Ils se tinrent ainsi embrassés pendant toute une minute qui fut pour Remy plus longue qu’un siècle.
Le transport de sa jalousie furieuse mais impuissante lui montait au cerveau; il avait passé sous le revers de son habit, pour s’empêcher de rugir, sa main qui ensanglantait sa poitrine.
En même temps, son oreille se tendait avidement pour saisir la moindre parole prononcée; mais il ne surprit que ces mots qui restèrent sans réponse:
– Maurice, M. d’Arx connaît ton innocence; il a promis de te sauver.
Valentine, il est vrai, avait ajouté tout bas:
– Je t’aime, ne me juge pas; je suis à toi, je ne serai qu’à toi.
Il y eut entre eux une dernière étreinte échangée, et leurs bouches se rencontrèrent en un baiser rapide comme l’éclair. Puis Valentine se dégagea et revint vers le juge en disant:
– Sortons, je souffre plus que vous.
Elle repassa le seuil la première.
Remy, au lieu de la suivre, fit un pas vers le prisonnier.
– Lieutenant Pagès, lui dit-il d’une voix lente et qui allait se brisant à chaque mot, vous êtes innocent, je le crois; vous serez sauvé, je le promets; Mme Remy d’Arx ne vous a point trompé.
– Mme Remy d’Arx! répéta Maurice, qui recula comme si la foudre l’eût frappé.
Les lèvres blêmes du juge eurent un sourire. Au fond de son agonie, il triomphait.
– Elle m’appartient, dit-il encore; je l’ai achetée, je vous épargne l’échafaud, mais c’est pour avoir le choix des armes, et vous ne me devez rien. Le lendemain du jour où vous serez libre, je vous tuerai.
XXI La confession de Valentine
Il était deux heures du matin. Le colonel Bozzo venait de se mettre au lit, et la belle comtesse Corona, empressée autour de lui, bordait sa couverture, comme on fait aux enfants, après avoir noué l’espèce de béguin qui lui emmitouflait la figure.
Le vieillard grelottait un peu saisi par le froid des draps, et sa coiffe tuyautée lui donnait l’air d’une vieille femme frileuse.
La chambre à coucher était simple jusqu’à l’austérité. Certes, ceux qui savaient que ce tremblant débris était le général en chef d’une armée d’assassins devaient se demander quelle bizarre, quelle inexplicable manie le poussait à répandre le sang pour conquérir de l’or.
De l’or! il n’en pouvait rien faire, tout ce que l’or achète lui était superflu; depuis bien longtemps, les passions qu’on assouvit avec de l’or étaient mortes en lui. Il ne dépensait rien et les gages de son dernier domestique auraient suffi trois fois à son entretien.
– Mets du bois dans le feu, chérie, dit-il à la comtesse, c’est étonnant ce que je gaspille en chauffage, et nous ne sommes encore qu’au mois de septembre! Y avait-il beaucoup de monde chez la marquise, cette nuit?
– Comme à l’ordinaire, répondit Francesca, sauf Remy d’Arx, qui n’est pas venu. On l’attendait avec impatience à cause de l’aventure d’hier matin.
– Hein! fit le bonhomme, qui ramena ses draps jusque sur son nez, voilà une histoire! et dans un quartier ordinairement si tranquille.
– On vous regrettait bien aussi, bon père, continua Francesca. Il paraît que vous étiez présent à l’arrestation de ce malheureux.
– J’en suis encore tout ébranlé, répliqua le colonel, et c’est pour cela que j’ai gardé la chambre aujourd’hui.
– On dit, reprit Francesca, que c’est un beau jeune homme.
– Grand et fort, oui, mais l’air trop effronté.
– On dit que Valentine l’a reconnu?
– Que veux-tu? soupira le colonel, il faudra bien que le monde sache enfin le roman de sa jeunesse. C’est désagréable, mais ça explique tout. Ce jeune malfaiteur a été saltimbanque avec elle chez la dompteuse d’animaux féroces… Comment l’appelles-tu, celle-là?
– Mme veuve Samayoux, père.
– C’est ça, Heureusement que notre Valentine est pourvue, maintenant. La marquise a-t-elle annoncé le mariage?
– Oui, et tout le monde a fait de grands compliments mais on en revenait toujours à l’assassinat de la rue de l’Oratoire. C’est très singulier, l’homme qu’on a tué était un voleur et il avait dans une canne à pomme d’ivoire les diamants de cette fille dont on parle tant, Carlotta Bernetti.
– Vraiment! fit le colonel, les journaux en auront pour longtemps à radoter… Et que disait notre Valentine?
– Elle n’est venue que très tard.
– À quelle heure?
– Entre onze heures et minuit.
– Et quelle air avait-elle?
– Son air de tous les jours… un peu fatiguée peut-être… Elle a été parfaite avec ceux qui lui faisaient compliment sur son mariage. Sais-tu, père, elle a bien meilleure façon que toutes ces demoiselles qui n’ont pourtant pas été en pension chez la veuve Samayoux?
– C’est une drôle de fillette, répliqua le colonel. Va te coucher, mon ange; j’ai sommeil.
La comtesse vint aussitôt l’embrasser et se retira en lui souhaitant la bonne nuit.
À peine avait-elle passé le seuil de la porte principale, qu’on gratta doucement au-dehors, derrière la tête du lit.
– Entre, l’Amitié, dit le colonel.
Une petite porte masquée s’ouvrit, et M. Lecoq parut.
– Dernières nouvelles! s’écria-t-il en entrant, la grande scène du cachot à la Conciergerie a eu lieu, mais à trois personnages. Le Remy d’Arx en était! Voyez-vous cela d’ici? Cette Valentine est décidément une créature très originale. La scène n’a pas duré longtemps, mais elle a été si dramatique qu’en sortant notre beau juge d’instruction est tombé les quatre fers en l’air!
– Que s’est-il donc passé? demanda le colonel en mettant sa tête curieuse hors des couvertures. Raconte.
– Nous saurons cela plus tard, papa; je vous répète seulement ce que j’ai ouï dire à la Conciergerie. On a relevé M. Remy d’Arx évanoui et Mlle de Villanove l’a fait porter à bras jusqu’à sa voiture; c’est donc Giovan-Battista qui a eu l’honneur de conduire les futurs époux au logis du juge d’instruction. Celui-ci avait recouvré ses sens; quand on est arrivé, Mlle de Villanove n’a point voulu qu’il eût d’autre bras que le sien pour monter chez lui; elle l’a mis sur une chaise longue et ne s’est déterminée à le quitter qu’après l’arrivée du médecin. Il était près de onze heures quand elle a ordonné à Giovan-Battista de prendre le galop pour regagner l’hôtel d’Ornans.
– Et vers onze heures et demie, dit le colonel, elle entrait en grande toilette dans le salon de la marquise pour recevoir avec un calme éblouissant les compliments au sujet de son mariage. Une pareille enfant, dressée par moi dans le temps où j’avais encore du sang plein les veines, aurait fait un fameux sujet, sais-tu l’Amitié?
– Oui, répondit Lecoq, elle a du chien, pas mal, mais maintenant que nous avons tout dit, papa, puisque vous voilà couché, je vais aller, moi aussi, faire un petit somme.
– Non pas! s’écria le vieillard, qui se souleva sur le coude, nous n’avons pas tout dit, tu as oublié le résultat de notre expédition d’hier soir, au greffe.