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– Oui! oui! grinça-t-il ivre de fureur et de triomphe, c’était quelque chose de bon qui était dans mon autre poche! Oui, oui, je sais où te frapper, bonhomme! hé! Je sais où est ton cœur, et avant d’aller en enfer, je vais te payer toute ma dette d’un seul coup… Vois plutôt!

Son pistolet s’abaissa, visant Julie au sein, et la détonation éclata terriblement dans cet espace étroit.

Mais une forme humaine, glissant hors du couloir ouvert, plus rapide que la pensée, était au-devant de Julie. Ce fut le baron Schwartz qui tomba foudroyé.

André Maynotte et Toulonnais-l’Amitié luttaient déjà corps à corps semblables à un lion et un tigre: bataille furibonde et muette.

Ils roulèrent tous deux jusque auprès de la caisse, contre laquelle la tête d’André porta violemment. Lecoq, léchant l’écume de ses lèvres, parvint à dégager sa main, qui tenait le pistolet et l’appuya contre la tempe sanglante d’André, en poussant un sourd rugissement de joie; les témoins s’élançaient; ils seraient arrivés trop tard.

Ce fut Dieu qui frappa.

Lecoq était en dedans de la porte ouverte de la caisse, André en dehors. Au moment où Lecoq pressait la détente, André put saisir la porte et la poussa dans un instinctif et suprême effort.

Le coup de pistolet partit, mais la balle rencontra le lourd battant qui déjà virait.

Chacun connaît le poids de ces portes massives, chacun sait comme elles tournent libres sur leurs gonds robustes. André avait une force d’athlète, décuplée par la passion du moment. Ce fut une hideuse exécution.

La porte, lancée comme un boulet de canon, renversa Lecoq et se referma net, malgré l’obstacle de sa tête horriblement broyée, qui disparut, laissant un tronc mutilé…

André s’affaissa, évanoui.

La baronne Schwartz demanda d’une voix étouffée:

– Est-il mort?

– Non, répondit M. Roland, qui lui tâtait le cœur.

Elle tendit alors ses deux mains au baron Schwartz, qui mourait, agenouillé à ses pieds, et qui dit:

– J’ai bien fait de ne pas me tuer. André avait raison, il y avait là un cœur.

Il appuya ses lèvres desséchées contre les belles mains de Julie et put murmurer encore:

– Devant Dieu qui sait comme je vous aimais, je jure que je ne suis pas coupable, mais…

Son dernier soupir emporta le restant de sa pensée. La balle avait tranché une artère.

Le bal Schwartz s’achevait, en des gaietés charmantes. Quand on danse, on n’entend rien, pas même le tonnerre.

Tout à coup, cependant, une rumeur sinistre courut comme un frisson. Deux hommes venaient d’aborder, la pâleur au front, ce haut personnage à qui nous avons gardé l’incognito.

Puis on entendit ces paroles qui allaient et venaient:

– M. Schwartz est mort. Les Habits Noirs…

Épilogue

I

Première représentation des Habits Noirs, drame en 5 actes et 12 tableaux, à grand spectacle, avec prologue, épilogue, sept décors nouveaux, changements et danses de caractère.

Introduction

Tel était à peu près le corps de l’affiche énorme qui portait en outre, dans un carré blanc, ménagé parmi la couleur général de deuil, répondant au titre:

– Mlle Talma-Rossignol débutera dans le rôle de la comtesse Fra Diavolo.

Chacun savait, dans Paris, que le théâtre de Merci-mon-Dieu jouait son va-tout sur cet important ouvrage. L’habile et intelligent directeur, qui côtoyait imperturbablement la faillite depuis un temps immémorial, avait fait des frais exceptionnels. Outre l’engagement de Mlle Talma-Rossignol, on avait six clowns entièrement inédits, trois sauvages des bords du rio Colorado, qui se nourrissaient de la chair de leurs ennemis vaincus, une dame assez adroite pour avaler des sabres et un soprano réformé qui devait dire la chanson de la Boue.

Au troisième acte, les banquises des mers polaires, grand panorama mouvant, animé par des ours blancs naturels. Au quatrième, le ballet des tueurs de tigres avec lumière voltaïque et enlèvement d’un ballon. Au septième tableau, embrasement général de la forêt. Les critiques sérieux pariaient pour un monstrueux succès tout le long du boulevard, en déplorant néanmoins les voies funestes où l’art s’égare depuis le décès prématuré de Voltaire.

II

Avant le lever du rideau

À l’orchestre, une société choisie faisait salon bruyamment.

– Je ne sais pas, dit Cabiron le lanceur d’affaires, comment ils ont placé des Indiens anthropophages dans une pièce éminemment parisienne.

– Il y a de tout à Paris, répliqua Alavoy. Quand on pense que nous avons déjeuné vingt fois chez ce colonel!

– Fra Diavolo! une bourde audacieuse!

– Ma parole d’honneur sacrée! s’écria Cotentin de la Lourdeville, j’ai vu le fameux scapulaire entre les mains de ce cher M. Maynotte. Le nom y était en toutes lettres: Fra Diavolo. Et les dates des batailles… ça et ça… Il avait eu le pape prisonnier dans l’Apennin, ce coquin-là! Son vrai nom était Michel Pozza ou Bozza; il avait déjà été pendu à Naples, comme chef de la Camorra, en 1806. Je ne me repens pas d’avoir prononcé quelques paroles bien senties sur sa tombe, parce que, en définitive, c’est un personnage historique.

– Fra Diavolo! rue Thérèse! murmura Mme Touban, coiffée de plumages. Comme c’est croyable!

Sensitive fredonna:

Voyez sur cette roche,

Ce brave à l’œil fier et hardi.

Son mousquet est auprès de lui

C’est son meilleur ami.

–  Il n’avait pas l’air de ça, dit Alavoy.

– La Marseillaise ! cria-t-on du paradis.

– Si la maison Schwartz était tombée, dit M. Tourangeau, adjoint, qui occupait avec sa société des places de pourtour, c’aurait été une mauvaise affaire pour tout ce pays-ci.

– Tombée! s’écria Mme Blot. Pourquoi? Parce que le baron a reçu un coup de pistolet en défendant sa caisse… à ce qu’on dit, car l’ancien mari de sa femme avait bien des raisons pour lui chercher une querelle d’Allemand…

– La maison, fit observer M. Champion, remarquable par sa bonne mine, semble prendre, au contraire, un plus conséquent essor depuis que M. Michel et M. Maurice y apportent, respectivement, dans une direction éclairée, le fruit de leurs études classiques.

– En voilà un qui a fait un beau rêve! risqua Céleste timidement, M. Michel!

Oh! combien celle-ci était déchue depuis le nocturne et sentimental voyage de Versailles! Il faut bien le dire: elle avait trouvé maître Léonide Denis plein de santé, et les yeux de M. Champion s’étaient enfin ouverts. Rendu prudent et adroit par l’habitude de la pêche, M. Champion n’avait point fait d’éclat, mais Céleste était traitée avec rigueur dans l’intérieur de son ménage. Elle pleurait bien souvent, se disant: «Si encore j’étais coupable!»