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Il n’était pas cruel, pourtant, je l’affirme sous serment, ce dindon, modèle des mères! Le vautour appela l’hirondelle.

– Cascadin, dit-il, cherche la cuisine, allume un bon feu. Si tu rencontres des domestiques, charge-les de chaînes. Tu reviendras pour la chasse. Fuis! car tu es comme le temps, blanc-bec, tu as des ailes!

L’hirondelle, suivie d’une oie et d’un pigeon, sortit à la recherche des cuisines.

Alors, le vautour en chef prit entre l’index et le pouce l’extrémité de son redoutable bec et le releva vivement. Sa tête était à charnière: elle s’ouvrit comme une boîte à couteaux et découvrit le crâne belliqueux de M. Gondrequin, nommé Militaire, qui commanda:

– Ouvrez-vous! à cette fin de respirer l’air pur, car il fait puant dans ces cadavres!

Tous les oiseaux bâillèrent aussitôt si énergiquement, que leurs becs renversés pendirent sur leur nuque. On put voir d’un coup d’œil à ce moment la composition de cet étrange sénat. M. Baruque, dit Rudaupoil, était dans la peau du grand coq; Similor, toujours avantageux et sûr de lui-même, habitait le hibou et lutinait d’une façon répréhensible Mlle Vacherie, sa voisine, non moins hideuse en chauve-souris qu’en femme; Échalot (nos cœurs l’ont reconnu) était le dindon et n’avait pas voulu se séparer de son petit, même dans cette occasion dangereuse. Le Pitre avait un costume de corbeau, l’Albinos se gobergeait dans le vaste corps de l’autruche, l’Équilibriste gigotait à l’intérieur de la cigogne; les autres oiseaux, tout en fil de fer, carton et crin, contenaient les âmes des caporaux et des rapins de l’atelier Cœur d’Acier.

C’était l’entreprise Vacherie, riche entre toutes les directions foraines, qui avait fourni le matériel.

Les indications étaient dues à Similor, qui avait trempé dans l’expédition de la rue Cassette.

L’auteur du livret était M. Baruque.

Toutes ces figures se regardèrent avec un sérieux assombri jusqu’au lugubre, et qui eût soulevé, au parterre de certains théâtres, un rire épileptique.

Ils appartenaient tous, les pauvres diables, à ce monde enfantin qui grouille dans les profonds dessous de l’art, qui n’a pas d’âge et qui reste espiègle même quand il prend la barbe grise: monde joyeux, en définitive, insouciant, pas méchant, mais taquin et cruel aux heures de la mystification.

Échalot ouvrit aussi le crâne de Saladin son dindonneau; ce fut pour l’embrasser avec passion et lui dire:

– N’y en a pas beaucoup qu’a commencé si jeune que toi à porter un costume de caractère! T’es mignon comme un petit loup, là-dedans, amour! hurle pas! ça troublerait la cérémonie. Regarde plutôt! Sont-ils cocasses! V’là papa! Mais, au lieu de te prodiguer mes caresses, il se livre à la fougue de ses passions. Du haut du ciel, si ta mère le contemple, mioche… hurle pas!… elle doit regretter que c’est pas moi-même avec qui elle a conçu son orphelin!

– Monsieur Baruque! appela Gondrequin d’une voix creuse.

– Présent, Monsieur Militaire, répondit Rudaupoil.

– Qu’est-ce qui s’ensuit? Je manque de mémoire. Soufflez, s’il vous plaît.

– Les plumes! dit Baruque. Allez-y! Gondrequin-Militaire sourit.

– J’y suis, Monsieur Baruque, dit-il. Garde à vous! Je m’amuse! Arrachez chacun une plume de vos ailes et chatouillez l’Iscariote modérément. Ensemble! eh! houp!

Avec la régularité d’un peloton qui fait l’exercice, chacun se prit une plume à soi-même.

– Attention, Saladin! dit Échalot, grâce à moi, t’es sevré. Tu peux comprendre déjà, dès à présent, le truc qu’il faut toujours que le crime soit puni pour que la vertu, elle puisse avoir également sa juste récompense!

Saladin était ici la seule personne qui ne s’amusât pas de tout son cœur. Il avait l’air d’un diable dans un bénitier; il faisait, pour hurler, des efforts désespérés, mais Échalot avait une manière de remplir son bec avec le poing, qui obtenait le silence.

Le cercle, cependant, s’était rétréci autour du bon Jaffret qui se prit à frétiller, semblable à un poisson dans la poêle, parce que l’extrémité de toutes les plumes cherchait et trouvait, pour les chatouiller, les parties les plus sensibles du corps: le dessous du nez, les coins de la bouche, le derrière des oreilles, les creux des mains et jusqu’à cette place bien connue des gens très gais qui est entre le jarret et le mollet.

Sans doute que tout cela rentrait dans son rêve, car le sommeil, chez lui, s’obstinait malgré cette torture, et il geignait misérablement sans s’éveiller.

– Allume! cria Rudaupoil; ça mord!

– Le temps fuit! ajouta Militaire. Cette scène a des longueurs. Qui est-ce qui prend du tabac?

Similor avait son cornet. Il ne se refusait aucun luxe. Le cornet fut posé sous les narines du bon Jaffret que son cauchemar oppressait et qui respirait comme un soumet de forge. Il s’éveilla en un éternuement qui menaça de le mettre en pièces.

– Fixe! commanda Gondrequin-Militaire.

Tous les crânes se refermèrent en produisant un seul bruit comme si trois douzaines de canettes à bière eussent laissé retomber ensemble leurs couvercles d’étain.

Et le cercle des oiseaux, immobile, rangé dans un ordre admirable, prononça d’une seule voix lente, lugubre et profonde:

– Dieu vous bénisse, bon Jaffret!

– Hurle pas, Saladin! murmura Échalot qui avait des larmes plein les yeux, faut que tu sois un bécasseau pour pas crever de rire!

Jaffret soulevait ses paupières pesantes. Son regard effaré voyagea tout autour de lui. C’était bien son cauchemar, mais si horriblement exagéré! qu’il voulut pousser un cri de détresse. Ce fut un éternuement qui vint. Tous les oiseaux saluèrent avec gravité.

– Dieu vous bénisse, bon Jaffret! répéta Gondrequin d’une voix sépulcrale.

Et le cercle, comme un écho sinistre:

– Bon Jaffret, Dieu vous bénisse!

– Le feu est allumé, cria le clair ténor de Cascadin. Envoyez la volaille!

Jaffret se frotta les yeux avec désespoir.

À un signe du vautour, le cercle des oiseaux se mit à chanter sur une mesure paresseuse et mélancolique:

C’est Jaffret qu’est pincé.
Pincé pour ses péchés.
Pour ses péchés Jaffret
Va t’être guillotiné!
Larifla, fia, fia, larifla, fia, fia.
Larifia, etc.

Après ce refrain le coq chanta, le corbeau croassa, le pigeon roucoula, la poule gloussa, le vautour cria, la chauve-souris glapit et le hibou hua.

En même temps, Saladin, échappant un instant à la tendre tyrannie d’Échalot, poussa un vagissement inhumain.

Jaffret, galvanisé par une terreur sans nom, se dressa sur ses jambes, chancelantes, appuyé qu’il était d’une main au marbre de la cheminée.