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– La loi exige que l’interrogatoire soit recueilli par le greffier, répondit Remy d’Arx, et c’est la garantie de l’accusé, mais la loi ne pose aucune limite au libre arbitre du juge choisissant les moyens d’éclairer sa conscience.

Il s’interrompit et ajouta en s’adressant au greffier:

– Laissez-nous, monsieur Préault, mais ne vous éloignez pas; je vous rappellerai quand il me plaira de reprendre l’interrogatoire légal.

M. Préault rangea ses papiers, déposa sa plume et gagna la porte en répétant:

– Excusez! ça prépare des jolis moyens de cassation.

La porte fut bruyamment refermée, car M. Préault était de méchante humeur.

– Lieutenant Pagès, reprit le juge en se levant, personne ne nous écoute; vous êtes ici en présence du seul homme qui puisse vous comprendre; j’ai des raisons pour vous croire innocent.

– Serait-il vrai?… s’écria Maurice stupéfait.

Remy lui tendit la main en ajoutant:

– Il se peut que je me trompe, c’est vous qui allez m’éclairer. Si j’ai deviné juste, je suis votre ami, lieutenant Pagès, parce que nous avons les mêmes ennemis.

XVIII L’interrogatoire

Remy d’Arx et Maurice étaient assis maintenant en face l’un de l’autre. Maurice parlait; Remy, penché sur les pièces éparses du dossier, écoutait attentivement et prenait des notes.

Ce n’était plus l’homme de tout à l’heure; quelque chose de son ancienne passion se réveillait en lui, et, pour un instant, il redevenait lui-même.

Sur son ordre, Maurice avait commencé le récit détaillé de sa vie depuis son départ d’Angoulême jusqu’à son retour d’Afrique.

Tout en l’écoutant, Remy consultait les pièces de l’instruction et semblait comparer les dires du jeune lieutenant aux renseignements recueillis par la police.

Elle était profonde et peut-être mortelle, la blessure que lui avait faite l’arme invisible, la main qui avait porté le coup était exercée: elle avait frappé en plein cœur. Mais les plaies de l’âme sont comme celles du corps, et tel remède qui n’a pas la puissance de guérir peut du moins calmer la fièvre et produire une trêve.

Ainsi en était-il de Remy d’Arx qui oubliait un moment son angoisse et se redressait, ravivé par une diversion inattendue.

Le lévrier mourant bondit encore si on lui montre la trace du cerf; Remy venait de tomber à l’improviste sur la piste de ceux qui avaient tué son père.

Les Habits Noirs étaient là, il le sentait; le sang corse, rallumé tout à coup, bouillonnait dans ses veines comme aux jours de sa jeunesse.

Ses narines dilatées tremblaient, son œil brûlait.

Quand Maurice aborda cet épisode de son histoire où, se trompant de porte, il était entré dans une baraque de saltimbanques au lieu d’aller coucher à la caserne, Remy l’arrêta du geste et prit à la main celui des trois rapports qui n’avait pas de signature.

– Voici un travail admirablement fait, murmura-t-il, trop bien fait; cela tient du miracle. Le crime a été commis ce matin, et ce soir nous avons au dossier quelque chose qui pourrait être intitulé: «Les mémoires de l’accusé». J’y trouve tout ce que vous me dites, lieutenant Pagès, avec des détails encore plus intimes sur Mme Veuve Samayoux, votre patronne, et sur cette jeune fille qui portait le nom de Fleurette. On a dû interroger un de vos amis, un ami pour qui vous n’aviez rien de caché.

– Je me connais de bons camarades au régiment, répliqua Maurice, mais je n’ai jamais confié mes affaires à personne.

– Alors, demanda le juge, qui avait aux lèvres un sourire presque triomphant, comment expliquer cette merveille? La police mérite rarement qu’on l’accuse d’être trop habile. En quelques heures, il a fallu rassembler les renseignements que voici, et qui, en vérité, semblent avoir été donnés, par vous-même, tant leur exactitude est complète; il a fallu, en outre, rédiger ce rapport, le mettre au net et le déposer à la préfecture, qui l’a fait parvenir ici avant mon arrivée. Il y a des sortes d’encres qui sèchent très vite, je le sais, mais l’écriture de ce document ne semble pas toute fraîche; on dirait que la nuit a passé sur cette copie.

Pendant qu’il parlait, Maurice le regardait avec étonnement.

– Monsieur le juge, dit-il d’une voix très émue, cherchez-vous donc vraiment à me trouver innocent?

– Je cherche les coupables, répliqua Remy d’Arx, qui fixa sur lui ses yeux perçants; vous ne les connaissez pas encore, et pourtant vous allez m’aider à les trouver. Monsieur Pagès, cette pièce était fabriquée d’avance.

– Vous croiriez!… s’écria le jeune lieutenant stupéfait.

– J’en suis sûr. Ils sont arrivés à ce point d’habileté qu’ils dépassent quelquefois le but, et la perfection de leur œuvre devient une signature. Je reconnais, moi qui vous parle, tout ce qui sort de cette terrible fabrique.

Les yeux de Maurice interrogeaient et laissaient percer une vague inquiétude.

– Soyez tranquille, dit Remy, répondant à ce regard, j’ai tout mon sang-froid, et vous comprendrez bientôt le sens de mes paroles. Tout était préparé, je vous le répète; on rédigeait ce rapport à l’heure même où un autre acteur, jouant dans la même comédie, profitait de votre absence pour briser chez vous une serrure et laisser dans votre chambre deux de ces outils qui n’appartiennent qu’aux voleurs de profession.

La bouche de Maurice resta béante un instant, puis il balbutia:

– Je ne vous ai rien dit de tout cela; comment le savez-vous?

Le juge d’instruction sourit encore et poursuivit au lieu de répondre:

– Qui a pu fournir ces renseignements sur votre vie passée? Cherchez bien, il est impossible que vous ne trouviez pas un moyen de me mettre sur la trace.

– Je n’ai pas besoin de chercher, répliqua Maurice, frappé soudain d’un trait de lumière; hier au soir, j’ai vu la veuve Samayoux, mon ancienne patronne.

Évidemment, interrompit Remy, ce doit être elle. Maurice secoua la tête.

– Vous vous trompez, monsieur le juge, dit-iclass="underline" celle-là est le plus honnête cœur qui soit au monde. Sa tête, par exemple, n’est pas de si bonne qualité; elle m’a avoué elle-même qu’on était venu, qu’on avait tourné autour d’elle et qu’on l’avait fait causer à mon sujet.

– Depuis peu?

– Hier, dans la matinée.

– Vous voyez bien! s’écria le magistrat, qui battit des mains comme pour applaudir. Vous a-t-elle dit le nom de celui qui a tourné autour d’elle?

– Elle a prononcé deux noms, repartit Maurice, et je ne sais plus lequel des deux se rapporte à ce détaiclass="underline" Piquepuce et Lecoq.

Remy ouvrit avec vivacité sa redingote et prit dans sa poche un carnet, qu’il consulta en répétant:

– Piquepuce… Lecoq!

Il tira brusquement le cordon de la sonnette qui pendait au-dessus de son bureau.

– Lecoq! dit-il tout bas pour la première fois.

Il ajouta, en s’adressant au garçon qui accourait, appelé par son coup de sonnette:

– Passez sur-le-champ à la préfecture et dites au chef de la 2e division que j’ai besoin de l’agent Lecoq. Vous entendez: sur-le-champ!

Le garçon partit; Remy resta pensif.