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À droite et à gauche, premier étage, il y avait deux loges entièrement grillées qui se faisaient face.

Aux secondes galeries, M. Pattu, ancien officier de la marine, accompagnait la reine Lampion dont la toilette faisait mal aux yeux. Par suite du décès de l’entreprise des bateaux-postes, M. Pattu était rentré dans la vie privée. Il administrait en qualité de prince conjoint, l’estaminet de L’Épi-Scié.

Après une petite secousse, causée par une descente, de police qui suivit la catastrophe de l’hôtel Schwartz, l’estaminet de L’Épi-Scié avait repris le courant de ses affaires, et ce bel établissement était aujourd’hui plus prospère que jamais. M. Pattu et la reine échangeaient de nombreux sourires à la ronde. Le titre de la pièce intéressait leur clientèle qui était amplement représentée à tous les étages de la salle.

Au paradis, vous eussiez reconnu Échalot, seul et sans Similor. Saladin n’était ni sur son dos ni sous son bras. Quelque malheur! La tête d’Échalot pendait sur sa poitrine et il avait des larmes plein les yeux.

Il disait à ses voisins, des railleurs qui riaient de sa peine, imitant le chant du coq, gloussant, sifflant, mordant des pommes et humant avec délices les puanteurs asphyxiantes de cette atmosphère, il disait:

– L’enfant n’était pas né viable, gros comme un rat et avant les neuf mois, qu’il fut l’auteur innocent de la mort de sa mère. Il tenait dans ma casquette, qui devint son premier berceau. J’ai fait pour lui l’apprentissage de nourrice, étant fils naturel d’un ami qui n’a pas de soin et qui l’aurait laissé sans boire. Et maintenant qu’à l’âge de sa troisième année, il débute déjà sur la scène française, car c’est le phénomène vivant de la malice, Similor en profite pour avoir ses entrées et les quinze sous d’appointements qu’on me refuse à la porte sévèrement comme un chien enragé; et que je suis réduit à payer ma place pour jouir de ses débuts de loin, sans pouvoir le presser sur mon cœur au moment du succès!

Il fondait en eau et faisait la joie de ses voisins. Trois coups sont frappés derrière la toile qui frémit: le chef d’orchestre lève son archet comme une épée exécutant la parade de prime. Un redoutable accord mineur éclate: musique imitative qui s’en révèle à la couleur du titre.

– À bas les chapeaux! crie le parterre.

– Coupe ta tête, milord!

Et la claque applaudit pour se faire la main.

Prologue – La Vendetta – Le brassard

1er tableau: la Montagne. – Fra Diavolo et ses bandits sont campés dans des lieux déserts. Cent figurants, paysans, paysannes, soldats du pape prisonniers, bohémiens, etc., emplissent le décor dû au pinceau de quelqu’un. On a incendié le château. Rodolfo, le lieutenant de Fra Diavolo, amène la jeune Josepha, fille du seigneur et jure qu’il l’immolera, si elle ne cède pas à sa flamme. Chœur de bandits, musique du chef d’orchestre. Fra Diavolo entre avec fracas et conseille à ses subordonnés d’allier l’astuce à l’audace. Coup de fusil au lointain. On amène un étranger qui doit la vie à la fille de Fra Diavolo. Fasse l’enfer, dit Rodolfo, que nous n’ayons pas à nous repentir de notre clémence! La nuit vient. L’étranger, qui est forgeron, lime ses chaînes et s’enfuit avec Josepha, la fille du seigneur; elle est sa fiancée! Réveil des bandits. Préparatifs de la poursuite, Rodolfo l’avait prévu! Si vous voulez réussir dans vos desseins, dit Fra Diavolo, troublé au milieu de son premier sommeil, unissez, ô mes enfants, la hardiesse à la prudence.

2e tableau: l’intérieur de la maison du jeune forgeron à Poitiers (changement demandé par la censure); Paolo (André) et Josepha, l’ancienne fille du seigneur, travaillent, l’un à repriser un brassard, l’autre à raccommoder des langes de son enfant, car leur union a été féconde. Le fruit est dans son berceau. Nous savons si Saladin est capable de remplir comme il faut ce rôle de l’enfant de carton! Paolo sort pour se rendre chez le plus riche banquier de la ville. Rodolfo entre déguisé en pèlerin. L’angélus sonne. Josepha va chercher la croix de sa mère pour la passer au cou de son enfant. Rodolfo emporte le brassard en disant: «Ô ma vengeance!» Rentrée de Paolo joyeux. Projets d’avenir. On compte l’argent de la tirelire. Arrivée des gendarmes. La caisse du plus riche banquier de la ville a été forcée, et le brassard porte témoignage contre Paolo qui est arrêté. «Il me reste au moins mon enfant!» s’écrie Josepha qui s’évanouit non loin du berceau. Mais Rodolfo entre à pas de loup en murmurant: «Ô ma vengeance!» Il fourre Saladin dans sa poche avec la croix de la mère de sa mère, et s’exhale, pendant que l’orchestre exécute un sombre bourdonnement, analogue à cette circonstance fâcheuse.

Nota. On aperçoit, dans la coulisse, la tête orgueilleuse de Similor qui s’avance trop pour suivre des yeux le paquet où est Saladin. Du haut du paradis, Échalot verse des larmes de triomphe sur le parterre en criant:

– Saladin! mon fils! si sa malheureuse mère le voyait!

On vocifère: «À la porte!» Quelques oranges circulent, et des voix autorisées proposent déjà: «Orgeat, limonade, bière!»

Dans la coulisse, Etienne, pâle comme un mort, l’œil hagard, les cheveux hérissés, se promène entre les portants. Personne ne lui parle. Savinien Larcin et son collaborateur, M. Alfred d’Arthur, sont au contraire, entourés et choyés par les gens du théâtre. L’habile directeur lui-même daigne leur sourire.

3e tableau: la prison. Cellule de l’Habit-Noir. Paolo est seul. Rodolfo s’est fait geôlier pour savourer sa vengeance. Monologue où Paolo se raconte à lui-même la fuite de Josepha. La fille de Fra Diavolo (Mlle Talma-Rossignol lui apporte une scie et des consolations. Il coupe ses barreaux et s’élance dans le vide en criant: «Cieux! protégez l’innocence!» À ce moment, Rodolfo entre pour lui annoncer qu’il est condamné à mort. Ne le trouvant plus, il jure de se venger.

4e tableau: le parvis de Saint-Germain-l’Auxerrois (changement demandé pour dérouter l’opinion publique et prévenir les allusions); mariage de Josepha, sous le nom d’Olympe, avec le jeune usurier Verdier qui lui a fourni un faux acte de décès de son premier mari. Fra Diavolo est devenu marguillier de cette paroisse sous le nom du colonel Toboso. Rodolfo s’appelle maintenant Médoc et intrigue afin de se venger.

Les cloches sonnent pour le mariage. Procession de jeunes vierges portant des fleurs. Paolo arrive très fatigué d’un long voyage. Il se raconte derechef à lui-même comment, ne pouvant plus résister à son impatience, il a bravé tous les dangers; il s’introduit dans l’église. On entend un cri. Paolo revient tomber sur les degrés en disant: «C’est elle!» Rodolfo accourt, l’examine et dit: «C’est lui!» Il l’emballe dans un fiacre. «Ô ma vengeance!» La noce sort de l’église et les jeunes filles effeuillent leurs fleurs en souriant.

5e tableau: la maison du marguillier, rue Thérèse. Fra Diavolo, fatigué de courir d’affreux dangers, s’est transformé en citoyen paisible. Il feint d’accomplir de bonnes œuvres tout en continuant de commettre une multitude de crimes. C’est chez lui que le fiacre a déposé Paolo évanoui. Rodolfo veut l’immoler tout de suite, expliquant que la vendetta est une habitude corse; Fra Diavolo objecte qu’il est bon d’unir la fermeté à la circonspection. Pendant cela arrive Fanchette (Mlle Talma-Rossignol, qui peut jouer les âges, depuis dix ans jusqu’à soixante ans, tel est son engagement). Fanchette se moque de Rodolfo, caresse le marguillier, et rend la vie à Paolo par un moyen nouveau. Le marguillier sait tout: il engage Paolo à la prudence, puisque le mariage est accompli, et lui donne les moyens de passer en Angleterre où il le fera pendre. Comment? par son influence. Où la prend-il son influence? Quoique marguillier, il est le chef des Habits Noirs! Au moment où Paolo part, Fanchette entre en berçant le petit enfant dans ses bras. On voit bien qu’il n’est pas de carton, car il crie et tend ses petits bras vers la porte où est sorti son père. Tableau touchant. On distingue à son cou le cordon de la croix de sa mère.