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Et par-dessus tous ces bourdonnements, comme le dessin net d’une broderie court parmi des milliers de fils entrelacés, l’histoire de Clare allait, brodée aussi, aussi entrelacée.

Il y avait plus d’un quart d’heure que le grand avocat, M. Mercier, causait avec le prince Policeni.

Veuillez penser qu’il s’agissait d’une restauration, sujet particulièrement cher à M. Mercier et à presque tous ceux qui étaient rassemblés ici.

Plus d’une mère parmi celles qui étaient douées de filles à placer noblement suivaient déjà d’un œil diplomatique ce garde du corps du roi de Naples, chrysalide inconnue qui allait naître papillon. M. Cœur, le maître de l’atelier Cœur d’Acier, faisait rire. Un de Clare peindre des enseignes! Il avait tout le monde contre lui, excepté Mme la marquise douairière de La Rochegaroux, l’amie des Louis XVII passés, présents et futurs.

Mme la comtesse traversait les salons en se dirigeant vers l’aile en retour qu’on appelait le «billard», et qui était située immédiatement au-dessous de l’appartement du comte, son mari. En arrivant au dernier boudoir, elle appela du doigt un maître de cérémonies et lui parla bas un instant. Celui-ci alla droit vers la porte du billard, où quelques groupes se reposaient et causaient. La salle de jeu était dans l’aile opposée, à l’autre extrémité de la fête.

À dater de ce moment, sans affectation aucune, le maître de cérémonies resta en sentinelle à la porte du boudoir. Il laissait sortir, mais il s’inclinait silencieusement devant ceux qui voulaient entrer, et disait ces seuls mots, discrètement accentués:

– Mme la comtesse vous prie de l’excuser…

On pensait ce que l’on voulait et l’on allait ailleurs.

De cette façon le billard se vida peu à peu, parce qu’on en sortait et qu’on n’y rentrait point.

La comtesse et Léon de Malevoy s’étaient éloignés. Au moment où ils reprenaient leur promenade en sens contraire, Léon demanda:

– Qui est ce Buridan qui danse avec elle?

– Pauvre costume! répondit Marguerite. Est-ce pour me rappeler le passé que vous l’avez choisi vous-même?

Il y avait de la sévérité dans son accent. Léon n’y prit point garde et répéta:

– Qui est ce Buridan?

– Un démodé comme vous… Je n’en sais rien.

– M. Cœur est-il ici? interrogea encore le jeune notaire.

– Je l’attends, répliqua Marguerite, mais je ne l’ai pas encore rencontré. Le quadrille était fini: la princesse d’Eppstein et son cavalier passèrent à quelques pas d’eux, se dirigeant vers le billard.

Les deux Buridan échangèrent encore un regard. La comtesse dit:

– Je vais vous retenir un quadrille avec elle. Voulez-vous?

À ce moment, Léon sentit la pression d’une main sur son bras. Il se retourna: deux dominos noirs allaient lentement dans la foule, un homme et une femme.

La femme dit à Léon:

– Prends garde: ne joue pas avec le feu!

Ceci pouvait être une allusion au «volcan».

– Mon feu ne brûle pas, beau masque! répondit la Comtesse gaiement.

Léon cherchait et se demandait à qui appartenait cette voix qui ne lui était pas inconnue.

Les deux dominos avaient disparu.

La comtesse avec Léon, la princesse avec Roland, s’éloignèrent dans des directions opposées.

À la porte du billard où ils arrivèrent bientôt, Nita de Clare et son Buridan ne trouvèrent point d’obstacle. La consigne n’était probablement pas pour eux. Le maître de cérémonies s’effaça dès qu’il les vit approcher. Ils entrèrent.

Derrière eux, mais assez loin pour ne les avoir point vus, le domino noir qui avait dit à Léon: «Ne joue pas avec le feu», et son cavalier, masqué jusqu’au menton, voulurent pénétrer à leur tour dans l’aile réservée.

Le maître de cérémonies, debout en travers de la porte, salua et dit:

– Mme la comtesse vous prie de l’excuser.

Les deux dominos noirs échangèrent quelques mots à voix basse et s’éloignèrent.

La comtesse, qui venait de quitter le bras de Léon en lui disant: à bientôt, appela d’un signe de tête son joli vicomte Annibal et se dirigea vers la porte de sortie.

– Ils ne se rencontreront pas désormais! murmura-t-elle. J’y ai pourvu!

Puis elle ajouta:

– Mlle de Malevoy est dans le bal, le docteur Lenoir aussi. C’est une bataille rangée!

V Les toilettes de Marguerite

C’était une belle joueuse, cette Marguerite Sadoulas, une vraie Marguerite de Bourgogne! Vous la verrez au théâtre de la Porte-Saint -Martin, quelque jour! Elle n’enlevait aucune carte à ses adversaires. À quoi bon? elle avait ses cartes à elle, toutes faites.

Loin d’entraver le tournoi, elle ouvrait les barrières toutes grandes. Voyez quel délicieux paradis elle avait donné à Roland et à Nita pour leur première entrevue d’amour! Et comme elle avait aplani les obstacles sur leur route! Et comme aussi elle avait éloigné de leur tête-à-tête jusqu’au bourdonnement des voisins importuns.

Sous le masque, on trouve aisément la solitude au milieu de la foule; Marguerite savait bien cela, elle qui avait porté tant de masques. C’est égal! dans sa complaisante sollicitude, elle avait sablé de fin les moindres rugosités de la route, et sur le sable, volontiers, eût-elle ajouté un lit de feuilles de rose.

Ah! c’est qu’il ne lui fallait point aujourd’hui des amoureux à la glace; elle avait fait dessein de chauffer au rouge, cette nuit, la tiède atmosphère de cet honnête faubourg Saint-Germain.

Elle avait besoin pour son drame de deux jeunes premiers nerveux, alertes, dispos, ardents. Tout ce qui pouvait allumer leur sang et leurs sens lui était bon. Qu’est une bonne pièce mal interprétée? Une déroute: la pièce de Marguerite était bonne, quoique hardie au-delà des limites permises de la témérité. Pour jouer cela, il fallait du vitriol dans les veines de ses marionnettes.

Le lecteur a deviné depuis longtemps que le Buridan de la princesse d’Eppstein était Roland de Clare, M. Cœur en personne. Avant de suivre Roland et Nita dans ce sanctuaire, préparé par Marguerite pour la fête pure et charmante de leurs jeunes amours, il nous faut accompagner encore, pour un moment, cette Marguerite qui avait pris sur ses belles épaules le poids d’un monde à soulever.

Nous l’avons vue quittant le bal où elle avait mis en scène, dans toute la rigueur du terme, le prologue de son effrontée comédie.

Dans ce prologue, elle avait dit son dernier mot; le reste du premier tableau pouvait et devait se jouer sans elle. Il faut les entractes pour reprendre haleine, souffler et changer de costumes.

Dans l’escalier qu’elle montait à la hâte pour gagner son appartement, le vicomte Annibal Gioja la suivait essoufflé.

Sa première et sa seconde femme de chambre attendaient à la porte de son boudoir. Elle refusa leurs services, disant:

– Ce dont j’ai besoin, c’est une minute de repos. J’étouffe.

Elle entra et poussa le verrou sans bruit derrière elle. Annibal l’accompagnait toujours.