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M. Beaufils répondit:

– Un titre de duc, la pairie et trois cent mille livres de rentes… Il fera jour demain et nous causerons à notre aise.

– Bonhomme, dit-il au roi Comayrol dès qu’il eut franchi la porte du cabinet, fais ranger ma chiourme et qu’on présente les armes. Il ne s’agit plus de badiner. Tous ces agneaux-là en savent trop long désormais pour qu’on ne les tienne pas solidement liés par la patte!

L’étude Deban tout entière ouvrit de grands yeux, et ce fut comme dans le conte villageois, où quelques pauvres diables, enhardis par la chopine, s’avisent d’évoquer le diable, sans trop d’espoir de le voir venir.

Quand le diable paraît, tout le monde a la chair de poule.

Il semblait que tout le monde vît ce M. Beaufils pour la première fois.

– Vous avez de la chance, mes petits, reprit-il. Vous voilà constitués en loge du second degré sans peine ni soins, ni mise de fonds. Vous êtes les associés d’une maison qui prêterait de l’argent au roi, si elle voulait. Mais pas si sotte! Vos sous viennent de se changer en francs, par l’opération du Saint-Esprit, et demain vos francs seront des pistoles. Est-ce gentil, cela? On ne vous impose pas d’épreuves; vous êtes l’étude Deban, ça suffit. On ne vous demande pas de serments; Mlle Marguerite vient de vous dire comme quoi vous avez une corde au cou… Elle sera de soie et d’or, mes chérubins, votre corde, mais elle pendra toujours à ce balcon. Là-haut, d’où l’on a vu le Buridan tomber dans son sang… Tais-toi, Comayroclass="underline" tu vas dire un enfantillage!… Vous êtes innocents comme des nouveau-nés; qui en doute? J’étais là tout comme vous… mais il y a un coupable, pas vrai? Ces choses-là, ça ne se fait pas tout seul… Eh bien! partez de ce principe que le coupable ne viendra jamais réclamer sa prime devant le juge de paix… et soyez sages!

L’auditoire était effrayé mais content. C’était, en définitive, un peuple d’aventuriers. Ils avaient évoqué le diable. Le diable était là.

Seul, peut-être, le bon Jaffret s’en fût allé, si l’on avait ouvert les portes. Encore serait-il revenu.

Le diable parlait haut. Ce sont les bons diables, il avait du succès. Personne ne protesta contre cette corde métaphorique que chacun avait au cou. Il y a corde et corde, La Fontaine l’a dit, lui qui s’y connaissait: un chien sachant vivre se vante de son collier.

M. Beaufils reprit, après avoir jeté sur son auditoire un regard satisfait:

– Comayrol, mon vieux, tu conserves la place de premier clerc, sauvegardons les positions acquises. Seulement je te mets aux ordres immédiats de Madame la vicomtesse. Si tu te sens plus fort qu’elle, tu lui monteras sur la tête à la longue, mais prends garde! C’est un joli sujet. Amène le portefeuille!

À ces mots «Madame la vicomtesse» Joulou, qui semblait une masse inerte, avait fait un vague mouvement.

Marguerite le regardait d’un air inquiet.

Comayrol donna le portefeuille. M. Beaufils le tendit à Marguerite en disant avec gravité:

– Le Père n’a besoin de personne en thèse générale. Il tient dans sa manche des gens qui sont véritablement au-dessus du niveau. Cependant, des vides peuvent se produire parmi les frères, et nous sommes tous mortels. Il se trouve que le Père est bien aise de recruter un gentilhomme pour une opération magnifique qui est semée déjà, levée, sarclée, et qui va mûrissant. L’opération sera ultérieurement expliquée. Vicomtesse Joulou, voulez-vous être la bergère de cet aimable troupeau qui est, je suppose, l’entourage et la clientèle de notre gentilhomme; voulez-vous tenir l’enjeu d’une grande partie?

Au moment où Marguerite ouvrait la bouche pour répondre, Joulou redressa son front morne où la sueur froide collait ses cheveux. Il fixa ses yeux sur M. Beaufils et lui dit:

– Vous, taisez-vous! Je vous défends de prononcer le nom de mon père!

Tout le monde ici connaissait «la Brute» de Marguerite Sadoulas, et personne ne s’attendait à cet incident.

Marguerite, pâle, les dents serrées, darda sur son esclave un regard tout envenimé de mépris et de haine.

– Qu’est-ce que tu as dit! s’écria-t-elle comme on menace les enfants. Répète donc!

– J’ai dit ma manière de voir, répliqua Joulou, qui abrita son regard, indécis déjà, derrière ses gros sourcils blonds. Tu ne me fais pas peur. Personne ne me fait peur!

M. Beaufils se mit à cheval sur une chaise retournée et posa son menton contre le dossier, examinant tour à tour Marguerite et sa brute. Comayrol, qui était vaguement de l’opposition, eut un sourire narquois. Les autres attendaient, curieux ou troublés.

Marguerite appuya ses deux mains sur les épaules de Joulou. Elle était muette à force de colère.

– Ton père est un mendiant, balbutia-t-elle enfin, affolée par la rage. Ta mère…

Elle n’acheva pas. Joulou se leva droit comme un I et lui dit avec un sang-froid terrible:

– Veux-tu que je t’assomme!

– Diable! diable! murmura M. Beaufils, cela se présentait mieux tout à l’heure. Il y a des difficultés entre les jeunes et nobles époux… Rien de fait, si la minette n’est pas vicomtesse!

Joulou avait les veines gonflées, et sa large main planait sur la tête de Marguerite qui le défiait d’un regard farouche.

– Tableau! ricana Letanneur.

Comayrol dit:

– La brute a du sang dans les veines!

– Dans les veines… et ailleurs! prononça la voix de Marguerite. Je pourrais dire où il a du sang!

– Oh! là-dessus, répliqua Joulou avec fatigue, en laissant tomber sa main le long de son flanc, tu peux parler tant que tu voudras, ma fille. Je ne tiens pas à vivre, maintenant que je ne vais plus dormir tranquille.

Il allait poursuivre et chacun écoutait avidement. Marguerite lui mit la main sur la bouche.

Joulou baisa le dedans de cette main et une larme vint à ses yeux. Il chancela; Marguerite le soutint et lui glissa à l’oreille:

– Tu ne sais pas ce que tu refuses, mon pauvre Chrétien!

– C’est vrai! dit Joulou doucement et lentement. Je ne sais jamais. Si j’avais su, serais-je ici? Tu m’as éveillé en montrant cette bague, ma fille, et en disant ce qui est gravé dessus. Tu sais, toi! tu sais tout! Pendant que tu parlais, j’ai vu l’écusson qui est au-dessus du buffet, là-bas, dans la salle à manger de notre maison. J’ai vu le bonhomme et la bonne femme et les deux sœurs. Ils ont parlé de moi, hier soir, en soupant, parce que c’était fête. Le jour n’est pas loin, désormais, n’est-ce pas? La nuit a été bien longue, mais elle finira comme les autres nuits. À six heures, la messe sonnera. Ils iront tous, aussi bien l’homme que les trois femmes, car c’est l’ancien temps qui vit encore chez nous. Ils iront pour les Cendres. La mère en prendra deux fois, une fois pour elle, une fois pour celui qui est à Paris et qui oublie. On l’appelle la brute à Paris, là-bas on lui dirait: «Mon fils, mais il aime mieux Paris. Pourquoi? Il ne sait pas, il ne sait rien. Il est le domestique de celle fille-là. Il est la brute. Il fait tout ce qu’on lui dit de faire, tout!…» Mais pourquoi a-t-elle parlé des armoiries? Je lui donnerai tout ce qu’elle voudra. Ce que j’ai, ce que je n’ai pas, ce n’est pas son domestique que je suis, c’est son chien… Mais le nom de la bonne femme, écoutez, ce serait péché. Je ne veux pas qu’elle le porte. Jamais! jamais!