Выбрать главу

Au lieu de passer la porte des salons, il prit le vestibule, mit son manteau et sortit.

Marguerite, elle, de son pas léger et tranquille, traversa toute la longueur du corridor et gagna l’aile opposée où étaient les appartements du comte.

On ne peut pas dire qu’elle fût pensive; ses réflexions étaient faites. Elle marchait vaillamment dans cette route tortueuse, dont elle avait marqué d’avance tous les coudes et tous les retours.

Dans l’antichambre du malade, un vieux valet dormait à demi.

– Comment va-t-il, bon Valentin? demanda Marguerite en entrant.

– Ah! Madame la princesse, répondit le valet, comme on reconnaît bien Votre Altesse, malgré le masque! M. le comte est avec son médecin et une dame que je ne connais pas. Il va être bien content de vous voir.

Marguerite hésita et fut sur le point de se retirer.

Mais, après tout, c’était une épreuve. Et quelle épreuve plus décisive pouvait-on choisir? Marguerite savait le nom de la dame qui était avec le docteur Lenoir. Elle allait affronter la présence de Rose de Malevoy, l’amie de pension de Nita! Elle allait défier le regard de Rose de Malevoy, son instinctive, sa mortelle ennemie!

Elle entra et dès le seuiclass="underline"

– Bon ami, au risque de vous déranger, je suis venue. On m’a dit que vous vous trouviez beaucoup mieux.

– Nita! s’écria une femme en domino noir qui était debout au chevet du lit où le comte se tenait sur son séant, que je suis contente de te voir!

– Rose! fit la comtesse, qui s’arrêta comme frappée de surprise. Ton frère vient de me dire que tu étais souffrante, et j’ai ta lettre annonçant que tu ne viendrais pas. Que signifie cela?

Le docteur Lenoir et le comte gardaient le silence. Évidemment, on avait tenu conseil ici. Marguerite alla droit à Rose et l’embrassa.

– Je n’ôte pas mon masque, dit-elle, il est pris dans mes cheveux et je crois qu’il faudra me tondre pour me l’enlever.

– Tu as donc vu mon frère? demanda Rose de Malevoy.

– Mais oui, répondit la fausse princesse d’Eppstein qui s’approcha du malade et lui donna son front à baiser. Je le quitte.

– Et sait-il ce qui se passe ici?

– Ici? répéta la princesse d’un air innocent. Il se passe quelque chose?

– Cet Italien qu’on promène! poursuivit Mlle de Malevoy avec colère, ce prince Policeni! tu n’as pas entendu que tout le monde l’appelle déjà le duc de Clare!

– Ma foi non, répondit la prétendue Nita; j’ai causé avec Roland…

– Chère enfant! murmura le comte. Nous veillons pour vous.

«Bon! pensa Marguerite, mon mari est franchement contre moi. Ayez donc des remords!»

– Vous avez été plus heureuse que nous, princesse, dit en ce moment le docteur Lenoir. Nous avons essayé de parler à M. de Malevoy; mais Mme la comtesse n’a cessé de l’accaparer.

– C’est vrai, dit Marguerite. Que pouvaient-ils donc avoir ensemble? Bon ami, vous avez bien meilleur visage.

– Voulez-vous me permettre de vous demander, reprit le docteur, si c’était vous qui étiez tout à l’heure dans le billard, ici, au-dessous?

– Et si tu étais avec M. Roland? ajouta Rose.

– Nous avons été ici et là, répliqua Marguerite ingénument. Je pense bien que nous sommes entrés dans le billard.

– Et l’on vous a laissé passer? interrogea le comte.

– Ah! non! fit la fausse Nita, comme si un souvenir subit l’eût frappée.

Je me le rappelle maintenant. Ce grand dadais de M. Constant, déguisé en maître de cérémonies, nous a barré le passage en marmottant: «Mme la comtesse vous prie de l’excuser…» ou quelque chose comme cela.

– Alors, s’écria Rose, qui est-ce qu’elle cache là-dedans?

Le docteur se leva.

– Princesse, dit-il, grâce à vous, j’espère que nous allons rejoindre M. de Malevoy, à la fin!

Marguerite eut le rire argentin qui rendait Nita si jolie.

– Est-ce bien pressé? demanda-t-elle.

– Pauvre chère! murmura Rose à son oreille, si tu savais ce qui se passe!

– Rien ne menace Roland, mon cousin, j’espère! s’écria Marguerite en reculant d’un pas et avec un geste qui était un chef-d’œuvre.

On ne lui répondit point.

– Écoutez, dit-elle, je suis toute drôle cette nuit, et quelque chose me serre le cœur. Je ne crois pas aux pressentiments, au moins. J’aurais dû vous le dire tout de suite, mais je ne sais à quoi je songe… j’avais oublié. M. de Malevoy est sorti.

– Sorti! répétèrent les trois assistants d’une seule voix.

– Il est retourné chez lui… pour les papiers qu’on lui a enlevés. Oui, c’est cela, Mme la comtesse lui a donné des indications…

– Fausses! l’interrompit Rose dont la voix tremblait de colère. Elle a voulu l’éloigner! Elle a réussi!

– Êtes-vous sûre qu’il est à son étude? demanda M. Lenoir qui prit son chapeau sur un siège.

– Oui… et puis voyons, que je me souvienne. Il a parlé de la rue de la Sorbonne.

– L’atelier Cœur d’Acier! s’écria Rose.

– Ou la maison Jaffret! fit le comte. Je donnerais cinq cents louis pour pouvoir sortir!

Le docteur était déjà à la porte. Rose s’élança sur ses pas.

– Je vais avec vous, docteur, dit-elle.

– Qu’ont-ils donc? demanda Nita quand ils furent partis. Bon ami, je vous quitte aussi. J’ai promis la prochaine valse à mon cousin Roland… mais je reviendrai. Ils me font peur, savez-vous?

– Soyez tranquille, ma fille, dit le malade en lui baisant les mains. Nous veillons autour de vous.

Elle s’enfuit.

Comme elle descendait le grand escalier, elle entendit le roulement d’une voiture, qui allait s’éloignant.

– Double victoire! pensa-t-elle. L’épreuve est faite et les voilà partis! J’ai pour le moins une grande heure devant moi. Or, dans une heure, tout sera dit.

VI Le premier tête-à-tête

En vérité, la vraie princesse Nita d’Eppstein et son beau cousin Roland de Clare – M. Cœur – ne se doutaient guère de tout ce qui se machinait autour d’eux. Nous avons un arriéré à régler avec M. Cœur, que nous perdîmes de vue le fameux soir du feu d’artifice. Nous savons seulement que, le lendemain, il s’était rencontré avec Mlle de Malevoy, entre la pauvre tombe de sa mère et la grande sépulture de Clare. Rose était une noble fille, fidèle et droite. Il y avait en elle trois sentiments de valeur inégale, mais forts tous les trois et qui grandissaient dans cet ordre: son amitié d’enfance pour Nita, son affection profonde et dévouée pour Léon qui lui avait servi de père, son amour pour Roland.

Cette passion romanesque, née d’un regard, nourrie au début, peut-être, par ses entretiens de pensionnaire, et qui, depuis sa sortie du couvent, remplissait sa solitude, avait été comme l’unique aliment de sa pensée. Le roman vit bien plus qu’on ne croit chez celles qui jamais n’ont lu de romans; il serait presque vrai de dire que ces ignorantes de la fiction sont moins défendues que les autres contre l’imagination ennemie. Le roman, à toute rigueur, est une initiation et une expérience, si incomplètes et si mensongères qu’il vous plaise de les juger. Pour celles qui ne savent rien touchant la vie, ni la vérité, ni l’erreur, les choses prennent physionomie de miracles et arrivent à l’improviste comme de foudroyants coups de théâtre.