Du repos, cette nuit! quelle moquerie! Vous allez voir comme Marguerite se reposait!
– Monsieur le vicomte, dit-elle en ouvrant à deux battants l’armoire laquée dont elle avait emporté la clef, dans votre beau pays, on prétend que les hommes ont très souvent des talents de femme.
– On le prétend, belle dame, répondit Gioja qui se mit dans une bergère et s’éventa avec son mouchoir de batiste brodé.
– J’ai besoin d’une camériste, reprit la comtesse. Annibal eut son sourire d’ivoire; et repartit doucement:
– C’est un autre emploi que j’avais espéré chez vous.
La comtesse prenait à pleines mains dans son armoire de la gaze, de la soie, des rubans et disposait tout cela sur les meubles.
– Allons! debout, dit-elle. L’autre emploi n’est ni vacant ni donné. Vous avez des qualités, Annibal; mais j’ai peur que vous n’ayez pas cette bravoure un peu brutale, vous savez? Je vous crois doué seulement du courage civil.
– Je me suis battu en duel sept fois, belle dame, repartit le vicomte sans s’émouvoir autrement; mais il est certain que j’aime mieux regarder la pointe d’une épée que le blanc des yeux de certains hommes.
– Les yeux de M. Cœur, par exemple?
Annibal s’était levé. Il s’inclina, comme il eût dit: c’est vrai. Ils ont leur franchise.
– Et le notaire? demanda Marguerite en riant.
– Ces deux-là se mangeraient à belles dents! répondit Annibal avec conviction.
Marguerite l’appela d’un signe amical et murmura:
– Vous êtes un Napolitain de beaucoup d’esprit, vicomte. Venez là et faisons ma toilette. Ils se mangeront si je veux.
Les débris du volcan ravagé couvraient déjà le tapis. Tout ce rouge, toute cette pourpre, toutes ces flammes sanglantes tombaient autour de Marguerite comme feuilles mortes au mois de novembre. C’était bien une actrice et ce n’était que cela. Pensez-vous? on l’avait sifflée cette splendide créature, parce que l’agent de change d’une vulgaire coquine l’avait voulu. Et qui sait si tout ne venait pas de là? Vingt-cinq louis de sifflet peuvent précipiter une âme en enfer. Vingt-cinq louis d’agent de change!
C’était toujours une actrice, car sous son «volcan» elle avait un habit de ville. Les soldats se couchent tout habillés à la veille d’une bataille. Marguerite était préparée et gréée pour n’importe quelle transformation. À la rigueur, elle n’avait qu’un manteau à jeter sur ses épaules pour monter dans une chaise de poste et s’éveiller, fraîche comme une rose, à Bruxelles ou à Turin.
En voyant cette robe de dessous, le vicomte Annibal dit:
– À la bonne heure! la morale est sauvée!
Le regard que lui jeta Marguerite n’était pas exempt d’une certaine nuance de raillerie.
– À l’ouvrage! fit-elle. Et vite! nous ne sommes pas ici pour causer.
Ma foi, le vicomte Annibal pouvait avoir encore d’autres mérites, mais il est certain que, comme femme de chambre, il valait son prix. Tous les vicomtes, en définitive, ne sauraient pas coiffer une dame aussi nettement que le perruquier du coin. Il faut avoir étudié. Le vicomte Annibal prit d’une main savante cette fameuse perruque que Marguerite avait commandée chez le grand coiffeur de la rue Richelieu, le soir de sa première entrevue avec Léon de Malevoy; il l’examina en connaisseur et la planta d’un temps sur la noire chevelure de la comtesse. La perruque était blonde.
– On dirait les cheveux de cette chère petite princesse! murmura-t-il. Savez-vous que, dès la pastourelle, l’intimité était complète? Ils s’entre-appelaient mon cousin et ma cousine à bouche-que-veux-tu!
– Bah! fit Marguerite. Si tôt!
Elle ajouta:
– Puisque c’est la même nuance, coiffez-moi comme Nita.
Sur l’honneur, Annibal y avait la main. Sait-on ce qu’ils ont fait là-bas, avant d’arriver vicomtes à Paris?
Il coiffait bien, il coiffait très bien.
Marguerite se regarda dans la glace et lui pinça la joue maternellement.
Elle était blonde, et plus jolie. Blonde à ravir.
– Au teint, maintenant, Lisette, dit-elle. Un teint de blonde! Le teint de Nita!
Annibal frisa bien un peu sa moustache d’ébène, à ce nom de Lisette, mais il prit sur la toilette la boîte à fard, qui avait presque autant de compartiments qu’une boîte à pastels.
Nous savons de quelle passion il aimait la peinture. En deux minutes, avec son pinceau d’ouate il eut brossé sa blonde, délicate comme une rose du Bengale.
Fi de ceux qui ne savent pas rendre justice au talent! La comtesse ne lui épargna point les éloges.
– Au costume, maintenant, dit-elle. Et attention! Regardez-moi bien tout cela!
Annibal obéit. Ses yeux errèrent parmi tous ce frais fouillis de couleurs tendres et suaves. Il ne reconnut rien d’abord.
– N’avez-vous point vu quelque chose de pareil cette nuit? demanda Marguerite à voix basse.
– Cette nuit! répéta Annibal qui devint rêveur.
Il commença l’œuvre de la toilette sans rien ajouter. C’est à peine si la comtesse eut besoin de le diriger dans son travail. L’opération était à plus de moitié lorsqu’il murmura:
– Madame, ceci est une dangereuse confidence!
– Ah! ah! fit Marguerite, vous avez compris, à la fin!
– J’ai compris depuis longtemps, Madame.
– Et vous ne disiez rien?
– Je réfléchissais, prononça lentement Annibal. Cela ne mérite-t-il pas réflexion?
Marguerite se retourna, et leurs yeux se choquèrent.
– Ah! fit-elle, vous réfléchissiez sans ma permission! À quoi?
– Il n’y a qu’un nom, répliqua le vicomte, pour désigner l’homme à qui l’on se confie si profondément… et quand on n’épouse pas cet homme on le tue.
La comtesse haussa les épaules. Il ne manquait plus à son costume que le manteau de gaze. Sa taille et sa tournure étaient déjà exactement celles de la princesse d’Eppstein.
– Mon pauvre Annibal, dit-elle, vous ne me croiriez pas si je vous disais: je vous aime, et vous auriez raison; je ne vous aime pas. Je n’ai jamais aimé personne, je n’aime personne, je n’aimerai personne… Plus haut, ces nœuds d’azur, je vous prie; Nita les a presque sur l’épaule… Qui vous a dit que vous ne seriez pas mon mari?
– Vous avez inventé encore un duc de Clare cette nuit. Un Italien comme moi: ce prince Policeni.
– J’en inventerai d’autres… disposez les contre-glaces, afin que je me voie par-derrière. Bien! cette affaire doit se présenter au public sous la forme d’une énigme inextricable: c’est nécessaire… L’écharpe qui tombe de mes tresses descend trop bas; fixez-la à gauche, près de ma ceinture. Vous êtes-vous piqué, pauvre Annibal?… J’ai besoin, pour en revenir à nos moutons, j’ai besoin d’un imposteur solennellement démasqué: ce garçon sera l’imposteur… démasqué.
– Le prince Policeni?
– Fils d’un ancien piqueur du duc Guillaume, et qui, par conséquent, peut connaître tous les secrets de la maison, et en abuser.
Les yeux d’Annibal s’ouvrirent tout grands.