Les deux jeunes gens anéantis allaient néanmoins protester de leur innocence, lorsqu’un mouvement se fit du côté du lit, où le Dr Samuel s’empressait autour de la victime.
– La vie lutte encore, dit le docteur.
Le colonel réprima un tressaillement de terreur, mais Samuel ajouta:
– Il a été empoisonné par la belladone, il va mourir fou.
– Valentine! appela la voix de l’agonisant, ma sœur…
Mlle de Villanove fit un pas vers lui.
– Ma sœur! répéta-t-il en se dressant sur son séant.
Il tendit les bras, mais ses deux mains firent aussitôt un geste de répulsion, et il ajouta avec une indicible horreur:
– N’approche pas, je t’aime encore! C’est avec toi qu’ils m’ont tué! Tu étais, oh! tu étais l’arme invisible!…
Il retomba.
Le colonel se pencha sur lui; on l’entendait qui sanglotait en pressant le mourant contre son cœur. Quand il se releva, il essuya ses yeux et dit:
– J’ai recueilli le dernier soupir de mon pauvre enfant!
Le Dr Samuel et Lecoq étaient plus pâles que le mort.
D’une voix navrée, le colonel ajouta, montrant Valentine et Maurice:
– J’avais tout fait pour prévenir la catastrophe, je voudrais encore les sauver, mais ils appartiennent à la loi. Messieurs, elle était ma seconde fille. Laissez-moi me retirer avant d’accomplir votre devoir.
Ils étaient trois dans la voiture qui reconduisait le colonel Bozzo à son hôtel de la rue Thérèse.
Lecoq et Samuel pouvaient passer pour des scélérats endurcis, et pourtant ils regardaient avec une superstitieuse terreur ce vieillard souffreteux et frissonnant dans sa douillette.
– Depuis soixante-dix ans, dit le colonel, il en a été ainsi de tous ceux qui se sont attaqués à moi. Vous êtes sauvés, mes bijoux; tressez-moi des couronnes, s’il vous plaît!
– Mais, objecta Lecoq, ils ne sont pas encore condamnés. Ils parleront…
– Savoir! ils ont un tendre ami que je connais bien et qui leur fera parvenir le nécessaire pour éviter la honte de l’échafaud.
Un rire sec le prit, qui n’eut point d’écho. À ce rire une petite quinte de toux succéda. Le colonel porta son mouchoir à ses lèvres et le mit ensuite auprès de lui. Quand il fut descendu de voiture, Lecoq et Samuel se regardèrent.
– Est-ce le diable? dit Lecoq.
Samuel prit le mouchoir oublié sur le coussin.
– Le diable ne meurt pas, répondit-il.
Et il montra une tache rougeâtre qui restait à l’endroit où les lèvres du colonel avaient touché le mouchoir.
– Qu’est-ce que c’est que cela? demanda Lecoq.
– C’est la fin, répliqua le Dr Samuel.
Lecoq examina curieusement la toile et dit:
– Pas possible! je pensais que Dieu l’avait oublié.
– Tu crois donc à Dieu, toi, l’Amitié?
– Non, mais tout de même ce serait drôle s’il y avait quelqu’un là-haut.