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Le frottement était si voisin que le regard d’un étranger se fût porté involontairement vers la partie de la muraille qui était en face de la croisée; si voisin, qu’après avoir examiné, on se fût étonné de voir intactes les larges pierres de taille du cachot.

André Maynotte n’écoutait ni les murmures du dehors, ni ces bruits plus prochains qui semblaient sortir de la pierre. Sa méditation l’absorbait. Deux fois il mouilla sa plume et deux fois l’encre sécha. L’horloge du palais sonna huit heures. André Maynotte poussa un long soupir et laissa tomber la plume.

– J’ai tout dit! prononça-t-il à voix basse.

Il se leva et gagna son pauvre lit d’un pas plein de fatigue. Ces quelques jours l’avaient vieilli de dix ans.

Quand il se fut couché tout habillé, ses yeux restèrent grands ouverts et fixés dans le vague.

Neuf heures du soir sonnèrent; la nuit était noire; puis dix heures. André Maynotte dormait dans la position qu’il avait prise. Sans le souffle lent qui agitait faiblement sa poitrine, on aurait dit un mort.

À onze heures, le gardien ouvrit la porte et visita le cachot. André Maynotte ne s’éveilla point. Le gardien sourit et dit:

– N’empêche que la petite femme a vingt mille livres de rentes, à présent!

Le bruit qui sortait de la pierre avait cessé quelques minutes avant la venue du gardien; quelques minutes après son départ, il reprit. Mais on ne chantait plus.

Et l’ouvrier semblait s’animer au travail.

Un rayon de lune passa par la lucarne, oblique d’abord et mince comme une lame; puis il tourna, dessinant carrément l’ombre des barreaux sur le mur.

La lucarne avait cinq barreaux, deux dans la largeur, trois dans la hauteur: de beaux gros vieux barreaux portant des traits de lime, en barbe, pour déchirer les mains qui eussent voulu les secouer.

Le rayon descendait en même temps qu’il tournait, parce que la lune pleine montait au ciel. Un instant vint où il glissa sur le front blême d’André Maynotte.

C’était un beau jeune homme, et Julie l’eût aimé plus chèrement dans son martyre. Toute la noble bonté de son âme était sur son visage. Non, il n’avait pas tout dit. Il n’avait pas dit quel était le grand moyen de son avocat. Après avoir plaidé toutes sortes de choses, et puis ça et ça, M. Cotentin avait abordé tout à coup ce chapitre qui brûle, dit-on, en Normandie et ailleurs: les ruses des banqueroutiers. Le grand moyen de Cotentin consistait à montrer M. Bancelle placé entre une échéance écrasante et une caisse vide. M. Bancelle avait accueilli froidement autrefois une demande de crédit qui eût mis Cotentin à même de contracter un joli mariage. Cotentin gardait rancune. On voit des assurés qui mettent le feu à leur maison pour avoir la prime: M. Bancelle avait dévalisé sa propre caisse! Ça et ça! comprenez bien! Une pareille machination n’est pas partout invraisemblable. Cotentin avait un homme à sauver, en définitive…

André Maynotte se leva et affirma que les quatre cent mille francs étaient dans la caisse du banquier. Il les avait vus.

Cotentin avait compté là-dessus. Son effet était tout prêt; mais je ne sais qui prononça le mot: comédie.

Or, si la défiance, cette chère denrée, manque jamais au marché, là où vous serez, faites un tour en Normandie. L’effet rata, selon la propre expression de M. Cotentin de la Lourdeville.

Il resta acquis que l’avocat et l’accusé s’étaient entendus, les deux gaillards!

On leur en sut gré, au point de vue de l’art.

Mais quand, à la fin de son plaidoyer, l’avocat bas-normand, arrivant à l’émotion obligée, représenta son client comme un pauvre agneau, dominé, subjugué, mené par une femme ambitieuse et perverse, André Maynotte lui imposa silence avec tant d’énergie qu’un frisson monta de l’auditoire au banc des jurés. Autre effet manqué. Celui-là n’était pas un enfant qui se laisse conduire.

M. Cotentin put s’écrier dans le couloir:

– Je l’aurais sauvé s’il avait voulu! Et sans alibi. Rien qu’avec ça et ça!

André Maynotte avait vengé sa femme insultée.

Le rayon de lune, qui, maintenant, glissait sur son visage, allait frapper la muraille juste à l’endroit où s’entendait le travail mystérieux. On aurait dit, en ce moment, que la pierre de taille, large et carrée, sur laquelle tombait le rayon, remuait; bien plus, on aurait dit qu’une rainure quadrangulaire se creusait autour d’elle à chaque instant plus profonde. Cela faisait illusion. Et le son produit par le travail invisible aidait à l’illusion. L’ouvrier ne grattait plus, il frappait. Chaque coup donnait un mouvement à la pierre.

Était-ce une illusion seulement? Sur la dalle, des graviers et des morceaux de ciment tombaient. La pierre chancelait; la dalle blanchissait. La pierre bascula; ce n’était pas une illusion; puis la pierre versa en dedans, ouvrant soudain un large trou noir.

Et tout aussitôt une voix joyeuse s’écria:

– Salut, la lune! J’ai calculé juste; nous voilà dehors!

XI Une visite

Une tête se montra dans le noir du trou et s’éclaira vivement, frappée en plein par la lune. C’était une grosse figure, colorée avec violence et accentuée brutalement. Elle exprimait à cette heure un contentement triomphant, mêlé à une curiosité avide. Ceci au premier instant, mais bientôt elle refléta une nuance de cauteleuse inquiétude. La tête avança avec précaution hors du trou et se pencha comme on fait pour sonder le vide. Évidemment, ce premier regard voulait mesurer une vaste profondeur; il se heurta à la dalle éclairée et l’homme devint pâle.

Il releva les yeux: il vit seulement alors qu’entre lui et la lune qui venait de l’éblouir, il y avait une fenêtre, fermée par des barreaux de fer. Un blasphème sourd sortit de sa gorge. Le sang lui monta au visage.

– Chien de sort! grommela-t-il. Je croyais être en liberté et je n’ai fait que changer de cage!

Les veines de son front se câblèrent, pris qu’il était d’une colère folle. Puis la pâleur revint plus terreuse à ses traits que le découragement affaissait.

– N, i, ni, c’est fini! dit-il encore. D’ici deux heures, je n’ai pas le temps de percer l’autre muraille!

Il fit un mouvement pour se retirer. Sa face peignait l’angoisse de la bête fauve acculée. Au moment où il allait disparaître dans l’ombre du trou, l’homme sembla se raviser; un effort brusque remit sa tête au niveau de l’ouverture, en pleine lumière, et ses yeux élargis s’attachèrent fixement sur les barreaux mêmes de la lucarne. L’espoir naissait, un grand et subit espoir; sa bouche épaisse eut comme un sourire, et des gouttes de sueur brillèrent à ses tempes.

– Si c’était ici la case de l’Habit-Noir? prononça-t-il tout bas et d’une voix qui tremblait. Ce serait trop de chance!

La tête passa hors du trou, puis les épaules – péniblement, car l’homme avait une puissante carrure. Dès que les deux mains eurent touché le sol, l’homme se trouva debout. Nous eussions reconnu alors, malgré sa tête rase et la barbe touffue qui envahissait jusqu’à ses yeux, Etienne Lambert, le cabaretier-logeur du cul-de-sac Saint-Claude. Il portait en effet la houppelande courte, le gilet rouge et le pantalon de futaine que nous lui vîmes, dans la soirée du 14 juin, quand M. Lecoq vint le chercher dans son taudis.