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– Est-ce lui qui vous a appris cela? demanda Valentine.

– Non! c’est moi qui l’ai deviné, comme je devine tout ce qui te concerne… à l’exception d’une chose pourtant: je ne devine pas pourquoi tu as refusé l’homme que tu aimes.

Pour la seconde fois, Mlle de Villanove resta muette.

Le colonel lui prit la main, la força de s’asseoir auprès de lui et poursuivit d’un ton savamment calculé qui alliait une nuance de sévérité à l’affection la plus tendre:

– Tranquillisez-vous, mignonne; je n’en ai pas pour longtemps, et comme je vous dispense de me répondre, cela abrégera encore notre entretien. Le cœur des jeunes filles est sujet à se tromper, interrogez le vôtre avec soin, écoutez bien ce qu’il vous répondra. Mme la marquise a pour vous la tendresse d’une mère, moi je ne vous dis même pas comme je vous aime. Si le jeune homme à qui vous écriviez tout à l’heure… ne frémis pas, va, petite, il n’y a pas de sorcellerie dans mon fait… si le jeune homme à qui tu as gardé ton petit cœur est digne de toi, compte sur moi. M’entends-tu bien? Je suis avant tout du parti de ton bonheur.

Il pressa la main de Valentine qui restait froide entre les siennes et l’attira jusque sur son cœur.

– Voilà ce qu’on te voulait, ajouta-t-il dans un baiser; on voulait te dire que tu n’as rien à craindre, que tes désirs sont des lois et qu’on se charge d’amener la marquise à trouver bon, convenable, parfait, tout ce que tu auras résolu dans ta sagesse. Et là-dessus, mademoiselle de Villanove, reprit-il en quittant son siège, on vous souhaite la bonne nuit en vous demandant bien pardon de vous avoir dérangée.

Le sein de Valentine battait violemment; deux larmes jaillirent de ses yeux; elle se jeta au cou du vieillard entraînée par un irrésistible élan.

Le colonel, malgré toute sa prudence diplomatique, ne put défendre à son regard d’exprimer un espoir.

Mais l’espoir fut déçu; Valentine ne parla point ou plutôt elle ne dit que ces seuls mots, prononcés avec une inexplicable froideur:

– Bon ami, je vous remercie.

Elle reconduisit le colonel jusqu’à la porte et la referma derrière lui.

En descendant l’escalier, le colonel fredonnait entre ses dents une petite ariette d’Italie.

– Eh bien? demanda la marquise après avoir renvoyé Germain, son garde du corps, allez-vous me dire autre chose que: Drôle de fillette?

– J’avais le mot sur les lèvres, répliqua le colonel. Sangodémi! belle dame, plus drôle encore que vous ne le croyez!

– Qu’y a-t-il donc de nouveau? vous m’inquiétez…

– Il y a une simple bagatelle: je sais pour qui était la lettre.

– Pour Remy?

– Non, pour Maurice.

La marquise bondit sur sa chaise.

– Qu’est-ce que c’est que Maurice? s’écria-t-elle.

– C’est un lieutenant de cavalerie.

– Un lieutenant! répéta Mme d’Ornans avec une véritable horreur.

Le colonel consulta sa montre, qui marquait deux heures moins un quart.

– Et vous ne voulez pas, reprit-il avec un singulier sourire qu’il avait dans les grandes circonstances, vous ne voulez pas que je dise: drôle de fillette!

– Elle aime ce jeune homme? balbutia la marquise.

– Ma foi, c’est supposable, belle dame, nous avons tous un cœur. Mais, s’il vous plaît, mettons de côté ces détails, l’important c’est de presser l’achat de la corbeille.

– Comment! voulut interrompre la marquise stupéfaite.

– Parce que, poursuivit le vieillard avec son imperturbable tranquillité, grâce au lieutenant de cavalerie, le mariage de notre bon Remy avec Mlle de Villanove se fera peut-être plus vite que nous ne le pensions tous les deux.

XIII L’arrestation

C’était une chambre de belle étendue, ornée suivant le style des premières années du règne de Louis XVI.

On sentait là le château encore plus que la maison parisienne: les meubles étaient du temps et n’avaient point été changés depuis la création de l’hôtel.

Les boiseries sculptées ménageaient de larges panneaux, remplis par des tapisseries des Gobelins, représentant des sujets de chasses traités dans le goût mythologique et qui se rapportaient aux motifs de la frise, où des chiens et des cerfs couraient tout autour du plafond.

Les sièges, également en gobelins, avaient des médaillons empruntés à la vénerie moderne.

C’avait été l’appartement du fils unique de la marquise d’Ornans, qui était mort justement, disait-on, d’un accident de chasse.

Les deux fenêtres, maintenant fermées, donnaient sur le jardin, dont la lune éclairait les magnifiques bosquets.

Il y avait un grand cabinet, fermé seulement par une draperie, et dont la croisée ouverte laissait passer le bruit des feuillages doucement agités par le vent.

Mlle de Villanove était assise auprès d’un meuble de Boule, formant bureau: celui-là même dont elle avait rabattu la tablette lors de l’arrivée du colonel.

On voyait à l’autre bout de la chambre, entre les rideaux relevés de l’alcôve, le lit, dont la couverture était faite.

Valentine elle-même avait sa toilette de nuit sous le peignoir brodé qui recouvrait ses épaules, et ses admirables cheveux noirs dénoués tombaient en désordre autour d’elle.

Le colonel Bozzo venait de partir; Valentine avait le coude appuyé sur un cahier de papier à lettre dont la première page était aux trois quarts couverte d’écriture, et sa main soutenait son front.

La lumière de la lampe éclairait vivement son visage très pâle, mais marqué, vers les pommettes, de deux taches de vermillon.

Un cercle de bistre entourait ses beaux yeux, qui avaient la fièvre.

Un peintre aurait cherché longtemps avant de trouver un modèle plus exquis pour reproduire les gracieuses et délicates splendeurs de la dix-huitième année, mais un poète eût hésité, ne sachant s’il devait dire en parlant d’elle: jeune fille charmante ou adorable jeune femme.

Elle resta quelque temps ainsi, pensive ou plutôt absorbée.

C’est l’heure où Paris se tait.

On entendait encore dans le lointain ce bruit vague et profond qui ressemble à la voix de la mer, mais cette voix allait s’éteignant et mourait par intervalles.

Quelquefois un souffle de brise agitait brusquement les feuilles, que septembre faisait déjà sonores.

D’autres fois, Valentine écoutait les sons mystérieux de la nuit et un frémissement léger agitait son beau corps sous la mousseline de son peignoir.

Au bout de quelques minutes, ses lèvres s’entrouvrirent.

– Remy d’Arx! murmura-t-elle sans savoir peut-être qu’elle parlait; Maurice…

Elle releva la tête; ses traits exprimaient une souffrance indéfinissable.

Elle voulut relire le commencement de sa lettre, mais avant d’avoir achevé la première ligne, elle saisit sa plume d’un mouvement violent et la trempa dans l’encre.

Elle écrivit:

«Je suis seule. Il y a en moi quelque chose qui me dit: Tu es perdue. Pourquoi suis-je seule à l’heure du danger? Pourquoi n’es-tu pas là? J’aurais dû te rappeler plus vite. J’ai eu peur du monde; on m’a appris les lois, les convenances du monde; il m’a semblé un instant que je devais leur obéir.