Elle traversa l’antichambre et introduisit Léon au salon, éclairé par une seule lampe.
– Asseyez-vous, dit-elle, Monsieur de Malevoy. Vous êtes chez moi. Vous! un jeune homme! vous êtes chez la princesse Nita de Clare!
Léon obéit, mais elle resta debout. Léon la regardait.
Pas un instant l’ombre d’un doute ne lui vint. Elle porta la main à son masque, comme pour découvrir son visage, mais son bras retomba le long de son flanc.
– Non! murmura-t-elle. Oh! non, ceci est mon courage. Si votre œil était sur mes traits, je rougirais misérablement, et je pâlirais, et je tremblerais…, il me faut ce voile pour oser!
Léon gardait le silence. Il attendait, plein d’épouvante, mais aussi d’espoir.
Elle enleva, d’un geste violent, un châle de crêpe qui était jeté sur le guéridon comme par hasard. Sous le châle il y avait deux pistolets. Le vicomte Annibal avait rempli sa tâche.
– Tenez! dit-elle d’une voix étouffée, j’ai de ces choses-là chez moi!
Léon essaya de se mettre sur ses pieds.
– Oh! restez assis, fit-elle, nous ne sommes qu’au commencement!
Elle ajouta en repoussant les pistolets:
– Est-ce pour me défendre? Est-ce pour me tuer? Je n’en sais rien moi-même! Il y a des heures où je suis folle!
– Nita! au nom de Dieu! expliquez-vous! s’écria Léon, pris d’une véritable angoisse.
Elle vint jusqu’à lui et prononça d’une voix brisée:
– Vous allez bien voir que je ne pouvais pas ôter mon masque… Monsieur de Malevoy, on m’a dit que vous m’aimiez. Si vous m’aimez, je puis encore être sauvée.
Ce fut une joie trop violente; Léon chancela et ses yeux se voilèrent.
Elle attendait et ne parlait plus; seulement, on voyait, sous la gaze, les spasmodiques battements de son sein.
Léon se laissa glisser à deux genoux.
– Il faut me pardonner, balbutia-t-il. Je ne crois pas à ce que j’entends. Je cherche à m’éveiller d’un rêve qui, en s’évanouissant, va me laisser tout au fond de ma misère!
– Je n’ai pas beaucoup de force, Monsieur de Malevoy, fit-elle d’une voix qui allait s’altérant, comme si sa vigueur physique n’eût point été à la hauteur de sa vaillance morale. Notre temps est bien précieux désormais. Répondez, oui ou non: m’aimez-vous?
– Si je vous aime, Nita! s’écria Léon dans un élan de passion qui fit jaillir les larmes de ses yeux. Il y a une chose qui m’est bien chère, plus chère mille fois que ma vie, c’est l’honneur de mon nom, seul héritage que je puisse laisser à ma sœur. Nita, Nita! depuis une semaine, je joue mon honneur contre je ne sais quelle chance impossible qu’on jette à ma folie comme un appât. Je suis payé pour ne pas avoir confiance en Mme la comtesse du Bréhut, et cependant, sur un simple mot d’elle…
– Vous avez raison, l’interrompit Marguerite, de ne pas avoir confiance en Mme la comtesse du Bréhut. Relevez-vous et donnez-moi votre main.
Léon obéit. Il sentit que la main de sa compagne était glacée, mais ferme.
– Vous avez raison de m’aimer, reprit-elle encore. Je vous en remercie. J’accepte cet amour, entendez-vous bien, Monsieur Léon de Malevoy, librement et avec reconnaissance. Même en ce moment où j’ai tant besoin d’aide, je ne saurais pas mentir. J’ai eu pour un autre que vous un sentiment tendre, une sympathie qui était peut-être de l’amour…
Elle s’arrêta, pensive. Léon dit:
– Ma sœur a prononcé un nom devant moi.
– Rose! s’écria la fausse princesse d’Eppstein impétueusement. Pauvre chère âme trompée! Oh! ne craignez rien, Léon! je ne l’accuserai pas. Mais si je n’ai jamais bien lu dans mon cœur, je connais le sien. Elle aime avec passion…
– Je le sais, l’interrompit Léon qui courba la tête. Elle me l’a dit!
– Rose! ma meilleure, ma seule amie! poursuivit Marguerite qui se détourna pour soulever son masque à demi et essuyer une larme. Elle combat contre nous sans le savoir; elle est au nombre des victimes désignées. Mais laissez-moi achever, Monsieur de Malevoy: je ne saurais mentir, vous ai-je dit: ce que je ressens pour vous n’est pas encore de l’amour.
– N’est-ce pas assez, dit Léon avec ferveur, que vous me laissiez vous adorer à genoux!
– Non, répliqua Marguerite, ce n’est pas assez. Mon père avait songé à nous marier, Monsieur de Malevoy.
Le siège de Léon eut de lui-même un mouvement de recul. Marguerite ajouta, sûre d’elle et sachant que nul excès ne pouvait être ici une maladresse:
– Vous êtes gentilhomme. Mon père, en mourant, avait le désespoir dans l’âme. Il savait que les Habits Noirs, maîtres d’un secret de famille, étaient autour de l’immense fortune de Clare comme les chacals autour d’une proie…
– Mais je vous parle mal, Monsieur de Malevoy! s’interrompit-elle en un élan de naïve terreur. Ce n’est point cela qui pourra vous déterminer. J’avais bien commencé: vous êtes gentilhomme. Je vous connais par notre pauvre chère Rose, à tout le moins… et je vous promets, oh! je vous jure que je vous aimerai!
C’était jeune à un point que nous ne saurions dire, et c’était joué si merveilleusement, que le but faillit être dépassé.
Devant cette enfant qui semblait prise de vertige, Léon eut comme un scrupule.
Marguerite avait compté là-dessus. Elle se tordit les mains, disant avec un découragement soudain, mais noté d’avance:
– Vous ne m’aimez plus, parce que je viens m’offrir à vous!
Et avant que Léon eût le temps de protester, elle ajouta en un pétulant éclat de voix:
– Ou bien vous ne croyez pas au danger!
– Écoutez! s’interrompit-elle, désordonnée et si belle que tout le cœur de Léon se suspendait à ses lèvres, j’aurais mieux fait de vous dire tout de suite où j’en suis, mais la fille du duc de Clare, qui se jette à la tête d’un homme étonné, presque effrayé…
– Madame, dit Léon, d’une voix grave, vous n’avez pas voulu que je reste à genoux.
– Oh! que vous êtes bon et noble! s’écria-t-elle. Je vous aimerai, je vous aimerai. Ne suis-je pas trop jeune, dites, Léon, pour être ainsi assassinée?
– Assassinée! répéta Léon qui bondit.
Elle lui saisit les deux mains avec une force convulsive.
– Surtout ne me croyez pas folle! prononça-t-elle d’une voix creuse et qui sortait péniblement. C’est là le péril. L’idée de folie viendrait pour moins que cela. Ils sont ligués tous deux, ce M. Cœur et Marguerite, ligués étroitement. Il a fallu que je le voie pour le croire. Ce M. Cœur doit m’épouser, c’est convenu entre eux pour éviter tout procès. Je serai sa première femme, comme le comte, mon tuteur, est le premier mari de Mme la comtesse!
Ces derniers mots sonnèrent, lugubres, dans le silence de la maison solitaire.
– Comprenez-vous? demanda Marguerite.
Et comme Léon de Malevoy ne répondait point, stupéfié qu’il était par l’horreur de cette révélation, elle ajouta en se laissant enfin tomber à ses côtés sur un siège:
– M. le comte mourra, moi aussi: la comtesse et cet homme seront le duc et la duchesse de Clare!
VIII La fin de la comédie