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– Maître Cotentin, votre conseil, annonça l’ami Louis.

– Cotentin de la Lourdeville, rectifia mon joli défenseur. Une drôle d’affaire, à ce qu’il paraît! Entrons en matière, et sans préambule, s’il vous plaît. La journée n’a que vingt-quatre heures. Je vous dispense du soin de me dire que vous êtes innocent… et ce qu’ils chantent tous, et puis ça et ça… Avons-nous un alibi?

J’ouvris la bouche pour répondre, mais il me la ferma d’un geste bienveillant:

– Alibi est un mot latin qui signifie autre ici, ou ailleurs, si vous le préférez. Vous avez tous des alibis; voyons le vôtre ou les vôtres.

– J’ai passé la nuit chez moi, glissai-je pendant qu’il reprenait haleine.

Il examina ma couverture, l’épousseta légèrement de trois ou quatre coups de badine et s’assit sur le pied de mon lit.

– Farceur! murmura-t-il. En petit jeune homme bien tranquille!… Et qui prouvera que vous avez passé la nuit chez vous?

– C’est à l’accusation de prouver le contraire, ce me semble.

Il enfla ses joues et assura ses lunettes d’un petit coup de doigt gracieux. Je n’avais pas d’abord remarqué ses lunettes, tant elles faisaient étroitement partie de lui-même.

– Farceur! farceur! répéta-t-il. Tous les mêmes! Ils couchent avec leur Code!… Quant à l’accusation, elle se porte bien, vous savez? Si j’étais juré, moi, je vous condamnerais les yeux bandés.

– Si telle est votre opinion, commençai-je.

– Mon garçon, m’interrompit-il; l’avocat exerce un sacerdoce. La veuve et l’orphelin, vous savez? Ça et ça. Parlons raison. À votre âge, vous ne connaissez pas, dans toute la ville de Caen, quelque petite dame qui aurait été ou qui aurait pu être votre bonne amie et chez qui vous auriez pu passer la nuit en question?

– Non, répondis-je seulement.

Il m’eût semblé malséant de dire à ce gros petit homme tout l’amour que j’ai pour toi.

– Voilà des mœurs! grommela-t-il. À votre âge! Puis, prenant un air régence qui lui allait à ravir:

– Ah çà! cette belle petite Mme Maynotte avait donc bien bonne envie d’être une grande dame?

– Monsieur Cotentin de la Lourdeville, lui dis-je sèchement, il ne s’agit ici que de moi. Je suis innocent, comprenez bien cela, et de plus honnête homme. Je ne veux pas être défendu au moyen d’alibis boiteux ou autres demi-preuves. Il me faut pour appui la vérité, il ne me faut que la vérité.

Il m’adressa un signe de tête protecteur et répondit:

– Eh bien! mon brave garçon, déboutonnons-nous. Je ne serais pas fâché de savoir un peu comment vous entendez être défendu, dans votre petite idée.

Je songe maintenant à des choses qui jamais ne s’étaient approchées de mon intelligence. La captivité a dû faire des philosophes. Hier encore, je ne distinguais pas nettement la Providence de la fatalité. Aujourd’hui, la fatalité me fait peur et je tends mes mains vers la Providence; car, séparés que nous sommes, Julie, par l’espace et par l’erreur, elle nous réunit tous deux sous son regard éternel.

Et, cependant, je crois de plus en plus à cette fatalité qui m’effraye. La menace de ce terrible malheur a toujours été sur moi. Tout enfant, je frissonnais à la vue d’une prison; ce que j’écoutais le mieux parmi les récits de mon père, c’était l’histoire de Martin Pietri, notre grand-oncle maternel qui mourut à Bastia, sur l’échafaud, en prenant Dieu à témoin de son innocence. Quand il fut mort et bien mort, on trouva chez un vieux prêtre atteint de démence les vases sacrés qu’il était accusé d’avoir dérobés dans l’église de Sartène.

Tu étais bien jeune, et pourtant tu dois te souvenir de cette belle tête blanche qu’avait le vieux Jean-Marie Maddalène, l’avocat des pauvres. C’est une grande et noble chose que la fonction de l’avocat. Mon défenseur, M. Cotentin, ne ressemble pas beaucoup à Jean-Marie Maddalène, mais ce n’est pas non plus un homme sans intelligence: c’est un petit homme.

Pouvais-je ne pas lui dire mon idée? Je la dis aux murs de ma prison. Il m’a écouté sans trop d’impatience, chantonnant parfois en se faisant les ongles avec des cartes de visite dont les angles lui servent à cela.

– Un coup de marteau! m’a-t-il répondu paisiblement; un petit coup de toc! On pourra plaider la folie.

– Mais je ne suis pas fou! me suis-je écrié.

– Parbleu! l’histoire du brassard le prouve bien, mon garçon. Mais cette imagination du fantôme qui travaille à votre place, laissant tout sur votre dos, est bonne à noter. En somme, nous ne sommes pas trop malheureux; il y a de l’effet à faire dans tout ça. C’est original, en diable! Et la belle Maynotte met là-dedans le quantum sufficit de romanesque… Nous dirons ça et ça, et puis ça…

Il a sauté sur ses pieds en se frottant les mains, et je pense qu’il court encore.

– Ça-et-ça vient de revenir. La session commence mercredi. Il prétend qu’on ferait un roman avec mon idée. Mais, ajoute-t-il, ce n’est pas un plaidoyer. Pour un plaidoyer, il faut des choses palpables, des faits: ça-et-ça! Il est jaloux du ministère public et se voit prononçant le réquisitoire. Mais tout est donné à la faveur!

Je ne sais pourquoi l’approche de la session me donne une confiance extraordinaire. Tous les soirs, je m’endors en songeant au jury. Les jurés sont des hommes choisis parmi les meilleurs de la cité. Quelle admirable institution! je te reverrai, Julie.

– M. Cotentin de la Lourdeville essaye depuis dix ans d’entrer dans la magistrature. Il m’a confié que l’injustice du pouvoir allait le jeter dans l’opposition. Il vient de me communiquer la liste du jury pour nos récusations. J’ai un jury excellent; tous honnêtes gens, la plupart commerçants. Je ne vois pas une seule récusation à faire.

On dirait que le travail de mine de mon voisin l’assassin est dirigé du côté de ma cellule. Le mur doit être singulièrement aminci entre lui et moi, car je l’entends chanter maintenant. Son avocat est M. Cotentin de la Lourdeville. Il a un alibi.

28 juillet, mercredi. – La session est ouverte.

M. Cotentin n’est pas venu: il plaide; mon voisin n’a ni travaillé ni chanté, il est au palais; son affaire ouvre la session. J’ai la fièvre. Je viens septième. Ce sera pour le 8 ou le 9 août.

Six heures du soir. – Le voisin rentre. Il chante.

29 juillet, au soir. – Le voisin est condamné à mort.

1er août. – Il a travaillé cette nuit plus longtemps et plus fort qu’à l’ordinaire. Qu’espère-t-il? La prison a un cachot spécial pour les condamnés a mort. M. Cotentin est venu me dire qu’il avait produit beaucoup d’effet dans cette affaire du cabaretier Lambert. Il interjette appel en cassation. Je suis plus abattu, et quand je te vois, Julie, tu n’as plus ton sourire.

J’ai donné à Louis les lettres pour toi. Elles sont adressées à Londres et ne te parviendront pas, mais il fallait égarer ses soupçons. Déjà, plusieurs fois, il m’avait demandé ce que je faisais de mon papier. Celle-ci, ma femme bien-aimée, la vraie lettre quand donc la mouilleras-tu de tes larmes?

Je fais de mon mieux pour qu’elle ne soit pas trop triste. Ah! s’ils voulaient m’acquitter; que de joie!