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Les costumes cadraient avec le décor, et il se trouva que l’apparition complétait justement l’ensemble des costumes.

C’était la reine – cette trop fameuse reine masquée de velours, qui faisait alors trembler du parterre au paradis la salle comble de la Porte-Saint -Martin, la reine, blanche derrière son loup noir dont les trous laissaient sourdre du feu, la reine mystérieuse et amoureuse qui assurait à coups de couteau, selon l’évangile du boulevard, le secret de ses infâmes plaisirs.

Et cependant, ô pauvres reines! que fîtes-vous à ces hommes de plume pour être ainsi traînées dans le sang et dans la boue!

Vous étiez belles, vous étiez puissantes, vous n’aviez qu’à ouvrir vos douces mains pour répandre ces bienfaits qui découlent si facilement du trône. Que leur fîtes-vous à ces dramagogues? L’une de vous, belle entre les plus belles, laissa tomber un jour son adoré sourire dans le panier du bourreau. Qu’avait-elle fait? Ici-bas, l’auréole est terrible à porter, et vous aviez trop de rayons autour de votre front, ô pauvres belles reines!

La reine, la nôtre, la farouche reine des noyés et des assassinés, Marguerite de Bourgogne, avec son costume historique merveilleusement drapé, ses perles, son corsage d’or et son diadème royal, ruisselant de pierreries, encadrait l’admirable majesté de sa personne dans le parallélogramme sombre, formé par l’ouverture de la porte. Elle était debout et immobile. Elle avait le masque de rigueur qui montrait seulement une étroite ligne d’ivoire au-dessous de ses cheveux et le bas de son visage.

Malgré le masque, elle fut reconnue du premier coup d’œil. Ce costume était le sien. Il lui appartenait par droit de conquête.

– Marguerite de Bourgogne! prononcèrent quelques voix, trahissant un tout autre sentiment que le plaisir.

Et d’autres:

– Marguerite Sadoulas!

La reine ôta son masque, découvrant ce visage de vingt ans dont nous avons dit la suprême beauté. Elle était très pâle, mais elle souriait.

– Oui, mes seigneurs, fit-elle gravement, Marguerite de Bourgogne, Marguerite Sadoulas.

Puis elle ajouta, changeant de ton, avec une gaieté un peu forcée:

– Bonsoir, l’étude Deban! vous avez un maigre souper. Je croyais trouver ici mon Buridan, Léon Malevoy…

– Ma fille, l’interrompit Comayrol, qui s’était levé, on ne nous a pas donné ton Malevoy à garder. Il y a des jours où tu nous ferais plaisir en venant ainsi nous surprendre; mais aujourd’hui…

– Aujourd’hui, je vous gêne, l’interrompit Marguerite à son tour.

– Tu l’as dit. Aujourd’hui tu nous gênes.

Elle fit un pas en avant, développant sans effort la gracieuse richesse de sa taille. Elle portait haut sa tête souriante. Les jeunes gens l’admiraient d’un regard ardent. M. Beaufils l’examinait en connaisseur et du coin de l’œil.

– Monsieur Comayrol, reprit-elle, vous n’avez pas le droit de me tutoyer. Je ne sais pas si nous sommes amis, tous deux; j’en doute. Faites-moi place à table, je vous prie, j’ai à causer avec vous.

En passant, elle tendit la main à Letanneur qui lui dit:

– De quoi, diable, viens-tu te mêler, Marguerite?

Le bon Jaffret se rapprochait déjà de la porte de sortie.

– Je viens pour affaires, répliqua la belle fille. Que personne ne sorte!

Elle s’assit.

La colère faisait trembler les lèvres de Comayrol.

– Nous ne sommes pas très galants, dites donc! gronda-t-il entre ses dents serrées, et avec une gaillarde de votre espèce, on ne prend pas de gants beurre frais…

– Asseyez-vous, fit-elle.

Comayrol, au lieu d’obéir, promena autour de la table un regard qui voulait dire:

«Si on la jetait par la fenêtre!»

Elle répondit à ce regard, comme si ce fut traduit par des paroles:

– Je suis entrée par la fenêtre et je sortirai par la porte.

«Comprenez donc, ajouta-t-elle d’un ton de bonhomie qui affirmait son absolue confiance en elle-même. J’ai pris la peine de casser un carreau et de faire toutes sortes de folies pour savoir au juste ce qui se disait ici.

– Vous avez entendu!… commença le maître clerc dont le regard âpre se faisait sérieusement menaçant.

– Tout, l’interrompit Marguerite. Vous avez bien parlé, Monsieur Comayrol. Présentez-moi donc à M. Beaufils, l’ambassadeur de la maison Lecoq.

– Vayadioux! grinça le maître clerc qui n’en arrivait aux jurons de terroir que dans les grandes gaietés ou dans les grandes colères, nous n’avons rien dit qui puisse nous compromettre, et tu vas la danser, ma fille!

Mais M. Beaufils dessina de la main un geste pacificateur.

– On ne peut pas savoir, murmura-t-il. Mademoiselle est une bien belle personne… mais là, tout à fait, parole d’honneur!

– Vous ne la connaissez pas… commença Comayrol.

– C’est pour cela, Majesté, que j’ai envie de faire sa connaissance. Du calme. On ne gagne rien à casser les vitres… en dedans, se reprit-il en saluant Marguerite d’un sourire, car, au-dehors, cela peut servir à entrer. Expliquons-nous.

Le maître clerc était en train de reprendre son siège en haussant les épaules avec mauvaise humeur, lorsque le bon Jaffret poussa un petit cri et montra de son doigt crispé la porte par où Marguerite était entrée.

Une seconde apparition était là, bien différente de la première.

Une grosse tête livide, bouffie, coiffée de cheveux blonds hérissés, si défaite et si bouleversée qu’on eût dit un fiévreux échappé de l’hôpital.

– La brute! dit le premier Letanneur, qui se mit à rire. Voilà qui va bien! il paraît que la séance est publique.

– On ne viendra plus, répliqua Joulou d’une voix rauque et pénible. J’ai fermé le volet.

– Et pourquoi es-tu venu toi-même? s’écria le roi Comayrol qui le saisit au collet.

Ce fut une mauvaise idée. Joulou, sans autrement se fâcher, et tout en gardant la somnolente expression de son regard atone, appuya sa grosse main contre la poitrine du maître clerc et l’envoya heurter la muraille.

– Je suis venu parce qu’elle est là, dit-il en même temps et comme s’il se fût parlé à lui-même. Où elle va, je vais. J’ai le droit d’entrer où elle entre. Elle est à moi: je l’ai achetée assez cher!

– Faites une place au vicomte! dit Marguerite.

Elle appuya fortement sur ce dernier mot, et M. Beaufils se caressa le menton d’un geste tout approbateur, en lorgnant le nouveau venu.

Joulou s’assit dans la propre chaise de Comayrol, mit son coude sur la table, sa tête dans sa main et ne parla plus.

– Part à dix, répéta lentement Marguerite au milieu d’un silence qui semblait de plomb. Voici le dixième venu: nous sommes au complet, peut-on causer raison? Ne vous désolez pas trop de l’arrivée de deux intrus. Ils sont utiles et vous les attendiez. Ils ont devancé l’appel, voilà tout, et qu’importe? Ce n’est pas votre avis, Monsieur Comayrol? vous comptiez ici retirer tranquillement les marrons du feu. N’ayez pas peur. Chacun dans notre association profitera selon son intelligence. Votre discours m’a sincèrement intéressée. Je l’ai médité, je l’approuve… Seulement, pour que l’aîné de la famille tienne décemment la maison, il lui faut une femme. Vous manquiez de femme. Je vous apporte la femme.