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Patrick : Il faut trouver une couverture qui corresponde à sa personnalité, on ne devient pas plombier du jour au lendemain. Il y a tout un travail de fond qui est mené par l’agent avant de pouvoir partir en mission, pour être crédible par rapport à la couverture qu’il va utiliser. Ensuite, il faut que cette couverture permette d’accomplir la mission parce qu’on ne va pas passer son temps à réparer des tuyaux de salle de bains… Il y a tout un travail d’étude qui est mené pour avoir la couverture la plus adaptée et faire le vrai métier, le vrai travail qui est demandé à l’agent sur le terrain.

Georges : La difficulté pour les gens qui travaillent à la DGSE dans le XXe arrondissement, c’est de pouvoir mettre une barrière infranchissable et totalement hermétique entre ce quartier de Paris et la structure de couverture qui va nous permettre de justifier d’une activité clandestine. Donc […] on s’efforce de mettre de l’espace, du champ entre la vie réelle et la vie fictive, de manière à ce qu’on évite dans la mesure du possible, même si Paris peut parfois apparaître comme un petit village, de croiser sa voisine de palier au moment où l’hôtesse d’accueil vous annonce avec votre nom d’emprunt que l’avion est prêt à l’embarquement.

François : L’idée est de monter une structure légale, et vérifiable à l’étranger, qui emploie des gens qui n’ont rien à voir avec le métier traditionnel de la DGSE, et qui vont inspirer cette réaction au commun des mortels : « Bon dieu, mais bien sûr ! Cette société existe, son métier est bien réel. » Ces activités-là vont venir masquer la véritable raison de l’existence de cette structure, c’est-à-dire les activités clandestines de renseignement.

Grégoire : On peut très bien utiliser des organisations déjà existantes, qui seront utilisées inconsciemment. C’est une des raisons pour lesquelles je cherche dans mon recrutement des gens qui ont pu avoir une expérience [particulière].

Georges : Il y a un certain nombre de cas où les clandestins sont infiltrés, immergés dans une structure, une entreprise, et une personne par exemple va pouvoir leur faciliter l’accès parce qu’ils peuvent justifier d’une formation, de diplômes qui leur permettent d’être recrutés. Le but c’est que, là aussi, ils puissent justifier d’une jolie carte de visite au sein d’un grand groupe, que leur phase de recrutement ait été faite par un cabinet de chasseurs de têtes en bonne et due forme, et qu’au bout de six mois ou deux ans, ils puissent jouir d’une liberté qui leur permette d’atteindre les objectifs fixés. Je ne vais pas révéler de secrets sur l’implication d’un certain nombre de personnes, de personnalités du monde public, qui, spontanément, proposent de rendre service. Il y a encore quelque temps, être agent secret était considéré comme un métier de barbouze, donc assez peu vendeur. Aujourd’hui, heureusement, les choses ont évolué. Tous les jours, il y a un certain nombre de chefs d’entreprise, de patrons de PME qui font, parfois spontanément, la démarche de dire : « Moi, je travaille dans un certain pays, si ça peut intéresser, je me mets à la disposition de la Défense. » Et c’est ce qu’on va utiliser justement pour intégrer des gens, ou pour utiliser des sociétés à des vocations opérationnelles, en essayant de construire les choses dans la durée de manière à éviter, si les choses tournaient mal, d’avoir à montrer en pleine lumière la collaboration d’un chef d’entreprise qui prend des risques énormes.

Grégoire : On peut, le cas échéant, si on n’a pas d’autres solutions, créer une structure, une société ou une association, qui seront des créations réelles, ayant une vie légale, avec un enregistrement auprès des autorités compétentes. Mais il est bien évident qu’on entre là dans un montage plus compliqué, plus coûteux, et qu’on ne le fait que si on n’a pas d’autres solutions.

Daniel : Pour créer une société, il va falloir la déclarer, qu’elle soit visible, qu’elle soit enregistrée au registre de commerce, qu’elle ait un numéro de Siret.

Georges : Je préciserais qu’on ne bénéficie d’aucun passe-droit. On s’appuie sur des pièces qui ont été fabriquées, mais on se présente tout seul à la préfecture, et il faut être le plus convaincant possible.

François : Les activités de cette société sont 100 % réelles, vérifiables et quantifiables, avec une véritable comptabilité, avec des véritables personnels ou employés recrutés de manière inconsciente, que ce soient des locaux, que ce soient d’autres collègues français. Personne, à part une ou deux personnes à l’intérieur de la société, ne sait qu’il s’agit d’une société de couverture.

JCN : Créer une société et lui trouver un début d’activité prend du temps. N’est-ce pas rédhibitoire dans la recherche de renseignements ?

Grégoire : Ce qui fait la valeur d’un clandestin, c’est sa durée, à l’inverse de ce que pratiquait à l’époque le SA qui était plus sur des missions ponctuelles. Nous, on va chercher à immerger un OT dans une zone qui nous intéresse avec l’idée qu’il va pouvoir travailler plusieurs années dans cette zone. La notion de durée est capitale. Pour pouvoir durer, il faut être crédible.

Patrick : Ce n’est pas en une semaine qu’on devient crédible sous une couverture. Tout dépend des qualités naturelles de la personne, mais il faut quelques mois. [Ensuite], ça fait partie de l’entraînement des agents du Service clandestin de s’entretenir tous les jours dans leur couverture, pour pouvoir partir au coup de téléphone sur un pays dans lequel on souhaite développer une mission. Ça demande beaucoup d’entraînement et ce n’est pas à prendre à la légère.

François : Il faut d’abord savoir où on va travailler. On commence par une étude régionale : où on va ? Quels sont les us et coutumes ? On ne travaille pas au fin fond de l’Afghanistan comme au Zimbabwe. Il faut acquérir, je dirais, la philosophie humaine, le comportement, la culture […]. Monter une agence de pub au Zimbabwe s’il n’y en a pas, c’est se mettre un nez rouge au milieu du visage. Donc, il faut trouver une activité qui se fonde elle-même dans la masse.

Grégoire : L’intérêt, c’est qu’idéalement l’OT se familiarise avec une zone et devienne une espèce d’expert reconnu de cette zone, quelle que soit son activité professionnelle. On va essayer de faire en sorte que cet OT soit fidélisé à sa zone, qu’il y soit connu de manière à ce qu’il puisse y retourner régulièrement, quelle que soit la situation. Et, en particulier, si la zone est soumise à de fortes turbulences, que l’arrivée de cet OT sous couverture n’intrigue personne parce que c’est quelqu’un qui vient depuis plusieurs années, une partie de son travail est ici et ça ne choque personne.