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«- Et si on me le tuait! s’écria-t-elle.

«- Dame, que je répondis, ne pouvant pas partager entièrement tous ces enfantillages-là, ça fait partie de son état pour le quart d’heure, mais jusqu’à présent ce n’est pas lui qu’on tue, c’est lui qui massacre les autres.

«- Il est donc bien brave, Maurice, mon pauvre Maurice!… et un tas de bêtises pareilles, quoi! nous sommes toutes les mêmes, celles qui pèsent 50 kilos, comme ta donzelle, et celles qu’ont du poids comme moi, marquant 237 livres à la dernière de Saint-Cloud. Est-ce que tu fumerais quelque chose avec plaisir?

– Mais ça ne peut pas être tout! s’écria Maurice. Maman Léo, ma bonne Léo, ne me cachez rien, je vous en prie!

– Il n’y a pas égoïstes comme les hommes! gronda la dompteuse. Tu bois du lait doux, toi, gourmand, et tu ne t’aperçois seulement pas que ça se change pour moi en vinaigre. Eh bien! le reste, parbleu! ça se devine assez, à savoir qu’elle est là-bas comme un bijou dans du coton, mais que les aises de l’opulence ne suffisent pas au bonheur. Faut que l’âme ait ce que son cœur désire. Et qu’elle n’y pouvait plus résister, et que, bravant tous les périls, elle avait quitté le domicile de sa duchesse ou baronne pour monter dans un sapin et venir à la découverte…

– Mais a-t-elle bien dit qu’elle m’aimait? insista le jeune lieutenant.

– Jusqu’à la mort! répondit noblement Mme Samayoux, et que ça ne se terminerait qu’à son dernier soupir!

– Quel ange vous faites, maman! murmura Maurice. Mais, voyons, elle n’a pas été sans vous donner quelques renseignements sur elle-même?

– J’ai assez demandé, bibi, ça me tenait de savoir les détails, car je n’avais plus entendu parler de rien depuis que le vieux monsieur était venu, tu te souviens, celui qu’on appelait le colonel et qui avait l’air d’une momie d’Egypte à ressorts. Je n’ai pas à me plaindre de lui, bien sûr; en emmenant Fleurette, dont il avait tous les papiers dans sa poche, il me fit un mignon cadeau, mais ça, c’est de l’histoire ancienne. Je vas te dire en bref tout ce que la petite m’a dit, et tu seras aussi savant que moi: elle s’appelle maintenant Valentine de son petit nom…

– Valentine! répéta Maurice, dont la voix était une caresse.

– Ça te plaît, c’est bon, Fanfan. Elle est heureuse; si elle voulait, elle n’aurait qu’à choisir, pour le bon motif, parmi un tas de jeunes marquis, tous avec tilburys, chevaux de courses, maison à la ville et à la campagne. Sa duchesse est riche comme un puits, son colonel ne compte que par millions, et elle m’a parlé d’un prince, qui est son parrain ou approchant, destiné à remplacer Louis-Philippe en cas que les événements s’y montrent favorables. Ah! pour bavarde, elle est bavarde, la petite, et agitée, ne tenant pas en place, et ayant toujours l’air de penser à je ne sais quoi; tantôt les yeux allumés comme des lampions, tantôt l’air abattu, la mine fatiguée, qu’on dirait qu’il vient de lui arriver un grand malheur d’accident… Mais te voilà aussi tout défait, amour! qu’est-ce qui te chiffonne?

– Si elle est si riche que cela… murmura Maurice.

– Ah! ah! voilà le hic, pas vrai? tout n’ira pas sur des roulettes.

Maurice resta un instant silencieux, puis il reprit:

– Vous m’aviez parlé d’une lettre?

– Elle est en route pour Oran, répliqua Mme Samayoux, ta dernière résidence, et si ça peut te remettre du cœur au ventre, je vas te dire que la petite ne doute de rien; c’est elle qui m’avait dicté la lettre où je te donnais avis qu’il fallait revenir tout de suite, au grand galop. Elle était encore plus détraquée qu’à l’ordinaire, ce jour-là, la petite; jamais je ne l’avais vue si pâle, et j’aurais juré qu’elle avait peur.

– Peur de quoi? demanda vivement Maurice.

– Elle ne m’a pas fait sa confession, bijou; mais je ne suis pas plus bête qu’un autre, pas vrai? J’ai vu une pièce au théâtre de l’Ambigu, dans les temps, pleine de dangers et de mystères. Il s’en passe de drôles, dans ce Paris. Après tout, nous ne sommes pas ici au greffe avec un propre à rien qui prend des notes pour vous faire du tort par la suite: ça m’a semblé qu’en t’écrivant de revenir, elle avait envie d’avoir quelqu’un pour la défendre.

Un monde de pensées se pressait dans la cervelle du jeune lieutenant; la connaissance qu’il pouvait avoir de la vie parisienne ne s’étendait pas très loin, mais il avait du bon sens et il demanda:

– À quel genre de péril peut être exposée une jeune fille dans sa position?

– Cherche! répliqua Léocadie. Je ne pouvais pas lui arracher les paroles avec des tenailles, dis donc! Tu en sauras plus long si elle se déboutonne avec toi, mais c’est déjà bien assez drôle l’histoire de ces gens qui sont venus la chercher ici. Est-ce que tu te souviens d’un flâneur qui rôdait autour de la baraque, voici deux ans à peu près, vers l’époque, justement, où la petite nous quitta: quelque chose comme un vieil étudiant ou clerc d’huissier sans ouvrage, qui avait un drôle de nom: Piquepuce?

– Oui, répondit Maurice, je me le rappelle vaguement, mais que nous importe celui-là?

– Ce n’est peut-être rien, fit la dompteuse, qui songeait, mais j’ai martel en tête, et jour de Dieu! je ne voudrais pas qu’il t’arrivât malheur.

«Ce Piquepuce est revenu aujourd’hui; je n’y ai pas vu de malice sur le moment, et j’ai trouvé tout simple qu’il m’invite à prendre le petit noir. On s’était connus, pas vrai, en société, et le particulier a la parole agréable. Des compliments par-ci, des politesses par-là. Mais ça me revient à présent parce que je te vois: c’est sûr qu’il était là pour me tirer les vers du nez.

«Il m’a parlé du temps, et c’était le bon temps, où Fleurette et toi vous ameniez à la baraque la meilleure compagnie de la capitale. Et qu’est-il devenu, le petit? et qu’est-elle devenue, la petite? et ci et là.

«Moi, je croyais que c’était pour causer, mais maintenant que j’y pense, l’idée me passe que j’ai trop causé. Quand je lui ai dit à la bonne franquette votre histoire à tous les deux, depuis tes victoires et conquêtes en Algérie, jusqu’aux escapades de la fillette qui court en fiacre pendant qu’on la croit dans son lit, ses yeux brillaient comme des chandelles.

– Je ne crois pas, repartit Maurice, qui ne partageait à aucun degré les inquiétudes de la veuve Samayoux, je ne crois pas que le nommé Piquepuce fréquente de très près le monde où vit maintenant notre Fleurette; d’ailleurs, vous n’avez pu lui dire son vrai nom puisque vous ne le savez pas.

– C’est bon, grommela Léocadie, tant mieux si je me trompe, mais chacun a sa manière de voir; j’aurais mieux fait de me couper la langue avant de lui dire que tu étais revenu, que la fillette raffole de toi et que je t’attendais ce soir.

De tout cela Maurice n’écouta qu’une seule phrase. Il se leva triomphant et s’écria:

– Elle raffole de moi! voilà tout ce qui m’intéresse! Il se fait tard, maman Léo, et je demeure au bout du monde. Avant que je vous dise au revoir, vous avez encore un renseignement à me donner, le plus important de tous: où pourrais-je la rencontrer?

– Ici, répondit la dompteuse d’un air distrait.