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Georges : Il est arrivé effectivement que des gens soient compromis. Un, il y a un phénomène de routine qui peut s’installer. Deux, il y a la confiance que peut éprouver l’agent au bout de six mois, au bout de deux ans, en se disant : « C’est bon, plus rien ne peut m’arriver. » À ce moment-là, on met en œuvre des actions simples d’exfiltration, voire de récupération pour que l’agent puisse être récupéré sans passer si possible par les geôles ennemies. Mais les exfiltrations manu militari sont assez rares, dieu merci. [Pour] un Blanc, quand il est en Afrique dans une zone de guerre, le plus grand risque c’est : un, de se faire renverser par une voiture, et deux, de se faire enlever parce que le Blanc au Nigeria, c’est le tiroir-caisse.

Fabrice : Ce sont les risques du métier. Ce qui est agaçant, c’est la sensation très forte que, si on se fait pincer, si on se fait tuer, notre unité, notre service va nous soutenir ; les échelons tout en haut, peut-être beaucoup moins…

Patrick : La règle de base, c’est que le service ne reconnaît pas les missions qui sont faites par ses agents.

JCN : Les autorités politiques savent-elles la présence d’un clandestin, sans en connaître l’identité, dans tel ou tel pays ?

Hervé : Je ne répondrai pas.

JCN : Parce que vous ne le savez pas ou parce que c’est le genre de choses qui doivent rester secrètes ?

Hervé : C’est le genre de choses qui doivent rester secrètes.

Grégoire : Le ministère [de la Défense] n’a pas connaissance de la mission puisque la DGSE est protégée par un statut — la DGSE n’est pas censée rendre compte au ministère de la Défense, elle travaille directement avec Matignon. Les missions, pas toutes, mais les plus importantes, ou les plus à risques, sont soumises à l’aval du politique, mais il n’est pas censé connaître le nom de l’agent. On lui explique simplement l’objet de la mission, son but, comment ça va se dérouler dans les grandes lignes afin d’obtenir un feu vert. Le reste, ce n’est pas du niveau d’un ministre.

Fabrice : La question, c’est : « Pourquoi on fait de la clandestinité ? » Est-ce que ça sert à quelque chose eu égard aux risques humains physiques, mais aussi aux risques diplomatiques ? Si un officier traitant en poste, c’est-à-dire sous couverture diplomatique — un espion dans une ambassade, pour faire court — se fait prendre avec les doigts dans le pot de confiture, lui, il sera expulsé, […] mais ça fait partie du jeu des États, c’est accepté. Le clandestin qui vit dans un pays étranger, avec ou sans réseau de sources, s’il se fait prendre, pour lui, ça va être un très gros problème. Et puis, diplomatiquement, s’il y a des preuves que la France a été impliquée, ça va être un réel problème. D’où le fait que nos autorités ont toujours une certaine réticence à utiliser ce type de sources humaines. Mais il se trouve qu’il y a un certain nombre de zones dans le monde où il n’y a pas de représentation diplomatique parce que ce sont des zones de guerre, parce que les pays ne sont pas reconnus ou pour d’autres raisons. Et donc, dans ces cas-là, il n’y a pas tellement d’autres choix que d’envoyer des agents clandestins. Ça a été toute la tendance américaine dans les années 1990 de ne s’appuyer que sur la technologie pour éviter d’exposer les agents. Et ils ont perdu beaucoup de savoir-faire avec le NOC, le Non-Official Cover, « leur » Service clandestin, qu’ils ont remonté après 2001 parce qu’ils se sont rendu compte que c’était bien beau d’avoir de la technologie, mais si les gens en face ne jouent pas le jeu, c’est-à-dire [qu’] ils ne se parlent plus au téléphone, ou par mail, il leur faut bien des agents au contact, et des agents humains qui [soient] capables d’interpréter ce qu’ils voient, et non pas d’écouter uniquement des signaux électromagnétiques.

Daniel : Il faut trouver le bon compromis entre un renseignement technique, indispensable, et puis sa validation sur le terrain par des sources, donc du renseignement humain. À l’issue de 2001, on s’est aperçus qu’on avait toutes les informations nécessaires, mais qu’on n’avait pas forcément pu les analyser. Donc, il a fallu mettre un petit peu plus de monde derrière les capteurs techniques. Et puis, il a fallu mettre un peu plus de monde sur le terrain parce que le renseignement, c’est un compromis, un recoupement de toutes les informations techniques, humaines et opérationnelles.

Georges : On est tous des maillons de la chaîne, tous. Seuls, on ne peut rien faire. Avec un renseignement, même s’il est le renseignement du siècle, sans être correctement exploité, transmis, on ne pourra rien faire. Donc, à partir du moment où on se considère comme de simples maillons de la chaîne, on s’appuie les uns sur les autres, on fait confiance à ceux qui sont chargés justement de venir nous récupérer à l’issue d’un voyage éprouvant. On fait confiance [à] ceux qui vont être chargés d’exploiter le renseignement brut qu’on va leur transmettre et de le diffuser aux autorités. Personne n’a la science infuse, personne n’est véritablement la star. Alors, certes, il y a des dossiers qui sont plus sexy que d’autres, parce que c’est l’actualité qui fait qu’on peut être par hasard choisi, affecté sur le dossier phare du moment. Mais les choses évoluent heureusement, et on peut passer de l’ombre à la lumière assez rapidement.

Patrick : J’ai eu la chance d’avoir un officier traitant du Service clandestin remarquable, qui est allé dans les endroits les plus dangereux de la terre, et je pèse mes mots, au contact d’hommes extrêmement dangereux, tout en ayant l’apparence de Monsieur-Tout-le-Monde. Un officier traitant qui ne disait pas un mot plus haut que l’autre, qui parlait d’une voix calme, mais qui arrivait par, je dirais, sa détermination, sa profonde connaissance de l’action clandestine, à obtenir des renseignements cruciaux. À un moment donné, dans certains pays, il était même la seule source de renseignement crédible et valable de la DGSE auprès de services insurrectionnels.

JCN : Son efficacité ne lui a-t-elle pas été par moment préjudiciable ? J’ai ouï-dire que d’aucuns, à la centrale, étaient tellement étonnés de la qualité du renseignement rapporté qu’ils en étaient arrivés à le soupçonner, de manière purement subjective, d’être l’agent des services du pays en question…

Patrick : On est toujours dans le doute et la suspicion quand tout se passe très bien. Moi, j’y vois surtout de la jalousie, ou un climat malsain de compétition. Non, on ne peut pas dire des choses pareilles de personnes qui s’impliquent autant, qui prennent autant de risques et qui rapportent autant de renseignements intéressants pour le service.

JCN : Le Service clandestin privilégie-t-il un type de missions ?

Grégoire : À l’époque où je prends le service [clandestin], il n’a pas une mission générique définie. Il peut aussi bien faire des missions de diplomatie parallèle que des missions de renseignement, de contact […] qui restent à caractère très sensible.