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– Tout est changé! prononça-t-elle d’une voix morne. Nous n’avons pas parlé de choses sérieuses, là-bas…

Elle montrait les fenêtres éclairées du billard.

– Nous avons parlé de notre amour, dit Roland avec reproche.

– Et il me semble que je vous aime à chaque instant davantage… mais nous étions fous, Roland! Dites-moi que vous êtes fort! Dites-moi que vous êtes brave! Dites-moi que vous allez me défendre et me protéger!

Elle croisa ses deux mains sur l’épaule de Roland qui entourait de son bras sa taille flexible et frémissante.

– Au nom de Dieu, Nita, dit le jeune homme qui sentait les spasmes de sa poitrine, qu’avez-vous? parlez! Contre qui faut-il vous protéger et vous défendre?

– Contre la comtesse, répondit Marguerite, étudiant mieux les inflexions de sa voix, depuis qu’on lui avait parlé d’un changement survenu en elle, contre M. Léon de Malevoy…

– Celui-là! s’écria Roland avec une soudaine colère: je vous l’avais bien dit! quelque chose m’avertissait!

S’il eût fait jour, Marguerite n’aurait pu cacher l’éclair qui brilla dans ses yeux. Elle tenait le renseignement cherché: la vraie Nita et Roland avaient parlé de Léon de Malevoy.

– C’est vrai! murmura-t-elle en étouffant un soupir de triomphe, vous me l’aviez bien dit. Je ne voulais pas le croire! L’homme en qui mon père avait mis toute sa confiance! le frère de ma meilleure amie!…

– Nita, prononça Roland d’une voix impérieuse et presque sévère, j’exige que vous me disiez à l’instant même de quoi je dois punir M. de Malevoy!

La fausse princesse se détacha de lui et joignit les mains, comme si elle l’eût regardé avec admiration.

– Oh! fit-elle, merci de parler ainsi, Roland, mon bien-aimé Roland! si vous saviez combien je suis heureuse de cet ordre que vous me donnez! Mais pas à présent, je vous en supplie… à présent, il faut fuir!

– Fuir! répéta Roland, moi et vous! Fuir cette maison qui est à l’un de nous deux, qui est à tous deux!

– Et qui est pleine de dangers, auxquels ni vous ni moi ne saurions résister, Roland. Écoutez-moi, ayez pitié de moi! Une fois hors du seuil, je vous expliquerai tout! Je ne suis pas une folle, allez! Il y a là au-dessus du boudoir où nous causions d’amour un homme qui se meurt et qui pourrait vous dire si mes craintes sont extravagantes! Vous avez les titres sur vous, les titres qui vous assurent la victoire. Avec ces titres, une fois hors d’ici, vous êtes mon maître, vous êtes le maître de ceux qui nous combattent…

– Mais, objecta Roland, dans ce bal, au milieu de cette noble foule, mes titres à la main, ne suis-je pas aussi le maître?

La prétendue Nita demanda tout bas:

– Comment les avez-vous eus, ces titres?

Et comme Roland hésitait, sacrifiant systématiquement et un à un tous ses secrets, à cette heure de la suprême partie qui ne devait point avoir de revanche, elle ajouta:

– Il a bien fallu quelque chose pour me changer, comme vous dites, Roland, et pour me ramener tremblante dans vos bras où j’étais tout à l’heure si joyeuse. J’ai entendu, vous saurez tout cela plus tard, j’ai surpris la conspiration. La comtesse elle-même a favorisé l’enlèvement des titres. Pensez-vous que vos pauvres grotesques de l’atelier Cœur d’Acier eussent réellement pu lutter contre la comtesse? Vous la connaissez bien, pourtant; si l’absurde complot de vos amis a réussi, c’est que la comtesse était complice. Et pourquoi était-elle complice? C’est qu’à votre première attaque, dans cette fête, où précisément son terrain est préparé le mot vol sera prononcé. Les légitimes propriétaires ne volent pas, mon cousin; vous êtes tombé dans un piège. Et autour du piège, il y aura un juge d’instruction, un avocat dont la gloire est européenne, et toute une armée de témoins apostés. Roland, nous ne faisons plus qu’un seul cœur. C’est pour moi que je tremble, mais c’est à cause de vous!

Elle opéra sur la main de Roland une douce et caressante pression; la main céda, le corps suivit. Roland fit un pas vers la terrasse, puis deux.

Marguerite disait:

– Jusqu’à mon dernier jour, je vous serai reconnaissante de ce sacrifice. C’est là que je vois comme vous m’aimez!

– Où allons-nous? demanda Roland. Marguerite hésita, tant le pas était dangereux.

Mais elle n’hésita qu’un instant. Elle attira les mains de Roland jusqu’à son cœur et murmura d’une voix qui était plus suave qu’un chant:

– Mon cousin, mon fiancé, mon mari, Roland, duc de Clare, me donnera un asile dans sa maison, où tout le monde me respectera, lui le premier!

– Marchons! dit le jeune homme.

Ils montèrent la pente de la terrasse.

À peine avaient-ils dépassé l’entrée de l’appartement du comte, que la porte-fenêtre s’ouvrit sans bruit, donnant issue à trois personnes: deux dominos noirs et une sorte de spectre couvert d’un long manteau, qui allait tout chancelant. Ni Roland ni sa compagne ne virent ce mouvement.

Le reste fut rapide comme l’éclair, et il faudrait les planches d’un théâtre pour dérouler, presque sans paroles, la vive succession de ces suprêmes péripéties.

Péripéties de tous côtés à la fois, car le bal aussi semblait en trouble. De l’hôtel, un sourd fracas venait que ne dominaient plus les accords de l’orchestre. On eût dit que les splendeurs charmantes de cette fête aboutissaient à un dénouement tragique.

Marguerite entendait bien cela. Rien jamais ne lui échappait. Elle se disait:

«Mon premier mari est mort.»

Elle n’en était que plus ardente à la besogne.

La besogne, merveilleusement préparée, devait, du reste, se faire toute seule désormais.

C’était une finale sans musique, dont tous les effets étaient réglés d’avance.

Il commença par un éclat de foudre. Au moment même où la fausse Nita et Roland passaient le seuil du petit hôtel, Léon de Malevoy, traversant le salon en courant, parut à la porte opposée.

Il venait annoncer que la voiture était prête; mais il n’eut pas le temps de prononcer un seul mot.

Marguerite échevelée, se laissa tomber à genoux en levant les mains vers le ciel.

– Voilà ce que je craignais! s’écria-t-elle. Nous avons trop tardé. Oh! défendez-moi! défendez-moi!

Ces mots perfides qui, par suite des deux tête-à-tête successifs, s’adressaient aussi bien à Léon qu’à Roland, lancèrent les deux jeunes gens l’un contre l’autre.

Ils se démasquèrent en même temps.

Aucune insulte ne tomba de leurs lèvres.

– Il y a des armes ici! dit seulement Léon dont les lèvres contractées se crispaient.

Et il rentra dans le salon.

Roland l’y suivit.

Chacun d’eux prit un pistolet.

Derrière eux, Marguerite, achevant jusqu’au bout sa terrible création de comédienne se traînait sur les mains et sur les genoux.

Elle râlait.

Elle balbutiait, comme si elle eût été une pauvre folle, et comme, certes, eût fait Nita, si la comédie eût été réalité.

– Pitié, Grâce, mon Dieu! mon Dieu! Pitié!