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Et elle s’enfuit, lui laissant aux lèvres la saveur d’un mortel baiser.

Elle prit Nita sous le bras. Le comte les vit disparaître comme un tourbillon fleuri qu’un souffle de vent d’août emporte sous le soleil.

Il retomba vaincu sur son oreiller. En ce moment, si elle lui avait dit: «Frappe! frappe cet homme qui vient de te sauver!…»

Il eût frappé le docteur Abel Lenoir!

Elles glissaient le long du corridor, les deux rêves d’amour enchanté, le flocon de pourpre, le nuage d’azur rosé, Nita et Marguerite.

Les murmures du bal montaient: ce que vous avez entendu, tous et toutes, aux heures ivres de la première jeunesse, cette voix qui charme et qui attire, cette puérile harmonie, forte comme la passion, qui joue avec le cœur, comme le trille tresse les sons sur les cordes fiévreuses.

Ce sourire sonore, ce subtil excitement, cette vague et irrésistible volupté.

Que Dieu bénisse les lymphatiques choses qui jamais n’ont tressailli à cet enfantin délire! et ces autres choses savantes qui ont appris à leurs dépens la philosophie du bal!

Le bal est de la jeunesse. Les poètes, les vrais, font de l’art pour l’art. La jeunesse danse pour danser. Et dans l’univers entier il n’y a rien au-dessus de cette adorable extase!

– Nous le sauverons! dit Marguerite.

– Comme il est bien, ce soir, pauvre bon ami! répliqua Nita.

Elles arrivaient au grand escalier.

– Ne descendons-nous point, Madame? demanda la jeune princesse.

– J’ai quelque chose à prendre chez moi, répondit la comtesse, et je ne veux pas me priver de vous pour faire mon entrée, chère enfant.

Elles continuèrent leur route et gagnèrent la porte de Mme la comtesse. Elles entrèrent. Marguerite dit en montrant un siège à Nita dans le boudoir:

– Une minute, chérie, et je suis à vous.

Nita s’assit. Marguerite entra dans sa chambre à coucher, toute seule. Elle ouvrit une armoire et en retira, à pleines mains, des flots de gaze et de soie dont les nuances étaient exactement les mêmes que celles de ce travestissement idéal qui faisait Nita si jolie.

– Madame a-t-elle besoin de moi? demanda la camériste dans le cabinet de toilette…

– Non, répliqua Marguerite vivement, fermez la porte!

Elle ajouta, examinant, dépliant, cherchant, parmi ce fouillis de fraîches couleurs:

– Il va venir, Nita. Pardon si je vous retiens, mon ange!

Nita se vit rougir dans la psyché, devant laquelle elle disposait les plis de son «nuage d’été».

– Oh! Madame! fit-elle.

– Il va venir, répéta la comtesse de l’autre côté de la porte. Je l’ai vu, je le connais, je l’ai invité. Dieu veuille, chère fille, que tout aille selon vos désirs qui sont les nôtres. On juge mal souvent ces pauvres martyrs qui ont accepté une tutelle… et nous pourrions bien souffrir un peu, Nita, chère enfant, pour toute la joie que vous nous avez donnée, depuis qu’il nous est permis de vous appeler notre fille…

Elle souriait en parlant et en regardant ces frais chiffons qui l’entouraient comme une marée montante. Elle était évidemment contente de son examen.

Nita, confuse, ne répondit plus. Mais elle aussi souriait.

Marguerite, à pleines mains, repoussa dans l’armoire le flot de gaze et de rubans qu’elle venait d’examiner ainsi à la hâte.

Et comme elle l’avait dit déjà dans la chambre de son mari, elle répéta en se parlant à elle-même:

– C’est bien cela, je n’ai rien oublié!

Puis elle repassa le seuil du boudoir, radieuse.

– Chère enfant, dit-elle, j’ai ce que je cherchais. Prenez mon bras et venez affoler là-bas tout ce monde d’adorateurs qui vous attend.

IV Comment s’engagea la bataille

Savez-vous ce que pourrait fournir de lignes et de pages la description d’un bal comme celui de l’hôtel de Clare? La plume en frissonne et le papier tout blême se résigne d’avance: tant de festons, lecteur bienveillant, et tant de sourires! Tant d’astragales et tant de fleurs! Assez de guipures authentiques pour habiller une cathédrale, assez de diamants pour aveugler tout un peuple de consciences jolies! Et des yeux dont chaque paire vaut tous ces diamants! Cent paires de ces yeux, le velours des masques allumant les prunelles et lissant le satin rose des joues demi-cachées, le brasier des lèvres rougissant sous la dentelle propice, les cheveux blonds baignant les rangs de perles ou de saphirs, les cheveux noirs ruisselant sous les rubis ou le corail, la poudre aux discrets parfums, la gaze aux aveux indiscrets, toutes ces hardies exhibitions de marbres de Paros, d’ivoire ou de simple chair humaine, qui rendraient un tableau obscène; mais qui, heureusement, dans un bal, ne sont pas même un péché véniel!

Tout le monde a décrit ces somptueuses cohues, tout le monde, hélas! excepté ceux qui sauraient opposer sur leurs palettes savantes les vraies lumières aux vraies ombres. Je n’ai jamais lu, moi qui parle, que les hosannah de quelques fades admirateurs, étonnés de se trouver à pareilles fêtes, ou les amères calomnies d’une plume de laquais, broyant son fiel du mauvais côté de la porte: le côté de l’antichambre.

Voulez-vous connaître mon avis? Je crois que ces choses ne se décrivent pas. Il y a trop de soleil là-dedans. Le clair-obscur y manque; aucun trait d’ombre vigoureux n’y vient faire saillir les motifs du tableau.

Le jour vient de partout.

Et les voyageurs ont dit que, sous le ciel meurtrier de l’Inde, la nuit naît de l’éblouissement.

J’achève ma confidence: décrire ces choses, j’entends sérieusement décrire, c’est avouer déjà qu’on ne les sait pas bien.

On pourrait, à la rigueur, se sauver par le ridicule qui est aussi une ombre, mais nous sommes en plein faubourg Saint-Germain, un pays démissionnaire qui a gardé de son glorieux passé, à tout le moins, la science du bal. Est-elle ailleurs, cette science? c’est probable. Elle est là, c’est certain. Le ridicule y doit exister, mais noyé, mais étouffé sous la belle apparence de l’ensemble. Pour le trouver, il faut fouiller les coins.

Et il est tard, dans notre histoire. Le dénouement, suspendu comme une invisible épée, menace déjà vaguement. Il y a une bataille dans l’air dont le champ nous échappe encore, et les armes, et les champions eux-mêmes, mais qui s’annonce par de mystérieuses oppressions, comme l’orage pèse déjà sur les poitrines nerveuses, au plein milieu d’un splendide jour d’été.

Nous savons que, dans ce bal, qui était magnifique et où dansait la meilleure moitié de la salle des Croisades, car la princesse d’Eppstein tenait étroitement aux plus hautes maisons du faubourg, nous savons qu’il y avait un élément vil, une intrusion effrontée; nous savons qu’une femme rôdait là, beauté de reine, cœur de lionne, prête à défendre son rêve ambitieux comme une lionne justement protège ses lionceaux, avec les dents, avec les griffes. Nous savons que cette femme, poussant le calcul jusqu’au génie, mais l’audace jusqu’à la démence, allait lancer ici sur le tapis quelque bizarre et prodigieux va-tout.

Il ne faut plus décrire, il faut raconter. Aussi bien, le récit décrira peut-être. À une heure du matin, le coup d’œil était véritablement merveilleux, et Tolbecque, le vrai juge, avait déclaré du haut de son orchestre, que c’était un bal première qualité.