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– Vous souvenez-vous bien de votre sœur Raymonde, princesse? murmura-t-elle.

Les yeux de Nita s’emplirent de larmes, et M. le duc fronça le sourcil.

– C’est bien, poursuivit la mère, vous n’êtes plus un enfant, en effet. Que Dieu et la Vierge vous bénissent, ma fille! C’est un noble et bon sang qui bat dans votre jeune cœur. Soyez donc avec nous, et, quand vous aurez vu, portez hardiment témoignage.

Le regard de M. le duc se faisait soucieux.

– Qu’on ouvre la porte du parloir! ordonna la mère.

En même temps, elle quitta le bras de la supérieure pour prendre celui de son neveu. Celui-ci, quoiqu’il eût semblé attendre une explication, n’était point sorti de sa réserve ordinaire et n’avait fait aucune question. La vieille religieuse, dès qu’on eut franchi le seuil, prit Nita par la main et remercia d’un signe de tête la supérieure qui resta au-dehors.

Le paravent cachait le lit et le blessé. Nita, qui marchait à droite, dépassa la première le paravent et poussa un léger cri en apercevant le visage de Roland que les rayons du soleil couchant éclairaient.

– C’est bien, princesse, dit la mère, je suis contente de vous avoir amenée.

Elle ajouta en s’adressant à la Davot qui avait eu le temps de se remettre:

– Laissez-nous, ma bonne, vous trouverez chez la sœur tourière ce qui vous a été promis.

– Il dort bien tranquillement, dit la Davot, à moins qu’il ne fasse semblant de dormir. Depuis ce matin, c’est la même chose.

Elle sortit avec force révérences.

La porte du parloir fut refermée.

La mère Françoise d’Assise, le duc et Nita étaient debout auprès du lit. La mère, avant de parler, interrogea d’un regard furtif les physionomies de ses compagnons. Le duc avait de l’étonnement sous sa grave impassibilité. La petite princesse était franchement émue.

– Regardez bien, dit-elle, Monsieur mon neveu, et vous, ma fille. Quand vous aurez bien regardé, nous sortirons. Pas un mot ne doit être prononcé ici.

Roland était couché sur le dos. Il n’avait eu que le temps de se glisser entre les draps. Ses yeux restaient fermés. L’effort qu’il venait de faire animait la pâleur de sa joue; son souffle fréquent et brusque agitait la couverture au-dessus de sa poitrine. La richesse de ses longs cheveux épars cachait presque l’oreiller.

Nos trois personnages restèrent immobiles et muets pendant plusieurs minutes. Comme le jour allait baissant, M. le duc s’approcha de la fenêtre voisine à laquelle le blessé tournait le dos et releva le rideau de serge.

Une larme roula sur la joue de Nita, qui murmura:

– Comme il ressemble à ma sœur Raymonde!

La mère dit pour la troisième fois:

– C’est bien, princesse!

Elle mit un doigt sur ses lèvres. Les derniers rayons du jour prenaient les cheveux blonds de Roland à revers et se jouaient dans la profusion de leurs boucles. M. le duc revint et se pencha à son chevet.

Puis il se tourna vers la mère Françoise d’Assise et s’inclina en silence. Cela voulait dire: J’ai assez vu. La mère l’appela du geste et s’appuya de nouveau sur son bras. Pendant qu’ils se dirigeaient ensemble vers la porte, Nita, qui semblait s’éloigner à regret, resta un instant séparée d’eux par le paravent. Elle détacha quelques brins de réséda qui se fanaient à sa ceinture et les lança avec un baiser d’enfant à ce beau jeune homme endormi qui lui rappelait sa sœur bien-aimée.

– Princesse, venez, dit la mère.

Nita obéit, mais son dernier regard crut distinguer une lueur souriante qui glissait entre les paupières demi-closes du blessé.

La mère, en quittant le parloir, donna l’ordre d’y faire rentrer la Davot, qui revint, portant un gros paquet. Aussitôt qu’elle fut installée à son poste, elle ouvrit le paquet qui contenait un habillement complet de laine noire, plusieurs paires de bas, des souliers neufs, un bonnet et un châle. La Davot examina tout cela longuement et en détail. Elle était rouge de plaisir, mais elle grondait, parce qu’elles grondent toujours, reprochant à l’étoffe de n’être pas assez fine, au châle de n’avoir pas assez de largeur, au bonnet d’être trop simple. Elle disait:

– C’était bien la peine! on a des souliers pareils pour quatre francs! et les bas ne sont guère meilleurs que les miens! C’est du monde qui est pingre! Il doit y avoir quelque chose pourtant sous tous leurs cache-cache. Ils pourraient bien me ménager un petit peu… C’est égal, je n’ai pas la chance! avoir trouvé une si bonne place et que ça finisse comme ça tout d’un coup! l’individu va s’en aller demain… Et qu’est-ce que la vieille va me donner pour n’avoir pas fermé l’œil pendant huit jours et huit nuits? Croit-elle être quitte du roi guenilles?

Elle tournait et retournait sa robe, elle dépliait le châle, elle fourrait ses gros poings tout au bout des bas, et certes, elle s’occupait du blessé comme du roi de Prusse!

Mais le blessé ne lui rendait point la pareille; le blessé s’occupait d’elle énormément, au contraire: non point qu’il écoutât ses doléances, il s’agissait de bien autres choses. Le blessé suivait chacun de ses mouvements; c’était un regard sournois et avide qui passait sous ses paupières baissées. On eût dit qu’il examinait le trousseau avec autant de soin, avec plus de soin que la Davot elle-même.

Et la sueur lui venait au front, tant il avait peine à contenir les battements de sa poitrine.

Le duc, la petite princesse et la mère Françoise d’Assise étaient réunis dans la cellule de cette dernière. Le duc ni sa fille n’en avaient jamais passé le seuil jusqu’alors. Ils étaient assis tous les deux sur les deux seuls sièges qu’il y eût. La mère restait debout.

Nita regardait avec un étonnement effrayé l’austère tristesse de cette solitude.

– Vous voyez, Monsieur mon neveu, dit la mère Françoise après un silence, que j’avais des motifs pour désirer votre présence.

– Je le vois, Madame ma tante, répliqua le duc de Clare.

La mère alla vers la ruelle de son lit et décrocha la miniature qui pendait à la muraille. Le duc la prit de ses mains et l’examina. Sous son calme apparent, il y avait de l’émotion.

– Je n’avais pas besoin de cela, dit-il. Je me souviens de mon frère Raymond, qui était mon aîné. Je crois m’être conduit envers lui en ami, en frère, en gentilhomme.

– Vous êtes un de Clare, Monsieur mon neveu, prononça la vieille religieuse avec emphase. Le fils de votre père ne pouvait pas se conduire autrement.

Comme le duc rendait la miniature, Nita y jeta un regard curieux et s’écria:

– On dirait que c’est le portrait du jeune homme!

La mère se pencha et mit un baiser sur le front de Nita. M. le duc réprima un geste d’impatience.

– Ne croyez pas, Madame ma tante, reprit-il d’un accent courtois mais sévère, que vous ayez besoin de témoins contre moi. Mon frère Raymond était l’aîné et le préféré. Je l’aimais comme vous l’aimiez tous et je l’ai prouvé. Son héritier, s’il existe…

– Il existe! l’interrompit la mère avec vivacité.

– Je le crois comme vous, Madame ma tante, dit froidement le duc, et peut-être ai-je, pour le croire, de meilleures raisons que vous…

La vieille religieuse lui tendit la main comme malgré elle et murmura pour la seconde fois: