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Remy d’Arx, malgré ses travaux sérieux, et les avances qui l’appelaient vers le monde officiel, était un fidèle habitué de l’hôtel d’Ornans. La marquise et son cercle intime l’accueillaient avec le plus vif empressement.

Il était surtout le favori d’un homme vénérable qui trônait dans toute la force du terme, à l’hôtel d’Ornans, et qui partageait avec le «prince» les respects religieux de la marquise. C’était un vieillard de très grand âge, fort riche et de bonne maison, qui s’était fait de la bienfaisance une occupation, on pourrait presque dire une carrière. Il avait servi autrefois dans les armées des Bourbons de Naples et portait de préférence son titre militaire. On l’appelait le colonel Bozzo-Corona.

Au-dessous du prince et du colonel, un troisième personnage était admis fort avant dans la familiarité de la marquise: c’était un de ces gentilshommes dont il ne faut point fatiguer les parchemins, d’autant plus qu’il se livrait franchement à la pratique des affaires; il avait nom de la Perrière et ne se fâchait point quand on passait sous silence son titre de baron. La marquise lui avait dès longtemps confié ses intérêts, qu’il administrait avec une minutieuse probité.

Nous ajouterons, mais c’est un grand secret, que M. de la Perrière, qui était un des hommes les plus répandus de France et de Navarre, avait mission, sans rien compromettre et en usant de la plus extrême prudence, de tâter les gens et de rassembler autour du «prince» un noyau de partisans discrets.

On n’arrivait jamais tard chez la marquise, c’était la loi de la maison, et bien que dix heures vinssent à peine de sonner, les salons commençaient à se remplir.

Au côté droit de la cheminée en marbre blanc rehaussé d’or, se tenait un groupe composé de M. de Saint-Louis, comme on appelait le «prince», du colonel Bozzo et d’un vieux prêtre à cheveux blancs.

M. de Saint-Louis n’avaient rien en lui de précisément remarquable, sinon sa personnalité même et l’intérêt qui ne peut manquer de s’attacher à une position romanesque. Il était gras et même un peu joufflu; son nez aquilin, mais charnu et un peu court, avait précisément cette forme qu’on est convenu d’appeler bourbonienne; son habit bleu semblait taillé sur le patron de celui que les gravures prêtent au comte de Provence de 1810 à 1815. Il portait les cheveux ramenés en arrière et rattachés en une petite queue, qui laissait au collet une légère trace de poudre.

Ce genre de coiffure ne courait assurément plus les rues en 1838, mais vous en eussiez trouvé encore plus d’un spécimen dans les vieux hôtels du faubourg Saint-Germain.

Le prêtre était un chanoine de la cathédrale de Paris qui occupait ses vieux jours à rassembler les matériaux d’un livre intitulé: Histoire miraculeuse du dauphin, fils de Louis XV.

Entre ces deux figures insignifiantes, la tête du colonel énergique et fine, ressortait vivement.

C’était un homme de taille moyenne, maigre, vêtu avec la simplicité qui convient à son âge, mais portant merveilleusement l’habit noir. Bien des gens croyaient qu’il plaisantait lorsqu’il se vantait lui-même d’avoir plus de quatre-vingt-dix ans. Malgré ses rides, en effet, le dessin de ses traits restait net et harmonieux. Il avait dû être très beau, et avait dû garder longtemps sa beauté.

Maintenant encore je ne sais quel charme restait autour de ce front d’ivoire, garni de rares cheveux blancs. Il y avait dans son sourire une spirituelle bienveillance, et sous ses paupières, largement tombantes, ses yeux bleus, presque toujours muets, comme ceux des magnétiseurs et des diplomates, retrouvaient parfois de pétulants éclairs.

De l’autre côté de la cheminée, Mme la marquise d’Ornans, ancienne jolie femme aux manières courtoises et presque caressantes, présidait un petit cercle de dames auxquelles se mêlaient quelques invités.

Très loin de là, auprès du piano ouvert, il y avait un groupe de jeunes filles qui semblaient attendre l’heure de sauter.

Car on dansait à l’hôtel d’Ornans, depuis qu’était revenue d’Italie la nièce de Mme la marquise, la belle, la délicieuse Valentine de Villanove.

Nous n’avons point parlé encore de celle-là qui était la vie, qui était la joie, mais qui était aussi un peu le mystère de la maison.

Un beau jour, Mme la marquise avait dit à ses nombreux amis: «Ma nièce est arrivée» et huit jours après, Mme la marquise avait donné son premier bal pour présenter sa nièce, qui était bien la plus ravissante créature du monde.

Il en vient comme cela d’Italie qui sont charmantes à éblouir, et le nom de Mlle de Villanove indiquait suffisamment son origine; mais les connaisseurs, pourtant, ne trouvaient point en elle le type italien très nettement accusé. Il y avait de la joliesse française parmi sa beauté florentine, et sous l’admirable fierté de sa paupière, je ne sais quelle espièglerie parisienne couvait.

Mme la marquise expliquait cela du reste fort naturellement: Valentine était la fille de sa cousine germaine, une Lamothe-d’Andaye qui avait épousé en Italie M. le comte de Villanove, dignitaire de la petite cour de Modène.

Valentine était orpheline de père et de mère.

Par un hasard heureux, ce comte de Villanove se trouvait être un assez proche parent de la famille Bozzo-Corona, et le colonel témoignait à Valentine une tendresse paternelle.

Voilà tout ce qu’on savait de son histoire; on ne connaissait pas davantage sa position de fortune, mais les arithméticiens de salon qui vont supputant les probabilités de dot cotaient la sienne dans les plus hauts cours.

Mme la marquise, en effet, manquant d’héritiers directs, était maîtresse de sa fortune; elle traitait Valentine comme une fille chérie, et d’un autre côté, il était facile de voir que ce noble Crésus, le colonel Bozzo, comptait, en cas de mariage, dorer abondamment la corbeille.

Rien ne pressait, Valentine n’avait pas dix-huit ans, et pourtant le nuage des prétendants commençait à se détacher de l’horizon.

Il y avait de tout dans ce nuage qui couvrait déjà la moitié du cieclass="underline" il y avait d’abord ce qu’on appelle des «partis» au faubourg Saint-Germain, un bataillon de ces braves petits gentilshommes que leurs mamans poussent et casent, le mariage étant une chose de règle comme la vaccine et la conscription; il y avait ensuite de purs calculateurs, de jeunes diplomates qui voyaient l’affaire sous ses deux faces sérieuses, l’argent et l’influence; il y avait enfin des amoureux, de vrais amoureux, car il en reste, quoi qu’on dise; et n’en fût-il plus, Valentine, l’enchanteresse, avait tout ce qu’il fallait pour en ressusciter la race éteinte.

Elle semblait plutôt petite, comme toutes celles dont la taille a d’exquises proportions, mais sa démarche se relevait en de gracieuses et juvéniles fiertés. Tout en elle était charme, et comment dire cela? le charme variait de minute en minute, toujours attrayant et ne se ressemblant jamais à lui-même.

C’était dans toute la force du terme une nature abondante, variable, pleine d’imprévu et de surprises.