Il eut un rêve fiévreux et absurde. Des voix passaient autour de ses oreilles qui chuchotaient le nom de Remy d’Arx.
Dans une chambre aux somptueuses tentures, Fleurette était toute seule, le front dans ses mains; elle pleurait.
Puis c’était un long corridor qui menait à cette chambre et dans lequel un homme marchait à pas de loup.
Maurice entendait le craquement du parquet et Fleurette l’entendait aussi, car elle tournait vers la porte un regard épouvanté.
Deux coups sonnèrent à une horloge. Maurice savait bien que c’était deux heures de la nuit.
Et il se disait: Je ne rêve pas puisque j’ai entendu une heure dans les Champs-Élysées.
Le plancher cessa de craquer, mais le bruit de trois petits coups frappés à la porte vint distinctement à l’oreille de Maurice.
Fleurette se levait, tremblante, pour aller ouvrir, quand le rêve tourna tout à coup.
Une voix d’homme inquiète et contenue demanda:
– Qui est là?
Et une autre voix répondit au-dehors:
– C’est moi, le bijoutier.
Les gens qui dorment avec la fièvre jugent leurs songes et cherchent presque toujours à repousser loin d’eux ces extravagantes illusions.
Maurice se retourna sur son lit avec colère.
Mais le rêve s’obstinait.
Une clef grinça dans une serrure et les gonds d’une porte qui s’ouvrait crièrent.
Il n’y eut aucune parole échangée entre celui qui ouvrait ainsi sa porte et le nouveau venu; pourtant Maurice, galvanisé, se mit sur son séant et tendit avidement l’oreille.
Il ne dormait plus.
Une plainte sourde et dont il connaissait bien la lugubre intonation avait mis un frisson d’horreur dans ses veines.
Plus d’une fois, en Afrique, il avait entendu ce râle court et rauque de l’homme qui tombe pour ne plus se relever.
Etait-ce encore le rêve?
Maurice écoutait, haletant. La lueur brillait toujours à travers les planches de la cloison.
Un pas lourd et qui semblait ne point se presser traversa la chambre du voisin; une fenêtre fut ouverte. Maurice se glissa hors de son lit et demanda:
– Voisin, qu’avez-vous donc?
On ne répondit pas.
Mais un bruit de feuillages froissés se fit au-dehors, tandis qu’une seconde plainte plus faible dressait les cheveux sur la tête de Maurice.
La lune avait marché.
Le rayon éclairait maintenant une porte de communication située au centre de la cloison de droite du lit que Maurice venait de quitter.
Il y eut de l’autre côté de cette porte un grand soupir, puis tout se tut, sauf un bruit de pas qui montait du jardin.
Maurice s’élança vers la porte de communication et en toucha la serrure, dans laquelle un morceau de fer se trouvait engagé.
En même temps ses pieds rencontrèrent sur le carreau un autre objet qui le fit trébucher.
Quant à la serrure, on ne peut pas dire qu’elle s’ouvrit, ce serait trop peu: elle tomba littéralement désemparée et disloquée, laissant la porte ouverte à demi.
En foire, on connaît beaucoup de choses, et Maurice avait été pendant deux ans de la foire.
L’objet contre lequel son pied venait de heurter était une pince en acier.
Maurice pouvait donner un nom technique à la tige de fer engagée dans la serrure: c’était ce que les voleurs nomment un «monseigneur».
Une idée rapide comme l’éclair lui traversa le cerveau; il se demanda:
– Est-ce que tous ces préparatifs étaient pour moi, et l’assassin s’est-il trompé de victime?
Car sans avoir vu encore l’intérieur de la chambre voisine, il savait être à deux pas d’un homme assassiné.
Ce n’était pas l’heure des réflexions; il poussa la porte et se trouva en présence du malheureux Hans Spiegel, le juif allemand qui était venu, la veille au soir, dans l’arrière-boutique de la rue Dupuis, proposer au faux revendeur Kœnig les diamants de Carlotta Bernetti, cachés dans une canne à pomme d’ivoire.
Hans Spiegel avait encore à la main un pistolet à deux coups tout armé.
Une trace bleuâtre qu’il portait autour du poignet disait pourquoi il n’avait pas pu s’en servir. Il était couché de tout son long, la nuque sur le carreau, les deux bras étendus; il avait au nœud de la gorge une effrayante blessure, large de quatre doigts, et qui avait rendu déjà une mare de sang.
On l’avait tué comme on égorge un bœuf, et il était mort en poussant le gémissement unique du bœuf qu’on égorge. Le couteau du boucher était encore là.
La lutte avait été si courte et si décisive que la chambre ne présentait aucune trace de désordre. La canne à pomme d’ivoire manquait, mais Maurice en ignorait l’existence.
La plupart des officiers qui n’ont pas gagné leur grade à courir les villes de garnison savent juger et même panser une blessure.
Maurice avait vu d’un seul regard que le coup porté par le malfaiteur inconnu était mortel; mais il est un sentiment souverainement humain qui entraîne l’homme de cœur à tenter l’impossible et à essayer les secours lors même que les secours sont devenus inutiles.
On peut se tromper, d’ailleurs, et les médecins eux-mêmes ne se dispensent point de ce suprême effort, qui est l’acquit de la conscience.
Maurice s’agenouilla auprès du blessé, ou, pour mieux dire, du cadavre et se mit en devoir de bander la plaie.
Il n’en eut pas le temps. Des pas qui semblaient nombreux et précipités se firent entendre dans l’escalier, puis dans le corridor.
La première impression de Maurice fut une sorte de soulagement, car c’était de l’aide qui lui venait ou tout au moins une décharge pour sa responsabilité; mais comme il se levait pour ouvrir la porte extérieure et introduire lui-même les nouveaux arrivants, il s’arrêta stupéfait, comme si la foudre fût tombée à ses pieds.
Une voix effarée disait sur le carré:
– Comment n’avez-vous pas entendu? le pauvre juif a crié plus de dix fois au secours avant de tomber; il disait: «Grâce, lieutenant! que vous ai-je fait?»
– Le juif avait donc de l’argent? demanda une autre voix.
Et un troisième dit:
– Le portier ne l’a pas mâché, il s’est écrié tout de suite: «Ça ne m’étonne pas! J’avais bien dit qu’il y aurait un malheur dans la maison! Quand l’Africain est rentré cette nuit, il avait l’air de tout ce qu’on voudra. Je lui ai parlé, il ne m’a pas seulement répondu, et il était là dans la cour qui gesticulait comme un fou et qui radotait: «Je le hais, ainsi je le hais! c’est plus fort que moi, faut que je fasse la fin de cet homme-là!»
C’était faux, mais il y avait quelque chose de vrai.
Encore une fois le pâle visage de Remy d’Arx passa devant les yeux de Maurice, et vaguement il se souvint d’avoir pensé tout haut bien des fois cette nuit: «Que ne suis-je en face de lui l’épée à la main! je le hais, oh! je le hais!»
Mais le reste, mais ces prétendus cris au secours poussés par un homme qui était tombé en laissant échapper à peine un gémissement, et ces paroles à coup sûr inventées: «Lieutenant, que vous ai-je fait? ayez pitié de moi!»
Maurice était sorti d’un rêve insensé pour entrer dans un cauchemar plus épouvantable et plus fou.