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JCN : Est-ce que vous savez ce qui a séduit chez vous ?

Hervé : Au départ, ils cherchent des gens avec une formation assez généraliste et en même temps avec un intérêt marqué pour les relations internationales. Parfois, c’est la maîtrise d’une langue rare ou de nombreux voyages. Dans mon cas précis, c’était clairement mes études dans le domaine des relations internationales.

Sandra : Je pense que mon passé professionnel tient une grande part, je n’ai jamais été militaire. La personne en face va confirmer l’image qu’elle se fait de vous, et puis, c’est dans la discussion qu’on entre de plus en plus dans les détails. On vous vend le mystère, cette partie un peu mystifiée — « Tu vas faire des choses uniques, secrètes que peu de gens connaissent, une vie un peu trépidante ». Plutôt le côté rare, un métier unique, atypique et riche, pas le métier plan-plan. Ça ne m’intéressait pas de rester enfermée dans un bureau toute la journée. J’avais envie d’être acteur des relations internationales, pas juste spectateur soit sous l’angle du divertissement, de l’amusement au cinéma, soit sous l’angle tranquille, dans son canapé, à regarder la télé, lire des journaux et imaginer ce qui peut se passer derrière. Non, être vraiment en première ligne. Et puis, j’étais jeune, célibataire, j’avais envie d’action, donc c’était forcément attrayant !

Hervé : Pour les militaires, c’est un peu plus franc, car ils ont déjà fait le pas vers le service de l’État. Je crois que, pour eux, c’est une invitation en bonne et due forme à rejoindre le service.

Vincent  : J’ai un peu découvert le renseignement quand j’ai été envoyé à Beyrouth en 1983 comme agent de liaison. Ce sont des activités qui m’ont beaucoup plu, ça m’a donné envie d’aller voir un petit peu plus loin. Donc, après la Légion étrangère, j’ai postulé pour le service. Lorsqu’on entre à la DGSE, on est affecté dans le service de formation pendant une petite année. Ensuite, j’ai rejoint un secteur qui traite davantage des aspects défense. Et là, j’ai eu le plaisir et l’honneur de travailler avec un grand monsieur du renseignement, qui traitait notamment Farewell[17]. Il m’a appris beaucoup […].

Norman : Ce qui m’a motivé, c’est que mon père était déjà un réserviste du Service action et avait participé à pas mal d’opérations dans les années 1950–1960. C’était l’héritage de l’après-guerre et de la Résistance, j’avais envie de faire la même chose. J’étais [alors] pilote dans l’aéronautique navale. Mais déjà, lorsque je passais le concours de l’École navale, je savais qu’au bout de quelques années, je demanderais une mutation pour le SDECE. Donc, j’ai harcelé la marine afin qu’ils me mutent, ce qui n’était pas rentable pour eux puisqu’ils m’avaient formé comme pilote…

François : Après un échec à l’École de guerre, je me retrouve confronté à un avenir qui se bloque ou s’assombrit[18] et, tout naturellement, me revient en tête l’idée de poursuivre dans le domaine du renseignement. D’autant que, lorsque j’étais jeune lieutenant, j’ai eu la chance de partir deux ans à l’étranger dans le cadre d’une garde présidentielle d’un pays africain et que je me suis retrouvé avec toute l’équipe de l’opération Satanic[19] qui avait été mise au vert. J’ai pu les côtoyer au quotidien, nous avons vécu ensemble, travaillé ensemble. Ces échanges m’ont permis de concrétiser le fait que le domaine du renseignement devienne une nouvelle passion. Comme disaient les Russes, sans renseignement, pas d’engagement.

JCN : On aurait pu imaginer que ce qu’avait vécu, et subi, cette équipe du Service action vous refrène dans votre projet de rejoindre la DGSE…

François : Bien au contraire. Cela m’a donné l’envie de voir si j’[étais] capable de faire certaines choses qu’ils avaient eux-mêmes effectuées. Le SA était le Graal que j’espérais pouvoir trouver à la DGSE.

JCN : Avez-vous souvenir de cas de candidats recalés à l’entrée du Service action[20] ?

Victor : [Cela] arrive tout le temps, même pour des gens de très bon niveau. Par exemple, il y avait un gars qui était très prometteur, une intelligence brillante, avec une mémoire phénoménale, quelqu’un de très rapide, organisé dans sa tête, quelqu’un qui sort de l’ordinaire par sa puissance intellectuelle. Et donc, tout le monde s’imaginait que ça n’allait être rien du tout pour lui, tout ça. Mais ça s’est mal fini, parce que, finalement, son intelligence le rendait impatient, il n’arrivait pas à se mettre au niveau de tout le monde. Le défaut d’humilité, c’est un péché mortel. Il y a des gens qui sont très sûrs d’eux dans la sobriété, c’est juste qu’ils n’ont pas besoin d’en rajouter, ça se voit, ça sort d’eux comme ça. Et puis, il y a des gens qui aiment plus être en avant de façon artificielle, et ça se sent aussi.

JCN : Quels sont les autres défauts rédhibitoires pour entrer au Service action ?

Victor : Les impulsifs, colériques, les exaltés, on va [les] éviter parce qu’on sait d’expérience que ça ne fonctionnera pas, qu’ils seront malheureux, qu’ils risquent d’être dangereux… Le manque de rigueur, ça aussi c’est dangereux pour le groupe. Il ne faut pas des gens parfaits, sinon il n’y aurait personne. Il y a des gens qui sont conscients de leurs points forts et de leurs points faibles, qui vivent bien avec, qui savent les dominer, les mettre en valeur. [Mais] on peut très bien [aussi] être quelqu’un qui n’a pas de points forts exceptionnels, qui n’est brillant dans aucun domaine particulier et être un très bon agent du service. C’est une alchimie.

JCN : Faut-il un courage hors normes ?

Victor : Non, mais à un moment, il faut quand même y aller… La personne qui est trop émotive se retrouve en difficulté dans une situation de stress, et ne va pas pouvoir réagir de façon adaptée. Ça peut être un contrôle de police, de douaniers dans un pays en guerre, et le gars perd tous ses moyens et là, même si on peut le travailler, il faut quand même avoir des prédispositions. On ne peut pas, si on est vraiment quelqu’un de très angoissé, devenir, d’un coup, quelqu’un de très à l’aise.

JCN : On a l’image de membres du Service action très athlétiques.

Victor : La réponse est devant vous[21]. Il y a des grands, des petits, des maigres, des plus ronds, des costauds, des moins costauds, tout est possible. Il faut quand même avoir le goût du sport, de l’effort. Le goût du risque, je n’irais pas jusque-là, mais être capable de se dépasser. Il n’y a pas besoin d’avoir un physique monstrueux, exceptionnel, on ne se prépare pas pour les JO, mais il faut être sportif parce que c’est quand même garant de la sécurité de l’agent. C’est en même temps la garantie d’une vie saine. Il peut y avoir besoin de sauter en parachute, de marcher longtemps, de plonger, de faire tout un tas d’activités […], mais plus que l’aspect très athlétique, il faut ce qu’on appelle chez nous la rusticité. Il faut être dur au mal, ne pas avoir chaud, froid, faim, c’est ça qui compte, plus que d’être le champion du semi-marathon. Quand je pense à un agent du service, je vois plusieurs gars qui ont toutes les qualifications possibles, inimaginables, difficiles de l’armée — ils peuvent être chefs de détachement haute montagne, chuteurs opérationnels, nageurs de combat, moniteurs commando spécialisé — et puis… ils ne ressemblent à rien ! Ils ont un physique extrêmement banal, ils se foutent de leur aspect physique, ils déconnent à longueur de journée, et c’est inimaginable qu’ils soient des militaires. Et pourtant, dans le travail, ils sont d’une rigueur extrême, d’une fiabilité extrême, ils ont le souci du détail, ce sont de grands professionnels, et c’est absolument impossible de s’imaginer qu’ils sont tout ça en même temps.

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17

Nom de code de Vladimir Vetrov, officier du KGB ayant fait défection à partir de 1980. Il a livré des milliers de documents et le nom de centaines d’officiers de services de renseignement soviétiques opérant en France et dans le monde.

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18

Le brevet de l’École de guerre est quasiment indispensable pour l’accession aux grades supérieurs.

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19

Responsable de la destruction du navire Rainbow Warrior de l’organisation Greenpeace, le 10 juillet 1985.

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20

Rappelons que le SA, s’il appartient à la même direction des opérations, est distinct du Service clandestin. Toutefois, il a lui aussi recours à des méthodes clandestines.

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21

Victor est très svelte.