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JCN : Combien de temps faut-il en tout pour former un clandestin ?

Grégoire : Quelques années, entre la formation initiale et le moment où la couverture de l’OT sera suffisamment solide et étayée pour pouvoir l’engager dans des missions sensibles.

JCN : L’apprenti clandestin peut-il être mis à l’épreuve au cours d’une mission sans qu’il le sache ?

Victor : Absolument impossible. Dans la fiction ça existe, mais dans la réalité, en tout cas en France, on ne fait pas croire à des gens qu’ils partent en mission réelle alors qu’en fait, il n’y a aucun but. Une mission réelle, il y a toujours un risque, il peut toujours y avoir un moment où ça se passe mal, donc on ne va pas le faire uniquement dans le but de tester les gens. Les missions de synthèse sont très réalistes, les gens savent qu’ils sont observés, et c’est peut-être pire de savoir que l’on est observé en permanence…

Patrick : J’étais avec un stagiaire, on partait en formation sans savoir où, pendant plusieurs jours. On allait de point en point, on avait une arme. Rien de bien pénible jusque-là, si ce n’est qu’effectivement, on pouvait être abordés par des jolies femmes qui nous demandaient ce qu’on faisait. Il fallait tenir la couverture, et il y en a un qui a dit : « Moi, je suis agent du Service action, j’ai un pétard — il a montré son pétard — et voilà, je suis dans une mission pour le service. » Manque de bol, la jeune femme en question faisait partie du service, et ça faisait partie du stage… Vous imaginez les conséquences qui en ont résulté pour ce candidat…

Georges : Un des premiers exercices auxquels on doit se livrer consiste à passer une frontière avec, bien sûr, une identité fictive qui s’appuie sur un passeport, une carte bancaire, un certain nombre de contacts réels, à remplir une mission simple de renseignement dans un pays étranger. Et de retour en France, souvent les choses se gâtent puisque des fonctionnaires des douanes, qui peuvent travailler sur ce genre d’exercices avec le ministère de la Défense et la DGSE, trouvent un prétexte pour intercepter l’agent. Quand je dis que c’est un moment qui peut apparaître désagréable, c’est qu’on est « mis à poils », et on doit, vis-à-vis de fonctionnaires souvent enquêteurs, parfois zélés, justifier, démontrer avec un certain nombre d’éléments tangibles que l’on est effectivement ce Monsieur-Tout-le-Monde qui s’est rendu en Bulgarie, en Hongrie, en Jordanie avec une mission tout à fait légitime. Si les réponses que l’on apporte ne sont pas jugées suffisamment crédibles, eh bien, ça peut durer toute une nuit, voire une journée et une nuit, un peu comme une garde à vue. Et en aucun cas, bien entendu, vous ne pouvez vous permettre de sortir le joker, « Stop, je suis fonctionnaire du ministère de la Défense ».

Daniel : On ne passe pas comme ça une frontière, que ce soit en France ou à l’étranger, avec une autre identité sans qu’il y ait une petite poussée d’adrénaline. La qualité des papiers n’est pas en cause car, là-dessus, il n’y a pas de problèmes, mais au tout début, on peut considérer qu’on est un peu plus vulnérables qu’après plusieurs années de travail sous couverture.

Patrick : Au moindre contrôle, on peut se retrouver dans des situations cocasses où on n’est pas capable de répondre à une question basique. Ce qui compte, c’est d’être capable de tenir sa couverture, sinon on se retrouve rapidement embarqué au poste […]. Il ne faut jamais oublier qu’un agent clandestin est tout seul, pas armé — parce que ça ne lui apportera rien de plus. Et il doit être capable de convaincre des gens soupçonneux que ce qu’il est en train de faire ne correspond pas aux soupçons qui sont portés sur lui.

François : Je me trouvais dans [un] pays d’Asie centrale, et le douanier m’interpelle et me demande de venir dans un petit coin à côté. Le premier réflexe qui me vient en tête : « Est-ce que je suis dévoilé ? Qu’est-ce qui se passe ? » La réalité était que dans un pays où la corruption est de mise, l’intéressé n’avait qu’une envie, c’était de me démunir des quelques dollars que j’avais en ma possession. Donc, plus de peur que de mal. Il faut rester calme, ne rien montrer, et c’est là que l’entraînement paye.

Georges : Il est toujours plus délicat de quitter le pays car, par essence, des gens qui sont seuls, qui ont pu jouir d’une grande liberté, sont considérés potentiellement [comme] des gens qui ont pu se livrer à des activités de renseignement, voire d’espionnage. Un certain nombre de pays africains considèrent que les gens qui ont un ordinateur portable et un appareil photo sont des espions. Il y a encore assez peu de temps, il y avait des pays qui interdisaient l’utilisation d’ordinateurs portables, donc vous pouvez imaginer que, quand on rentre de trois, quatre mois [de mission], [si] on n’a pas un certain nombre d’éléments concrets prouvant l’activité qu’on a eue, on est suspect. Et parfois, avant de récupérer un visa de sortie, il peut se passer trois jours, une semaine, quinze jours — ce qui m’est arrivé. Dans ces moments-là, on est seul, face à soi-même. Ce sont des moments où, forcément, on doute, mais on joue son personnage à 200 %.

JCN : Sans jamais alerter la DGSE ?

Georges : Bien sûr, on n’a pas recours au numéro d’urgence du Service clandestin. Il faut éviter de téléphoner en disant : « J’ai mal aux dents, il faut que tu me prennes rendez-vous chez le dentiste », qui peut être la phrase code pour dire : « J’ai les flics aux fesses, venez en aide. » Avant de partir, quand on passe en commission opérationnelle, on rend aux différents interlocuteurs un document classifié dans lequel toutes ces phrases sont répertoriées.

Victor : On ne vit pas dans un monde où tout est calme et serein. Il y a des services étrangers qui sont extrêmement agressifs, offensifs, et qui mènent des actions d’envergure, qui ont de très gros moyens, plus importants que les nôtres, et qui cherchent en permanence des informations. Et donc, oui, ça arrive de temps en temps, il y a des gens qui se font « tamponner » comme on dit. En fait, l’agent peut être remarqué sur le terrain parce qu’il ne peut pas faire autrement. On va le remarquer, même s’il est très discret, tout simplement parce que c’est peut-être le seul Occidental de toute la région. Parfois, les services locaux le font un peu de façon indirecte, ils viennent discuter. Et parfois, ils le font de façon directe et c’est toute la journée à discuter avec les enquêteurs. Et on est contents quand la journée se termine !

Patrick : Un interrogatoire musclé, c’est être dans un contexte de questions qui sont posées par un service de police, par un service spécial adverse. Vous êtes confronté à devoir répondre à des questions de manière rude. Là, on se retrouve tout à fait dans le contexte qu’on voit dans les films, où vous pouvez être attaqué sur le plan physique, frappé, on peut être violent avec vous. Il y a le bon et le méchant, et là vous êtes dans un contexte difficile. Moi, personnellement, je n’ai jamais subi de torture, mais on peut imaginer que ça peut aller jusque-là, et je crains que certains de mes camarades n’aient eu à subir cela.