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Elle sera en route pour l’Algérie quand je verrai M. d’Arx.

Elle écrivit encore:

«Au revoir donc, cher, bien cher Maurice. Désormais je vais compter les jours. Peut-être es-tu déjà en route, puisque tu as dû recevoir la lettre de Léocadie, mais j’ai craint que tu n’eusses pas confiance et j’ai voulu t’envoyer ma propre parole, signée de mon vrai nom. Je t’attends, je t’aime, et quelque chose me dit que nous aurons du bonheur.»

Elle signa et rejeta sa plume avec une sorte de colère.

– Est-ce bien vrai cela, pensa-t-elle, du bonheur? Non, mes pressentiments sont douloureux, mais pourquoi lui faire partager ces craintes que rien ne justifie?

Par la fenêtre ouverte du cabinet, un cri faible et lointain se fit entendre, suivi d’un bruit dont Valentine n’aurait point su expliquer la nature.

Elle était brave, elle nous l’a dit elle-même, et les faiblesses qui la tourmentaient, cette nuit, n’appartenaient point à son caractère.

Elle passa dans le cabinet pour interroger le dehors.

C’était une belle nuit, la brise agitait doucement les arbres, et la lune, à travers les feuillages, glissait de blanches échappées de lumière.

Le bruit ne venait pas du jardin, qui était solitaire et tranquille.

Mais il y avait un mouvement inusité dans la maison située à droite des bosquets, en retour sur la rue de l’Oratoire.

Valentine vit des lumières courir au troisième étage de cette maison, etc, dans l’escalier, au second, il y avait une fenêtre éclairée.

En même temps un murmure de voix parvint jusqu’à elle.

– Quelque pauvre malade, pensa-t-elle en gagnant son lit.

Elle s’agenouilla pour faire sa prière, car elle n’y manquait jamais, et le premier mot de Léocadie, lorsque le colonel était venu à la baraque pour réclamer Fleurette, avait été celui-ci: «J’avais toujours eu l’idée que l’enfant n’était pas née sous un chou; ça n’accepte jamais un verre de n’importe quoi et c’est pieux comme une petite demoiselle.»

Mais, ce soir, la prière de Valentine était distraite.

À peine fut-elle agenouillée que sa frayeur vague la reprit.

Elle regretta de n’avoir pas fermé la fenêtre.

Les bruits qui, tout à l’heure, lui semblaient naturels et dont elle avait trouvé elle-même l’explication probable lui semblaient maintenant tout autres.

La peur est faite ainsi et Valentine avait peur.

Elle voulut s’obstiner, cherchant les paroles de sa prière, mais tendant l’oreille et retenant son souffle.

Des voix venaient, non plus de la rue de l’Oratoire, mais des terrains de Beaujon, et il lui sembla distinguer un mot qui mit de la glace dans ses veines: «Assassin.»

Le fait assuré, c’est que le bruit augmentait.

Il y avait un haut treillage qui soutenait des plantes grimpantes destinées à cacher le mur du numéro 6 de la rue de l’Oratoire.

Illusion ou réalité, les lattes de ce treillage craquèrent.

Ceci était distinct et le craquement se renouvela plusieurs fois.

Or, le treillage touchait à un grand tilleul dont le sommet dépassait de beaucoup la toiture de l’hôtel et dont les branches venaient caresser la première croisée de la chambre de Valentine.

De cette croisée à celle du cabinet un balcon régnait, reliant ainsi les trois fenêtres.

Valentine n’essaya plus de prier; elle se mit sur ses pieds toute tremblante, étonnée et irritée de la terreur sans nom qui paralysait ses mouvements, car sa volonté était de courir au cabinet pour barricader la fenêtre, et ses jambes chancelantes refusaient de faire un pas.

Il n’y avait plus à douter, quelque chose d’extraordinaire se passait auprès d’elle; les craquements du treillage avaient cessé, mais les branches du tilleul remuaient, secouées par un effort qui n’était pas celui du vent.

Et les voix éclataient de tous côtés, et la petite porte du jardin s’ouvrait avec fracas, et l’on marchait, et l’on courait dans les allées.

– Il doit être là, disait-on, le brigand, l’assassin! il a dû grimper dans l’arbre.

– Il est capable de passer par-dessus la terrasse et de gagner les Champs-Elysées…

– Dressez l’échelle! nous l’aurons si on peut atteindre ce balcon.

À ce moment, des coups redoublés retentirent frappés à la porte cochère, et bientôt un grand mouvement se fit à l’intérieur de l’hôtel.

Valentine écoutait, haletante.

Tout cela était clair comme une histoire racontée de point en point.

Un meurtrier essayait de fuir; il était là, dans l’arbre, et c’était son poids qui secouait les branches.

À l’instant où le bout de l’échelle dressée sonnait contre la rampe du balcon, les branches cessèrent de se mouvoir et le bruit d’une chute eut lieu sur le balcon même, à côté de la première croisée.

Tout de suite après, une ombre glissa derrière les carreaux.

Valentine, éperdue, s’élança dans le cabinet et saisit les deux battants de la croisée pour la fermer; mais il était trop tard, l’ombre se dressa devant elle et fit obstacle à son effort.

– Au nom de Dieu, dit une voix suppliante, je suis innocent, ayez pitié de moi!

Valentine n’entendit pas, peut-être; elle était folle.

Valentine ne vit rien, sinon ce que son imagination en délire lui montra: un être hideux, souillé du sang de son semblable; un assassin.

Elle poussa un cri terrible qui fit croire aux gens du dehors qu’un second meurtre avait été commis, et marcha à reculons jusqu’à la porte du corridor, que son dos heurta violemment.

Mue par son instinct, car elle n’avait plus de pensée, elle ouvrit cette porte en criant:

– Au secours! au secours! il est là!

Le corridor était vivement éclairé. Mlle de Villanove se trouva en présence de tous les gens de l’hôtel, qui arrivaient précédés par le colonel Bozzo, lequel tenait un flambeau à la main.

Auprès du colonel il y avait un personnage portant l’écharpe tricolore et dont la mine froide contrastait avec l’émotion générale.

C’était le commissaire de police.

Ce fut lui qui entra le premier, au moment où les gens du jardin qui avaient grimpé au moyen de l’échelle sautaient en tumulte sur le balcon.

– Où est-il? demanda le commissaire.

Le doigt convulsivement tendu de Valentine montra le cabinet.

Il n’était pas besoin de cela.

Dans le cabinet, il y avait déjà lutte, et au bout de quelques secondes un groupe confus, formé par l’assassin et ceux qui l’assaillaient, fut poussé dans la chambre à coucher.

C’était l’assassin lui-même qui entraînait ses adversaires.

Aussitôt qu’il eut passé le seuil, il fit un effort puissant et se dégagea de leur étreinte.

On le vit seul un instant, quoique entouré de tous côtés.

Il n’essaya point de fuir; il croisa ses bras sur sa poitrine, éclairé qu’il était par la lueur de dix flambeaux.

– Lieutenant Maurice Pagès, dit le commissaire en faisant un pas vers lui, je vous arrête au nom de la loi.

On n’entendit pas la fin de la formule; elle fut coupée par un cri déchirant.