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– M. Lecoq! s’écria la dompteuse, quel joyeux luron!

– Il m’a procuré une petite chambre garnie pas chère, dans une maison qui n’est pas belle, mais qui a l’air bien tranquille.

– Tout est donc pour le mieux, amour, dit Mme Samayoux. La nuit porte conseil, réfléchis, et pas de coup de tête.

Maurice fit un pas pour sortir, mais elle n’avait point lâché sa main, elle le retint d’autorité.

– Mon lieutenant, dit-elle, tu as refusé l’argent de maman Léo. Tu lui en veux, tu te figures qu’elle a essayé de te mettre dans l’esprit de mauvaises idées. Elle n’est pas capable de ça, mon fils, elle a voulu tout uniment couler un peu de plomb dans ta cervelle de linotte. L’appétit vient en mangeant, c’est certain; elle t’en a dit peut-être un peu plus long qu’elle ne l’avait résolu, mais elle ne t’en a pas trop dit. Résumé du président: la jeune fille t’aime; mais il y a un valet de carreau, et le neuf de pique sur enjeu. Conclusion générale: veille au grain et tiens bien tes cartes, ou tu seras obligé, comme tu l’as dit sans y croire, de reprendre, soit demain, soit plus tard, ta feuille de route pour Marseille. Embrasse-moi et dis merci!

Elle lui secoua la main avec une vigueur toute virile et l’attira presque de force dans ses bras.

– Merci, maman, dit Maurice, qui essaya de sourire.

La dompteuse murmura dans un baiser véritablement materneclass="underline"

– Que comptes-tu faire?

Au lieu de répondre, le jeune officier demanda:

– À quelle heure cet inconnu et Valentine doivent-ils se rencontrer chez vous?

– À quatre heures de l’après-midi.

– C’est bien, répliqua Maurice, je vais réfléchir comme vous me le conseillez. Je ne sais pas encore si je verrai Fleurette, si je lui parlerai, mais je sais que, le cas échéant, elle n’aura pas besoin d’un défenseur de hasard: je serai là pour veiller sur elle.

X Biographie de Maurice

Ce beau Maurice n’était point précisément un prince déguisé, bien que sa naissance et son éducation ne l’eussent pas destiné à la carrière artistique suivie avec tant d’éclat chez Mme veuve Samayoux.

Il avait pour père un honnête bourgeois, ancien notaire à Angoulême, qui s’était retiré avec une certaine aisance, mais qui restait chargé de famille.

Maurice ne comptait pas moins de cinq frères dont il était l’aîné; entre chaque frère, une petite sœur s’était glissée: cela faisait dix enfants.

Dieu bénit les nombreuses familles: la preuve, c’est qu’il avait octroyé au père Pagès une remarquable faculté de prévoyance et un talent réel pour calculer les chances de l’avenir.

Le père Pagès, dès le bas âge de ses garçons, avait établi, à son point de vue, dans la ville d’Angoulême, une statistique professionnelle, avec l’âge des titulaires et des notes raisonnées sur leur santé.

On eût dit qu’il avait assuré chacun d’eux sur la vie ou qu’il était leur héritier en cas de mort.

Cette dernière hypothèse se rapprochait un peu de la vérité: non point que le père Pagès eût des prétentions sur leur patrimoine, mais bien parce que son regard d’aigle lorgnait toutes les clientèles et en faisait, un jour venant, le pain quotidien de ses garçons.

Il se trouva que des trois médecins les plus demandés par la ville, l’un avait une mauvaise toux, l’autre des couleurs trop accentuées, et que le troisième enfin était affligé d’une fistule.

Le père Pagès était incapable de souhaiter la mort de quelqu’un, mais confiant dans la Providence, il envoya son fils à l’École de Médecine de Paris en se disant:

– Voici l’affaire de ce gaillard-là réglée, et ce serait bien le diable s’il ne dotait pas une de ses sœurs.

Et il recommença ses calculs pour régler l’affaire de son second garçon, l’aîné étant désormais solidement établi.

Maurice avait un peu plus de vingt ans quand il arriva dans le quartier des écoles.

Il aimait les chevaux, le bruit, la chasse, les plaisirs; il était passé maître à tous les exercices du corps et n’avait jamais gagné que des prix de gymnastique au collège.

Du reste, c’était un beau petit homme, bon garçon jusqu’à la faiblesse, un peu plus étourdi que ceux de son âge et innocent comme une demoiselle.

Le père Pagès lui avait dit lors de son départ:

– J’ai deviné ton goût pour les études médicales; c’est la première de toutes les professions quand elle est honorablement remplie. Va, mon ami, je ne suis pas homme à contrarier ta vocation, travaille beaucoup, dépense peu, et souviens-toi que ta fortune est entre tes mains.

Maurice ne prit point la peine de contrôler cette vocation, qui jusqu’alors ne l’avait pas considérablement démangé.

L’idée de voir Paris, de vivre à Paris, enchante et entraîne tous les enfants.

Dans ces études inconnues qu’il n’avait point souhaitées, mais qu’il ne craignait pas non plus, Maurice ne vit pas autre chose que la vie de Paris, dont les plus ignorants ont savouré l’avant-goût au fond de leur province.

Il paya ses premières inscriptions, suivit les cours avec une assiduité modérée, fit des amis et apprit tout naturellement une foule de choses qui n’étaient pas indispensables pour recueillir la succession des trois docteurs d’Angoulême.

Au bout de six mois, il écrivit au père Pagès que son ambition la plus chère était d’être officier de hussards.

Le père Pagès lui répondit poste pour poste que l’aveuglement des adolescents passe pour être une chose proverbiale, que les parents seuls connaissent bien ce qu’il faut à leurs enfants, et que s’il n’était pas reçu à son premier examen, lui, le père Pagès, n’enverrait plus rien à son fils indigne, pas même sa malédiction.

Il y a des révoltés de naissance, Maurice n’était aucunement de ce caractère-là; il n’eût pas mieux demandé que d’obéir, mais il avait une tête légère, un cœur ardent et un invincible dégoût pour l’amphithéâtre.

Un délai de trois mois lui restait jusqu’aux examens.

Il prit du bon temps sans faire trop de folies, et s’endormit plutôt qu’il ne s’enivra.

Son parti était arrêté, son régiment choisi; le dernier jour du mois où se passent les examens, il devait aller voir le colonel des hussards, en garnison à Versailles.

Donc, le 30 août 1835, Maurice Pagès, relaps de la Faculté de médecine, ayant dans son gousset la dernière pièce de cent sous qui dût lui arriver d’Angoulême gagna les Champs-Élysées et prit place dans un coucou, frété pour la ville bâtie par Louis XIV.

Justement, ce jour-là, un des trois docteurs d’Angoulême marqués d’une croix par la sollicitude du père Pagès passait de vie à trépas.

C’était la fistule.

Les deux autres battaient de l’aile.

Maurice alla tout droit chez son colonel, qui était absent.

C’était la fête de Versailles.

Pour tuer le temps, notre futur hussard se rendit sur la grande place, où les saltimbanques avaient planté leurs tentes.

Nous avons dit que Maurice était fort habile à tous les exercices du corps.