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Georges : C’est très important de respecter de sacro-saintes consignes de sécurité de manière à ce qu’aucun individu non autorisé ne puisse dérouler la pelote de laine et faire le lien entre Dupuis et Dupont. Donc il est extrêmement important que la moindre action, le moindre déplacement se fassent dans un environnement parfaitement contrôlé et c’est pour ça que le protocole de sécurité [doit être] rigoureusement respecté, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il fasse nuit.

Sandra : Dans les mesures de sécurité, il y a l’outil classique de l’IS, l’itinéraire de sécurité, qui permet de faire ce sas entre l’activité de couverture, l’activité d’agent clandestin et les activités en identité réelle de sa vie privée. Il s’agit d’avoir un trajet de plus ou moins longue durée — ça peut être quelques minutes à plusieurs heures, voire presque une journée entière, avec plein de prétextes qui justifient complètement votre itinéraire, qui le rendent plausible aux yeux des services qui pourraient s’intéresser à vous.

Patrick : Vous revenez à l’aéroport, vous donnez vos papiers pour pouvoir passer la frontière, et à peine vous avez passé la frontière, une personne vous récupère. Cette personne va vous prendre dans sa voiture, mais après, il peut y avoir un dispositif invisible s’assurant que la personne qui vous a récupéré n’est pas suivie. Vous avez un itinéraire de sécurité qui va vous faire passer dans des endroits où vous savez que vous pouvez faire une rupture de filature, [où] vous pouvez vous assurer que la personne qui vous suit ne pourra pas vous suivre éternellement. Et après avoir rompu la filature, vous avez également un autre itinéraire qui vous permet de vous assurer de n’être plus suivi. Il peut arriver que pour faire dix kilomètres, cela prenne plusieurs heures avant d’arriver à l’endroit indiqué.

JCN : Cela suppose-t-il une part de paranoïa chez chaque clandestin ?

Patrick : C’est exactement ça que je veux éviter : faire croire qu’on est dans la tension permanente. Il peut y avoir des tensions, [mais] normalement ça doit bien se passer. Si le clandestin a bien fait sa mission sur le terrain, qu’il n’a pas attiré l’attention, il n’y a pas de raisons qu’il soit placé sous surveillance quand il rentre de mission.

François : Je ne pense pas qu’on puisse parler de paranoïa. Par contre, il faut toujours être sur ses gardes. Le propre d’un service de renseignement, c’est de travailler à l’étranger, le propre des services de renseignement étrangers, c’est de travailler en France. Ce qui veut dire que, nous, quand on travaille à l’étranger, il y a nos camarades — je ne sais pas si on peut les appeler comme ça — qui, eux, travaillent en France, chez nous. Chacun se prémunit les uns contre les autres. Lorsque l’on opère en France, dans le sanctuaire national, on ne peut pas se dire : « Je suis chez moi, je ne risque rien », car nos homologues adverses ont les mêmes méthodes — elles sont quasiment universelles, ces procédures de filature, contre-filature.

JCN : Avez-vous connu un cas de filature en France par un service adverse ?

François : Je me souviens d’un exemple sur lequel je ne rentrerai pas dans les détails. C’était un jour de « repas cohésion » au sein du Service clandestin — comme quoi, on a bien une vie normale lorsqu’on est à Paris ! Au cours de ce déjeuner, une des personnes revenait de sa zone d’engagement et, à travers des procédures d’alerte qui ont été émises, un certain nombre d’entre nous sont sortis du repas pour aller lui donner un coup de main, et l’exfiltrer de la nasse, dans laquelle il était en train de tomber, dressée par des services adverses.

JCN : Conséquences pour lui ?

François : Sa couverture était grillée. Et donc l’intéressé a été invité à la fois à changer de couverture et de service…

JCN : De la part du service étranger en question, cela pouvait-il être aussi une manière d’envoyer un signal à la DGSE ?

François : C’est ce qu’on appelle les signaux d’alerte que les services font passer, ou pas, en fonction de la bienveillance qu’ils ont vis-à-vis de services adverses…

JCN : Comment fait le clandestin s’il doit se rendre dans les bureaux officiels de la DGSE ?

Daniel : L’idée, c’est de ne pas aller dans les bureaux d’analyse, notamment [à] la Direction du renseignement, puisqu’ils n’ont pas forcément à connaître de visu l’agent sur le terrain. Ensuite, on est forcément obligés de garder le contact avec la maison mère pour travailler, pour échanger, on ne peut pas être totalement coupés du monde donc on monte un rendez-vous dans Paris, de façon sécurisée, en s’assurant de ne pas être suivi. Et puis, on peut aussi être amenés pour des raisons administratives à retourner dans les bureaux de la DGSE. Là, on passera au travers de sas de sécurité pour être sûr que personne ne nous voit entrer ou sortir, que l’identité fictive ne passe pas l’entrée, qu’il n’y a aucun lien entre l’agent sous IF, ou en identité démarquée, et la DGSE.

Grégoire : À part le DO, moi-même et le personnel de mon service, personne ne connaissait l’identité des OT.

Daniel : [En tout,] entre celui qui va vérifier que l’IF n’est pas celle d’un malfrat et ne présente pas un risque si on l’utilise, mais qui ne saura pas à qui on va l’adosser, entre les gens du soutien du service qui, eux, connaissent l’identité fictive et la couverture parce que ce sont eux qui contrôlent, aident le clandestin au quotidien, et qui potentiellement peuvent faire le lien entre l’identité fictive et l’identité réelle, je dirais qu’il n’y a pas plus d’une dizaine de personnes.

JCN : Les mouvements d’argent mettent parfois autant la puce à l’oreille qu’une action d’éclat ou un écart de comportement. Comment le clandestin opère-t-il en la matière ?

Fabrice : On avait des fonds spéciaux, c’est-à-dire des fonds qui sont non traçables, donc du cash, néanmoins il fallait justifier les dépenses facture après facture. Et je vous assure que d’avoir un reçu d’un taxi à Kaboul, ce n’est pas simple ! On avait des discussions assez longues avec notre comptable qui était sympathique comme tout, mais qui voulait qu’on lui justifie toutes les dépenses…

JCN : Et imaginons que le clandestin reçoive un salaire de la société qu’il a créée, qu’en fait-il ?

Grégoire : C’est un sujet qu’on a préalablement travaillé, toujours en liaison avec le DO. J’avais, à l’époque, proposé une formule qui a été validée : les éventuels gains liés à l’activité de couverture servent simplement à payer les frais inhérents à la couverture de l’OT, c’est-à-dire un petit appartement qu’il louera à Paris, ses frais de déplacement, etc. Donc, il n’y a pas double bénéfice, simplement un bénéfice qui est voué au renforcement de la couverture et de la légende.