte, mais même au sein de l’unité clandestine, entre agents clandestins, il y a une forme de cloisonnement. Vis-à-vis du reste de la DGSE, on peut presque parler d’une mise en quarantaine. On est vraiment, au sens propre, retirés du service.

Fabrice : La théorie voudrait que les clandestins ne soient pas connus. La réalité, c’est qu’il y a des gens qui ont fait plusieurs années dans la filière normale [au sein de la DGSE], et qui vont basculer après au Service clandestin…

Georges : L’appartenance au Service clandestin n’est pas un secret pour les gens qui sont à la DGSE. On peut dire qu’on est membre du Service clandestin puisque les secteurs géographiques ou thématiques [où] la Direction du renseignement nous emploie comme capteurs de renseignement sont connus. En revanche, le secret des missions est préservé de la même manière qu’au Service action où, dans un même bureau, des gens peuvent travailler en cloisonnant parfaitement les dossiers et les missions qu’ils préparent ou dont ils reviennent.

Hervé : Ce qu’il y a d’important, c’est de protéger ce qu’il y a à protéger, c’est-à-dire votre identité fictive, la mission qu’on vous a confiée et vos théâtres d’opérations. À partir de là, vous avez prémuni 90 % de la clandestinité en interne. C’est presque plus simple de la prémunir en externe car, en interne, les gens vous connaissent avant, ils savent qui vous êtes, ils savent que vous avez rejoint le Service clandestin et donc, ils vont essayer parfois de suivre votre nouvelle carrière…

Patrick : On ne devient pas clandestin du jour au lendemain, il faut s’y habituer.

Sandra : Je n’avais pas une image très précise de ce que pouvait être une activité clandestine professionnelle. J’imaginais que ça n’allait pas être très facile, et en fait, je me suis rendu compte que c’était un vrai métier.

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32

En fait, il recouvre un certain nombre de bureaux, aux dénominations beaucoup plus prosaïques, dont la révélation n’apporterait rien ici. Il n’est pas non plus le « Service clandestin » qui dépend de la Direction des opérations (DO) quand le « Bureau des légendes » relèverait de la Direction du renseignement (DR).