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La garde et la sœur échangèrent un regard stupéfait. Pourquoi ce nom? D’où savait-elle ce nom?

Le blessé tressaillit faiblement et sa joue continua de pâlir.

La mère Françoise d’Assise attendit encore une minute.

Puis elle se dirigea vers la porte du parloir en disant avec toute sa froideur reconquise:

– Je vais donner des ordres pour que le parquet soit prévenu sur-le-champ. Ce jeune homme peut répondre aux questions du juge. Qu’on aille chercher le docteur. Il est vraisemblable qu’on doit désormais le transférer à la prison: c’est là sa place.

– Oh! bonne mère! supplia la sœur, ayez encore pitié de lui!

La Davot accompagna la vieille religieuse jusqu’à la porte et lui dit en montrant sa jupe:

– Il est grand temps que mon habillement neuf vienne. Je grelotte là-dessous.

La mère Françoise d’Assise se fit conduire à la chapelle et conféra avec son directeur. Ce fut le directeur lui-même qui se rendit au Palais de Justice.

Le chirurgien, appelé, déclara qu’il avait tout prévu, que la garde était une misérable sotte de faire tant de bruit pour une chose si simple. Il expliqua tout scientifiquement. Un quart d’heure avant sa mort M. de la Palisse était encore en vie; une minute avant de remuer, de parler et même d’éternuer, un perclus peut avoir l’insensibilité d’une pierre. Il cita des cas cataleptiques fort divertissants. Sur la question de savoir si le blessé jouait actuellement la comédie, il raconta l’histoire d’un lapin empoisonné par M. Orfila, dans un but d’humanité, et qui accomplit virtuellement ses fonctions plus d’une heure après son décès. En somme, la plaie était fermée, la force était revenue par l’ingestion d’une certaine sorte de consommé, un consommé spécial, dont le docteur avait seul la recette. La garde s’était plainte parfois, il est vrai, des souris qui mangeaient son souper, et quelques sceptiques pensaient maintenant que le blessé avait bien pu… Non sens! Le consommé spécial suffisait. Et niait-on les souris! Il y avait un chat!

C’était une belle cure. On pouvait envoyer le sujet à la cour d’assises, si l’on voulait, et même aux Grandes-Indes. Seulement le docteur ne répondait pas des accidents.

Au couvent de Bon-Secours, la journée fut fort agitée. La supérieure dit plus d’une fois: «Voilà ce que peut produire une infraction à la règle!» Les deux pauvres sœurs, coupables de cette infraction, furent rétrospectivement admonestées, mais rien n’y fit: le couvent tout entier s’intéressait à ce romanesque jeune homme; un peu plus seulement, depuis qu’on le soupçonnait de jouer son rôle dans je ne sais quel imbroglio ténébreux. Impossible d’empêcher les bonnes sœurs de se glisser dans le parloir. Elles vinrent toutes, et la Davot dut recommencer vingt fois son histoire.

Ce qui frappait surtout dans cette histoire, c’était l’étrange parole de la mère. Elle avait dit au blessé: «Monsieur Roland!» et par le fait le linge du blessé avait un R pour marque. Le blessé se nommait donc Roland, mais comment la mère l’avait-elle appris?

Et Roland qui?…

Et allait-on vraiment rappeler la justice avant l’arrivée de M. le duc qui devait avoir lieu le lendemain!

Car, de façon ou d’autre, la maison tout entière savait que M. le duc arrivait le lendemain.

À son retour du palais, le confesseur de la mère Françoise d’Assise avait un air fort mystérieux. On attendit la justice jusqu’au soir, et la justice ne vint point. Les bonnes sœurs parlèrent de relever la Davot pour la nuit, disant qu’elle devait être exténuée. On n’accepta point leur offre.

Et nous devons constater que, cette nuit, la Davot fut héroïque. Pendant douze heures, de huit heures du soir à huit heures du matin, elle resta à l’affût, sans fermer l’œil, écoutant et guettant. Son imagination avait énormément travaillé. Elle était désormais convaincue qu’une parole surprise pouvait lui donner de bonnes rentes.

Malheureusement, son zèle ne fut pas récompensé. Si elle eût fait semblant de dormir, on ne sait ce qui serait advenu. Elle veilla franchement; le blessé fut comme un poisson. Sa fièvre était tout à fait calmée.

Huit heures sonnant, la mère Françoise d’Assise était au parloir.

Elle y trouva la garde, rouge d’une terrible migraine, et le blessé pâli par le retrait de sa fièvre, mais calme et beau dans son repos, si beau que la vieille recluse se redressa en un mouvement d’orgueilleuse tendresse. Une demi-heure après, la justice descendit avec un certain appareil, et accompagnée de trois médecins qui devaient fournir une consultation solennelle.

L’interrogatoire commença sous une forme sévère, et le juge déclara tout d’abord au blessé qu’il ne restait point de doute sur la possibilité où il était de répondre. Le juge ajouta que son silence obstiné pouvait lui être imputé à mal.

Le blessé demeura insensible; ses paupières étaient closes. Pas un muscle de ce jeune et beau visage ne remua. Le magistrat, qui appartenait à la jeune école et s’occupait d’art, le compara malgré lui à un marbre antique. Le greffier songeait; ce sont des hommes pratiques que ces officiers judiciaires, et, dans la salle des pas perdus, on ne voit pas la nature humaine sous ses plus radieux aspects; le greffier songeait à ces curiosités du crime qui font de la Gazette des Tribunaux le plus excitant de tous les recueils utiles.

Après l’insuccès de cette première attaque, le corps médical donna comme une réserve. C’étaient trois savants hommes dont la cour d’assises avait rendu les noms illustres. Ils furent nécessairement de trois avis différents, motivés à merveille sur la situation du blessé, mais ils s’accordèrent à déclarer: l°que le sujet jouissait de ses facultés physiques et morales; 2°que le transport, opéré avec les précautions convenables, ne représentaient actuellement aucun danger.

En conséquence, le magistrat notifia à la supérieure du couvent de Bon-Secours que, le lendemain, vendredi, à pareille heure, une voiture viendrait prendre le blessé pour le transférer en un lieu où il fût sous la main de l’instruction.

La mère Françoise d’Assise s’était retirée dans sa cellule. Après le départ des gens de justice, elle demanda la supérieure. Ordre fut donné de fermer le parloir où le blessé resta seul à la garde de la Davot. Celle-ci n’avait plus qu’un jour pour faire sa fortune. Quoiqu’elle n’eût réussi à rien dans sa vie, la pauvre femme, elle gardait bonne opinion d’elle-même. Elle se dit: «Peut-être qu’en y mettant de l’adresse je tournerai le jeune homme.»

Et certes, elle était bien plus près du succès qu’elle ne pensait, car le jeune homme avait précisément l’idée d’implorer son aide pour fuir.

Si elle eût seulement attendu dix minutes, peut-être que le jeune homme aurait fait le premier pas.

Mais elle parla, et sa ruse grossière se dévoila d’elle-même. Quoique Roland fût tout le contraire d’un diplomate, il la jugea au son seul de sa parole et se replongea tout au fond de son obstiné silence. Cette femme était une ennemie. Il regretta les bonnes sœurs et attendit la nuit.

Ce que la nuit pouvait lui apporter de chances pour fuir, il n’eût pas su le dire lui-même, mais l’espoir est ainsi fait. Il cave sur l’impossible, surtout à la dernière heure.

Vers midi, la Davot, lasse de parler, se tut. Un terrible besoin de sommeil la tourmentait. Sa tête était malade. Quand on lui apporta son repas, elle n’y toucha point, quoiqu’elle fût ordinairement de grand appétit. L’odeur des plats lui fit mal; elle les porta derrière le paravent et sentit son front tourner en revenant. La lutte ne pouvait être longue désormais; à peine fut-elle assise qu’elle s’endormit d’un lourd et profond sommeil.