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«Ce bandit, que vous avez tous connu, qui s’était baigné dans le sang, et qui commandait aux Habits Noirs, après avoir régné sur les Camorres en Italie, avait un sobriquet qui va vous faire tressaillir, et qui restera son nom historique. On l’appelait…

Lecoq eut un brusque mouvement, et darda un regard avide sur la porte du couloir de M. le baron Schwartz. La porte avait remué.

– Prenez garde! dit le magistrat, qui ne perdait pas de vue le bandit.

André Maynotte avait retiré, en parlant, le pied qui pesait sur la poitrine de Lecoq, et celui-ci restait couché comme une masse, André Maynotte répondit:

– Je n’ai pas à prendre garde. Je vous ai dit: cet homme a le sentiment de son impuissance. Il est vaincu trois fois: par ma loi qui est celle du plus fort, par votre loi à vous et par la sienne propre: la loi des Habits Noirs.

L’œil sanglant de Lecoq se tourna vers lui à ces derniers mots.

André Maynotte ouvrit les revers de son frac et montra un objet qui tranchait en sautoir sur la blancheur de sa chemise. C’était le scapulaire, légué par le colonel à la comtesse Corona.

André ajouta:

– Je suis le Maître de la Merci!

Lecoq laissa retomber ses paupières frémissantes, et reprit son immobilité. En l’espace d’une seconde, sa joue avait été pourpre et livide plusieurs fois.

Chacun put croire qu’André avait raison. Celui-là semblait terrassé pour toujours. Trois heures sonnèrent à la pendule de M. Champion.

– Le moment d’agir est venu, reprit André Maynotte en se rapprochant du grillage. J’ai dit tout ce qu’il fallait dire, messieurs, non point pour me venger de vous, mais pour que vous sachiez mesurer l’étendue de votre dette envers celle qui a nom Mme la baronne Schwartz. Nous sommes cinq à connaître son secret, qui peut la tuer comme un coup de poignard au cœur: vous deux, le baron Schwartz, cet homme et moi. Vous deux, avant de savoir, vous avez eu pitié…

– Vous vous trompez, monsieur Maynotte, l’interrompit le conseiller à voix basse; nous n’avons pas le droit d’avoir pitié. Nous faisions ce qu’il fallait pour changer un doute en certitude… Dieu vous a suscité à temps.

– Bien, dit André; maintenant que vous savez, votre devoir me répond de vous. Restent le baron, moi et cet homme. Le baron aime Julie et lui donnerait son sang. Moi… faut-il parler de moi? Il n’y a que cet homme! Depuis vingt ans, il plane sur notre vie comme un mauvais destin. Je viens de l’arrêter au moment où il touchait le but; je viens de lui arracher sa proie, sur laquelle sa main avide déjà se refermait. Il est vaincu, il est brisé, il n’espère plus… Je me trompe! il espère se venger en mourant, se venger de moi! Il se plongerait tout vivant en enfer pour assouvir sa rage. Or, il sait où est mon cœur, il sait où me frapper. Julie n’est pas encore sauvée.

– En présence de nos témoignages, voulut dire le conseiller, les tribunaux…

– Je n’ai pas confiance! l’interrompit André avec rudesse. Aujourd’hui comme autrefois, je veux qu’elle soit à l’abri pendant que les tribunaux jugeront.

«Je vous prie de m’excuser, messieurs, reprit-il plus calme. Il s’agit pour moi de sauver Mme la baronne Schwartz, et il ne s’agit que de cela. Si vous avez contracté envers moi quelque dette, quand vous l’aurez sauvée, nous serons quittes. Voulez-vous me servir comme je prétends être servi?

Les deux fonctionnaires semblèrent se consulter. Ce n’était pas l’hésitation, car M. Roland répondit d’une voix ferme:

– Nous le voulons, monsieur Maynotte, quand même chacun de nous devrait, pour cela, briser sa carrière publique et chercher dans la vie privée la complète liberté d’agir.

André leur rendit grâce d’un regard et reprit:

– C’était pour quitter Paris et la France que M. le baron Schwartz avait opéré cette énorme rentrée de fonds. Le misérable que voici avait récemment démasqué ses batteries et le baron avait eu à choisir entre son amour et son ambition: sa femme était menacée. Quoiqu’on puisse dire contre lui, le baron Schwartz a du cœur; je lui ai pardonné tout le mal qu’il m’a fait. Il faut que, dans une heure, M. Schwartz et sa femme soient loin de Paris. Tout était préparé; le bal servait de couverture à cette fuite; la chaise de poste attend.

– Mais vous? fut-il objecté.

Car, en conscience, ce n’était pas ainsi, peut-être, que le magistrat et l’ancien commissaire de police avaient entendu la fuite de Mme la baronne Schwartz: il y avait là un grand amour partagé, deux époux qui se retrouvaient…

– Moi, je reste, prononça André lentement. On dit que le blasphème de l’athée est toujours une fanfaronnade et un mensonge. Moi qui blasphème votre justice, parce que votre justice a été aveugle et cruelle envers moi, peut-être suis-je comme l’athée. J’ai un fils; je voulais lui rendre le nom de mon père. À cause de cela, je n’ai pas écrasé ce serpent quand je l’avais sous mon talon… Je le tuerai, si vous refusiez d’aider à la fuite de Julie, car un mot de lui perdrait Julie. Mais, si elle s’éloigne, le danger sera tout pour moi. Et ce sera moi, moi-même, le condamné de Caen, l’accusé de Paris, qui conduirai à vos juges le voleur de la caisse Bancelle et l’assassin de la comtesse Corona!

En même temps il fit glisser le verrou qui fermait le grillage. M. Roland lui prit les deux mains et l’attira contre lui.

– Vous couronnerez ainsi une noble vie, dit-il, avec une émotion profonde. Nous serons là. Je vous promets l’honneur, sinon le bonheur.

L’ancien commissaire de police porta la main à ses yeux où tremblait une larme.

Les quatre paquets de billets de banque qui étaient dans la caisse furent remis aux deux fonctionnaires.

Lecoq restait toujours immobile comme un cadavre. Le condamné de Caen échangea une accolade avec celui qui l’avait arrêté, avec celui qui avait instruit son procès criminel.

– Je me charge de cet homme, dit-il en refermant la grille. Quand la baronne Schwartz sera partie, envoyez ici votre justice; elle nous trouvera tous deux.

Il était revenu auprès de Lecoq. Au moment où il prononçait son dernier mot, la porte du couloir tourna brusquement sur ses gonds en même temps qu’une voix de femme, une voix brisée, disait:

– André! André! je ne veux pas partir!

La baronne Schwartz, échevelée et les yeux brûlant de folie, était debout au-devant du seuil. À son cri, un cri de sauvage triomphe répondit de l’autre côté de la grille.

Avant qu’André, ému et surpris, pût tenter un mouvement, Lecoq avait roulé sur lui-même avec une agilité de serpent et traversé ainsi toute la largeur de la pièce. Déjà, il se trouvait à l’autre extrémité, debout et tenant à sa main un pistolet à deux coups.