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La comtesse ainsi congédiée prit le bras de son grand-père et l’entraîna vers le salon.

Elle tourna encore un regard vers Remy d’Arx, qui s’était assis derrière la touffe de yucca, la tête entre ses mains, et ce fut avec une ardente, une jalouse admiration qu’elle murmura:

– On peut donc être aimée ainsi!

Le colonel était de ces comédiens qui ne s’oublient jamais en scène et jouent jusque dans la coulisse.

– Que va dire la marquise? murmura-t-il, comme s’il se fût parlé à lui-même.

– Oh! père, s’écria Francesca, la marquise est préparée, la marquise va être enchantée; dans toute cette affaire-là, il n’y a que toi de surpris.

– Et tu sais, ajouta-t-elle, c’est bien vrai, ce que je disais tout à l’heure: cette chère Valentine est suspendue aux lèvres de M. d’Arx dès qu’il cause. Quand il parlait l’autre soir de cette mystérieuse association, qui me fait peur parce qu’elle ressemble à des choses vagues dont je me souviens ou que j’ai rêvées au temps où nous habitions en Corse, elle dévorait ses moindres mots. Je ne suis pas la seule pour m’être aperçue de cela: ces demoiselles en chuchotent et en rient.

– Ah! fit le colonel d’un air distrait, ces demoiselles! voilà qui est grave. Quelle singulière chose que l’âge! moi je n’ai rien vu du tout.

Le salon était rempli et le petit bal s’agitait gaiement.

Valentine, animée par la danse, resplendissait de beauté.

La marquise venait de gagner trois robs au whist; elle céda ses cartes au cousin de Saumur parce que le colonel lui avait dit à l’oreille:

– Madame, je désirerais vous parler en particulier sur-le-champ.

Le colonel lui offrit son bras, et ils se dirigèrent vers le boudoir, dont la porte s’ouvrait vis-à-vis de la serre.

– Est-ce qu’il s’est déclaré? demanda la marquise.

– Formellement.

– Alors, nous parlerons à la chère petite dès demain.

– Nous lui parlerons dès ce soir.

– Comment! ce soir, s’écria Mme d’Ornans.

– Chère madame, répondit le colonel Bozzo, qui s’était assis dans son attitude favorite, les jambes croisées l’une sur l’autre, et qui tournait déjà ses pouces, vous n’avez pas idée de cette passion-là; le feu est à la maison.

– En vérité! fit la marquise en riant, le superbe Hippolyte a trouvé son Aricie?

– Qu’y a-t-il donc? demanda Valentine en passant le seuil du boudoir. Francesca m’a enlevé mon cavalier au moment où nous allions entamer un cotillon; elle m’a dit que j’étais attendue ici pour une communication importante.

Elle souligna ce mot et vint s’asseoir sur un tabouret, entre la marquise et le colonel.

Ceux-ci souriaient tous les deux. Ce fut la marquise qui prit la parole.

– Tu es une charmante enfant, dit-elle, on t’adore; mais ceux qui t’aiment le mieux ne savent pas toujours sur quel pied danser avec toi. Le mieux est de te dire tout uniment qu’il s’agit de te marier.

– Bravo! murmura le colonel, voilà de la diplomatie!

Valentine resta un peu interdite, puis elle dit:

– Déjà, belle maman? Je pensais bien que cela viendrait un jour où l’autre, mais je croyais avoir encore du temps devant moi.

Puis elle ajouta avec une pétulance pleine de câlinerie:

– Est-ce que vous voulez me faire du chagrin à vous deux, voyons! Je suis heureuse ici, ma chère tante est pour moi la meilleure des mères…

Elle prit une des mains de la marquise, qu’elle baisa, et demanda, certaine de sa réponse:

– Est-ce que vous ne voulez plus de moi, belle maman?

Le colonel atteignit sa petite boîte d’or et en tapota le couvercle d’un air pensif.

– Voici cette bonne marquise qui a déjà la larme à l’œil, dit-il. Après le jeune chat, la jeune fille est l’animal le plus gracieux de la création. Alors, minette, tu ne veux pas te marier?

– Moi, dit Valentine, je n’ai pas beaucoup réfléchi à cela. Quel est celui de vos petits gentilshommes qui m’a fait l’honneur de demander ma main? car, en définitive, on peut accepter l’un et refuser l’autre.

– C’est trop juste, dit la marquise, dont les yeux mouillés riaient. Tu raisonnes comme un ange! Il y en a donc au moins un parmi eux que tu accepterais sans répugnance?

– Pour danser, répliqua Valentine, j’en connais trois ou quatre qui ne sont pas maladroits, mais pour épouser…

Elle s’arrêta et son regard, qui allait tout pétillant d’espièglerie du colonel à la marquise, se voila soudain.

– Il y en a un qui ne danse pas, commença-t-elle à voix basse. Celui-là…

Elle s’interrompit encore et resta toute rêveuse. La marquise se pencha et attira le front de la charmante enfant jusqu’à ses lèvres.

– Si c’était M. Remy d’Arx? lui dit-elle dans un baiser.

Valentine éprouva comme un choc. Ses joues devinrent plus pâles que la bastide brodée de sa collerette.

Elle garda un instant le silence; ses yeux baissés restaient cloués au sol.

– Eh bien! fit le colonel, tu ne réponds pas, minette?

La marquise, déjà triomphante, murmura:

– Comme nous avions bien deviné!

Le sein de Valentine bondit, malgré le visible et violent effort qu’elle faisait pour en contenir les battements; elle releva sur la marquise ses yeux hardis où brillait un éclat sombre.

– Qu’est-ce que vous aviez deviné ma mère? demanda-t-elle presque rudement.

La marquise se tut, étonnée et offensée. Le colonel ouvrit sa boîte d’or et grommela entre ses dents:

– Drôle de fillette! drôle de fillette!

Valentine attendit un instant, puis, d’un ton sérieux et rassis:

– Il faut me pardonner, madame, dit-elle, je n’ai point voulu vous manquer de respect. Vous savez bien que je vous aime comme si vous étiez véritablement ma mère.

Pour la seconde fois, la marquise l’attira contre son cœur, pendant que le colonel humait quelques grains de tabac d’un air songeur.

– Ils s’aimeront trop, dit-il en ricanant; dans ce petit ménage-là les baisers auront des dents et les caresses des griffes.

Valentine eut un froncement de sourcil qui se termina en sourire. Elle retrouva l’exquise douceur de sa voix pour dire tout bas:

– Bon ami, si vous pouviez voir le fond de mon âme, vous ne vous moqueriez pas de moi.

Puis elle ajouta plus bas encore:

– Est-ce bien vrai? M. Remy d’Arx a-t-il réellement demandé ma main?

– C’est bien vrai, chérie, répliqua la marquise; as-tu pu croire qu’il fût possible de plaisanter sur un pareil sujet? Veux-tu réfléchir, te consulter? Veux-tu un jour, deux jours?