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C’était un peu plus large pourtant et beaucoup plus caractéristique: il y avait là de la prétention au luxe et une sorte de vaniteux étalage que contrariait un désordre sans nom.

C’était un salon, car deux fauteuils en acajou flanquaient un petit canapé de bois peint, recouvert d’une magnifique housse de perse à ramages.

C’était aussi une cuisine, comme le témoignait un fourneau rivé à la cloison et sur lequel chantait une casserole munie de son couvercle.

C’était encore une chambre à coucher: on voyait l’alcôve avec son petit lit qui semblait incapable de contenir la maîtresse de céans, les robes plus ou moins fatiguées qui pendaient dans la ruelle et la table de nuit avec ses accessoires effrontément démasqués.

C’était enfin une salle à manger, puisque la table était dressée pour deux convives.

Et c’était, par-dessus le marché, un cabinet de toilette, comme l’affirmaient le pot à l’eau, la cuvette, les peignes, les brosses et d’autres ustensiles plus intimes encore.

Comme si tout cela n’eût point suffi pour encombrer un espace si exigu, un filet régnant au-dessous du plafond soutenait du linge, des paquets de guenilles pailletées, des légumes, des fruits, des bouteilles, des bottes, des chaussures de femme, une guitare et un vieux parapluie.

Léocadie Samayoux, vaste comme une tour, mais leste et alerte, semblait fort à son aise au milieu de ce tohu-bohu. C’était maintenant une femme de trente-cinq à quarante-deux ans, dont la figure trop virile gardait des restes de beauté.

Son teint éclatait de fraîcheur, quoiqu’il eût peut-être des nuances écarlates trop foncées, et ses petits yeux avenants riaient avec une franchise tout à fait communicative.

Quoiqu’elle fit en ce moment office de femme de chambre et de cuisinière, son costume n’était pas dépourvu d’une certaine élégance: elle avait un jupon de laine rouge retroussé abondamment qui craquait autour de ses hanches robustes; une basquine de velours noir frangée de paillettes emprisonnait les surprenants trésors de son torse, et dans ses cheveux, qui étaient noirs et très beaux, un collier de perles fausses s’enroulait.

Deux personnages, qui tenaient à la vérité très peu de place, étaient avec elle dans la chambre et semblaient flairer avec gourmandise la fumée de la casserole. Tous deux avaient à peu près le même âge, une quarantaine d’années, et le même aspect d’indigence; mais là s’arrêtait la similitude.

L’un d’eux, en effet, debout auprès de la porte, souriait d’un air avantageux en ramenant sur ses tempes deux mèches de cheveux jaunâtres, qu’on eût dit graissées à l’aide d’un bout de chandelle.

Il avait une redingote vert pomme veuve de ses boutons, un pantalon écossais percé aux deux genoux et des bottes sans talons dont les bouts se relevaient à la poulaine.

Sa main gauche, aux ongles longs et noirs, tenait un chapeau gris tirant sur le roux, dont les bords cassés tombaient en parapluie.

C’était avec une fierté naïve qu’il portait ces débris, de même que sa figure plate et laide exprimait une fatuité enfantine.

Il cambrait orgueilleusement ses jambes, qui étaient bien musclées, et le sourire qu’il adressait à Mme Samayoux n’aurait point été déplacé sur les lèvres de don Juan.

L’autre, au contraire, dissimulait ses jambes, vêtues d’un pauvre pantalon noir luisant, et montrait sa vigoureuse poitrine, qui ressortait sous un gilet à manches également noires.

Un tablier à bretelles comme celui que portent les infirmiers complétait son costume.

Celui-là était assis humblement sur une chaise de cuisine et avait déposé à terre auprès de lui une gibecière qui semblait contenir un objet assez volumineux.

– Je suis dans mon coup de feu, disait Léocadie qui allait de son fourneau à sa table; j’attends quelqu’un dont je ne donnerais pas la visite pour la moitié de Paris. Chacun a ses idées, pas vrai?

– Ça c’est certain, répliqua l’élégant au chapeau gris.

Et l’homme humble à tournure d’infirmier ajouta doucement:

– Comme de juste.

– En plus, reprit Léocadie, ça ne me paraît pas que nous pourrons faire affaire ensemble, parce que ma troupe est au complet pour le travail et pour la musique. Avec ça qu’on ne gagne pas des mille et des cents au jour d’aujourd’hui, mais j’ai le respect des artistes et je ne vous ai pas fermé la porte à cette fin qu’on ne puisse pas dire que la veuve Samayoux a renvoyé comme cela n’importe qui sans avoir vu ce que les personnes ont dans l’œil. Comment vous appelez-vous et quel emploi tenez-vous?

– Parle le premier, Amédée, dit modestement l’homme à la gibecière.

Le dandy passa sa manche sur le feutre chauve de son chapeau gris et répondit:

– Mon nom est Similor, assez connu dans Paris, mon prénom Amédée, comme le vieux l’a spécifié. Je suis pour la danse des salons avec tous mes brevets en règle, pour la canne, le bâton et les caractères, poses plastiques, tableaux vivants, grosse caisse si on veut et jeune premier dans la comédie.

– J’ai de l’œil, j’attire les dames et je fais des avant-scènes. Léocadie avait lâché la queue de la casserole pour le regarder bouche béante.

– Drôle de tête, dit-elle avec son gros rire bienveillant et franc. Ah! tu fais des avant-scènes, toi, l’enflé? il n’y en a pas chez nous.

– Chez vous, repartit Similor avec une imperturbable confiance, j’amorcerais les petites bourgeoises en civil et les bonnes d’enfants sous l’habit militaire.

– Comme de juste, approuva l’homme modeste, qui tourna la tête pour se moucher discrètement dans le coin de son tablier.

Il y avait de l’admiration dans la gaieté de Mme Samayoux.

– J’en ai vu de bien cocasses en foire, murmura-t-elle, mais ceux-là sont de première qualité. À ton tour, pharmacien; cause, ma poule.

– Vous croyez plaisanter, patronne, répliqua l’humble compagnon de Similor, eh bien! vous avez mis dans le cinq cents: j’ai pratiqué avec succès la pharmacie dont je garde l’uniforme, n’ayant pas eu depuis le temps l’opportunité de changer ma garde-robe.

«Moins célèbre qu’Amédée, qui plaît par ses manières brillantes, je suis plus sérieux que lui et j’ai aussi ma réputation dans la capitale.

«C’est la chance qui manque.

«J’ai essayé de tout, depuis l’agence des affaires jusqu’au bureau de placement et le commerce des contremarques. Si vous aviez quelquefois besoin de celui qui reçoit les gifles à la porte et les coups de pieds en bas, j’accepterais la chose pour commencer: j’ai besoin de gagner pour moi et ma famille.

– Ah! fit Mme Samayoux, qui était retournée à ses fourneaux, tu as de la famille?

Échalot soupira et répondit:

– Pour laquelle, comme de juste, je me ferais saigner aux quatre membres dans l’intérêt de sa subsistance et de son avenir. Allez, je vous serais joliment utile dans votre ménagerie, avec mes études spéciales, si quelqu’une de vos bêtes tombait malade…

– La remplacerais-tu?

– Tout de même, pour vous être agréable.

– Tu as l’air d’un bon garçon, toi dit Mme Samayoux, qui tira de sa poche une grosse montre d’argent, mais je n’ai besoin de personne, et voici l’heure de mon rendez-vous.