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Il s’éloigna, non sans m’avoir adressé un bienveillant sourire, et je l’entendis marcher dans le corridor en psalmodiant sur le plain-chant des vêpres: «Si je meurs, que l’on m’enterre dans la cave où est le vin…» Le café, les liqueurs et le tabac m’étaient positivement indifférents. Je n’avais pas osé encore lui demander ce qu’il fallait pour écrire, et c’était là autant de seule douceur qui pût me tenter.

Vers une heure après-midi, je fus mandé au greffe, où m’attendait M. Roland. Quand je revins, j’entendis pendant quelques instants ce bruit mystérieux, puis contre le mur il me sembla que le travail se faisait à la droite de mon lit.

À midi, j’avais eu mon second repas; à sept heures du soir, j’eus le troisième. Je pensais qu’on me ferait prendre l’air sur quelque terrasse. Il n’en fut rien. Le lendemain, ce fut de même, et aussi le surlendemain.

Sauf les visites chantantes de Louis et mes interrogatoires, je suis avec toi toujours. Il y a, cependant, une autre chose qui m’occupe: ce bruit de travail souterrain. Je l’entends plusieurs fois dans la journée et la nuit, toujours à la même heure, après le passage de la troisième ronde…

3 juillet. – Mon sommeil a été lourd et plein de rêves. Est-ce que tu souffres davantage, Julie? Moi il me semble que j’étais plus fort les premiers jours. Il y a des instants où la marche de cette instruction me jette dans des colères folles. Puis je retombe à plat, je n’ai plus ni vigueur, ni ressort. En d’autres moments, j’attends avec une impatience d’enfant l’heure où je dois être mandé au greffe, je souhaite la présence de M. Roland; j’ai besoin d’entendre la voix d’un homme. Les visites de Louis sont mes parties de plaisir.

J’ai sollicité quelques minutes de promenade dans le préau et M. Roland n’a opposé à mon désir aucune résistance. Seulement, on fait retirer tout le monde du préau quand j’y descends, et ce préau est plus triste que ma cellule elle-même. Louis a laissé tomber ce matin quelques mots d’où j’ai conclu que, pour de l’argent, il se chargerait volontiers d’une lettre. Je n’ai pas caché qu’une vingtaine de Napoléons. Pour causer avec toi, Julie, comme je les donnerais joyeusement, et avec eux une palette de mon sang! Mais j’ai fait la sourde oreille. Je subirai jusqu’au bout ce supplice de Tantale. Une imprudence pourrait les mettre sur ta trace. – L’Habit-Noir entretenait une correspondance suivie avec des personnes comme il faut.

Mes interrogatoires roulent dans un cercle; M. Roland ne sort pas de la fiction qu’il a adoptée. Je ne dis pas qu’il l’ait créée, note bien cela, car mon estime pour son caractère grandit, et il est certain qu’il subit la fatale pression des apparences; il les groupe, il les consolide, il les appuie et quand elles présentent quelques lacunes, il s’efforce de faire une reprise à ce tissu troué. Il y a des heures où je vois cela sans passion. Chaque art a son entraînement, et ceci est un art.

Mais je suis triste. Ce n’est peut-être qu’un moment, et demain j’aurai mon courage.

5 juillet. – Je n’ai rien écrit hier. Je t’ai tout dit. Il n’y a de nouveau que ma fièvre. On m’a envoyé un médecin. Le médecin a commandé qu’on me donnât du vin de Bordeaux et des viandes rôties. Louis est jaloux de moi. Je n’ai ni soif ni faim.

Il tombait de la pluie, ce matin, et j’ai senti l’odeur lointaine des arbres mouillés, car c’est l’air libre qui entre par ma fenêtre. Tu aimais ce parfum et tu sortais sur la porte de notre maison pour voir des gouttelettes briller au feuillage des tilleuls. Pleut-il où tu es? et cela te fait-il penser à moi? Je souffre.

14 juillet. – Je ne crois pas avoir été en danger de mort, mais la maladie m’a cloué sur mon lit. Le médecin de la prison est venu me voir jusqu’à trois fois le jour. M. Roland m’a témoigné chez lui une foi robuste, comme celle du chrétien à la divine. Le doute lui semblerait monstrueux; il a peur de douter.

Je me suis levé aujourd’hui pour la première fois. Pendant ma fièvre, j’entendais mieux ce bruit sourd qui vient de la cellule voisine. Il n’est pas difficile de faire parler ce bon Louis. L’hôte de la cellule voisine est le nommé Lambert, cabaretier, impasse Saint-Claude, qui est accusé d’assassinat et qui doit être jugé à la prochaine session comme moi. Je crois qu’il est de ces instants de fièvre où l’esprit est plus lucide. C’est là quelquefois, j’en suis sûr, ce que les spectateurs froids appellent le délire. Ce n’est pourtant pas la fièvre qui donne ces idées, mais elle les couve et les développe.

À la suite d’un de mes derniers interrogatoires, j’avais eu comme une vague perception de ce fait qu’un homme hardi pouvait exploiter cette fatalité judiciaire: il faut un coupable, résumée et comptée par l’axiome: il ne faut qu’un coupable. Je ne saurais me rappeler ni dire quelle parole de M. Roland avait fait naître en moi cette idée. – Si fait pourtant! M. Roland avait prononcé ces mots ou quelque chose d’analogue avec une dédaigneuse pitié:

– Pour admettre votre système de défense, il faudrait supposer un homme ou plutôt un démon, poussant la scélératesse jusqu’au génie et se préoccupant, au moment même où il commettait le crime, des moyens d’égarer la justice. – Est-ce impossible? demandai-je, frappé aussitôt par cette idée. – Non, me fut-il répondu. Le germe de cette préoccupation existe chez tout malfaiteur. Quiconque va fuir a, comme le gibier, l’instinctif besoin de cacher sa trace…

Et c’est étrange comme, en ce moment, la mémoire des propres paroles du magistrat me revient précise et nette. Il ajouta: «Mais ce sont là de pures spéculations, et dans l’espèce, on serait obligé de faire à l’impossible des concessions énormes. Ainsi le coupable de fantaisie aurait dû, non seulement combiner ce plan de spoliation, ingénieux déjà jusqu’à paraître romanesque, mais encore choisir ses moyens, de telle sorte que l’instrument employé vous accusât précisément, vous, innocent, et qu’aussitôt l’accusation née, une réunion de vraisemblances accablantes.»

Il s’arrêta et haussa les épaules.

– Et cependant, reprit-il en prévenant ma réplique, nous ne nous reconnaissons jamais le droit de mettre notre raison à la place de l’enquête. Nos investigations ont dès longtemps devancé vos soupçons. Il y avait deux hommes… non pas dans la situation où vous êtes, pris en flagrant délit moral, si l’on peut ainsi s’exprimer, tant la situation vous étreint et vous terrasse… mais enfin deux hommes qui pouvaient nous être suspects. Il n’y avait rien contre eux, sinon des coïncidences. Passant par-dessus ce fait que votre culpabilité les absout, et échappant à toute pétition de principe, nous avons tourné vers eux l’œil de la justice. L’un, le plus important, voyageur de commerce, qui a vendu la caisse de M. Bancelle, était absent de Caen à l’heure du crime; M. le commissaire de police a connaissance personnelle de son alibi. L’autre, jeune homme nécessiteux, à la recherche d’une place, avait demandé asile pour une nuit à ce même fonctionnaire, ce qui exclut toute idée d’expédition nocturne; l’autre… Tenez Andréa Maynotti, voyez la différence: pendant que votre femme se cache comme si la terre se fût ouverte pour nous la dérober, l’autre a repris sous son vrai nom le chemin de Paris, où il vit, sous son vrai nom encore, dans une condition modeste et voisine de la gêne. Celui-là, je vous l’affirme, moi qui m’y connais, n’a pas emporté de chez nous quatre cent mille francs… D’ailleurs, comprenez bien; nous ne sommes ni la cour, ni le jury, nous sommes l’instruction: vous aurez des juges.