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On a supprimé, il est vrai, le bûcher qui brûlait au Moyen Age les sorciers, c’est-à-dire les forts, pour le plus grand contentement de ceux qui jamais ne peuvent être accusés d’inventer la poudre.

On ne lapide plus les penseurs victorieux sous prétexte du pacte qu’ils ont pu signer avec Satan, mais pierres et fagots ont été avantageusement remplacés par la calomnie, hydre qui ne semble avoir perdu aucun croc de sa mâchoire, aucune goutte de son venin depuis le temps de Beaumarchais.

Aussi les honnêtes gens fuient-ils à son approche en se bouchant les oreilles, et il arrive cette chose douloureuse que nombre de coquins se faufilent dans le monde à la faveur du discrédit où est tombé le cri de haro.

La maison du Dr Samuel se composait de trois parties distinctes, sans compter le pavillon tout neuf et fort bien entendu comme confort où il faisait son domicile privé.

Il y avait le quartier des aliénés, le quartier des malades ordinaires et le quartier des pauvres, appelé l’hospice.

Tout était gratuit dans ce dernier asile où le colonel Bozzo-Corona, si célèbre par sa philanthropie éclairée, et M. de Saint-Louis (Louis XVII), son illustre ami, avaient fondé chacun quatre lits qu’ils entretenaient de leurs deniers personnels.

La principale entrée de la maison Samuel se trouvait obstruée par de grands travaux de reconstruction. La voiture, contenant M. Constant et sa compagne, s’arrêta devant la porte de l’hospice, qui s’ouvrait sur le bouquet d’arbres longeant le chemin des Batailles.

Pendant toute la route, l’officier de santé s’était montré galant, bon enfant et presque facétieux; l’esprit qu’il avait était tout à fait à la portée des goûts et des habitudes de la veuve.

Quand la voiture s’arrêta, il y avait entre eux un certain degré de familiarité amicale.

La brave femme gardait bien pour un peu sa tristesse, ses craintes et même une certaine défiance, inspirée par l’aventure dans laquelle on l’engageait; elle était en effet d’un monde où l’imagination pousse au noir tout de suite, nourrie qu’elle est de drames violents et de sanglantes légendes.

Mais, d’un autre côté, rien ne console, rien n’encourage comme l’action.

Toute créature humaine aime à jouer un rôle, et chez les femmes ce goût grandit volontiers jusqu’à la passion.

Léocadie était femme, malgré sa formidable carrure et le talent qu’elle avait de porter des poids de cent livres à bout de bras.

Elle se disait, tout en écoutant les verbeuses explications de son compagnon, qui ne tarissait pas:

– C’est un fier numéro qui est sorti aujourd’hui pour moi de la roue! Le bandeau que j’avais sur les yeux est déchiré et je vois clair à choisir ma route. Je voulais savoir, je sais; si je veux en apprendre davantage, je n’ai qu’à parler, on me répondra, et de plus, au lieu de me fatiguer toute seule au fond d’un trou, sans protections ni connaissances, je vais avoir pour moi toute une société de gens calés qu’on écoute quand ils parlent et qui ont le bras long!

– Eh bien! quoi, ajoutait-elle en elle-même, répondant à quelque vague objection de son bon sens naturel, c’est drôle qu’ils sont venus à moi, je ne dis pas non, mais ça dépend du caprice de ma pauvre Fleurette, qui s’est souvenue du temps où elle n’était pas encore mademoiselle Valentine et qui a confiance dans le bon cœur de maman Léo. Elle sait bien, celle-là, que je ne reculerais pas devant mille morts quand il s’agit de notre Maurice! et puis, je n’ai pas mes yeux dans ma poche, peut-être! Si je vois quelque chose de louche dans tout ça, c’est à moi de regarder où je mettrai le pied.

Le concierge de l’hospice les reçut à la porte et dit à M. Constant:

– On est déjà venu bien des fois du grand pavillon voir si vous étiez arrivés.

– Je ne me suis pourtant pas amusé en chemin, répondit l’officier de santé. La demoiselle n’est pas plus mal?

– Toujours la même.

M. Constant fit entrer sa compagne sous une voûte longue et d’aspect triste, quoiqu’elle fût évidemment toute neuve.

En passant devant la loge, la veuve y jeta un regard.

Dans la loge il y avait trois ou quatre personnes, infirmiers peut-être ou domestiques, qui se chauffaient autour d’un grand poêle de fonte.

Un seul homme était assis au milieu de la chambre, les coudes sur la table, juste au-dessous de la lampe qui pendait au plafond.

Sa casquette, d’où s’échappaient des cheveux hérissés, cachait à demi son visage, mais la lumière éclairait vivement ses membres athlétiques et l’énorme envergure de ses épaules.

À la vue de cet homme, Mme Samayoux fit un mouvement, et M. Constant le sentit, car il tourna la tête avec vivacité.

– Bonsoir, Roblot! dit-il en continuant son chemin.

Roblot était sans doute le nom de l’athlète qui ne bougea ni ne répondit.

– Est-ce l’homme à la casquette que vous appelez Roblot? demanda la dompteuse.

– Oui, répondit M. Constant, est-ce que vous le connaissez? J’ai toujours eu l’idée qu’il avait bien pu être hercule en foire. C’est un taureau que ce chrétien-là!

– Je ne connais pas ce nom de Roblot, répondit la veuve, et j’avais cru remettre un homme qui s’appelle autrement que cela.

Ils avaient traversé la voûte et pénétraient dans une cour entourée de bâtiments tout neufs comme la voûte elle-même.

– C’est ennuyeux, les réparations, reprit l’officier de santé; si la grande entrée avait été libre, vous auriez vu qu’on arrive au pavillon de M. le docteur par un chemin aussi beau que le vestibule des Tuileries, mais nous allons être forcés de marcher dans la neige.

– Oh! fit la veuve, je ne suis pas douillette. Est-ce que ce Roblot est un des employés de la maison?

– Non, c’est un de nos convalescents de l’hospice. Quand ils commencent à aller mieux, on leur laisse beaucoup de liberté et ils en profitent pour fréquenter la conciergerie. Vous concevrez qu’à l’hospice nous n’avons pas des ducs et des marquis. À l’établissement payant, c’est différent; quand il fait beau et que notre société se promène dans les jardins, on dirait un coin du bois de Boulogne.

Une porte située en face de la première entrée fut ouverte et donna accès dans un vestibule que M. Constant traversa sans s’arrêter.

Au-delà, c’était un jardin assez vaste et tout plein de grands arbres couverts de neige.

– Voilà l’établissement, dit M. Constant, qui montra, à droite et à gauche, deux corps de logis éclairés. Ici les malades ordinaires et là les aliénés; nous n’allons ni ici, ni là; vous savez, la demoiselle est au bout, dans le grand pavillon.

Ils suivirent un chemin où la neige était balayée avec soin et parvinrent à une maison de belle apparence, dont le perron, tourné vers le midi, dominait tout le paysage parisien.

M. Constant sonna et ce fut Victoire, la femme de chambre de Valentine, qui ouvrit.

– Dieu merci! dit-elle, voici assez longtemps qu’on s’impatiente!

Puis elle ajouta avec une curiosité qui n’était pas exempte d’impertinence: