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– Nous vous remercions d’être venue, madame, lui dit la marquise. Quand je vous vis autrefois, nous étions tous bien joyeux, et je croyais emporter de chez vous le bonheur de ma maison. Il en a été ainsi pendant près de deux années, la chère enfant que nous vous devons nous a donné bien des jours de consolation et de joie; mais à présent, le malheur a frappé à notre porte, un malheur horrible dont vous avez entendu parler sans doute, et nous n’avons plus d’espoir qu’en vous.

– Tout ce que je pourrai faire…, balbutia la dompteuse en essayant une maladroite révérence.

Tout le monde répondit aussitôt à son salut, ce qui mit le comble au malaise qu’elle éprouvait.

– Constant, dit le colonel, approchez un fauteuil à Mme Samayoux, car je suis obligé de m’asseoir. Mes pauvres jambes sont bien faibles.

M. Constant, qui avait ici presque l’air d’un domestique, se hâta d’obéir, pendant que la comtesse Corona aidait son aïeul à reprendre position dans sa bergère.

– Nous vous attendions avec grande impatience, poursuivit la marquise; la pauvre chère enfant prononce bien souvent votre nom, et c’est le seul… avec un autre…

Elle s’arrêta; ses yeux étaient mouillés.

La veuve sentit que ses paupières la brillaient, car elle était profondément attendrie, et ses soupçons, si jamais elle avait éprouvé rien qu’on puisse appeler soupçon, s’évanouissaient comme des rêves.

– On dirait, acheva la marquise en essuyant ses paupières rougies par les larmes, qu’elle a oublié tout le reste, et pourtant ceux qui sont ici l’aiment bien, allez, ma bonne madame Samayoux!

Au lieu de s’asseoir, la dompteuse demanda, en désignant du doigt l’alcôve:

– Est-ce qu’elle est là?

Ce ne fut point la marquise qui répondit.

Une voix se fit entendre derrière les rideaux et appela:

– Léo! ma chère maman Léo!

La dompteuse bondit aussitôt vers l’alcôve, où elle pénétra, et l’instant d’après Valentine était dans ses bras.

La marquise avait repris son siège en levant les yeux au ciel.

Le colonel Bozzo eut une petite quinte de toux pendant laquelle la comtesse Corona lui frappa doucement dans le dos, comme on fait aux enfants qui ont la coqueluche.

Derrière les rideaux de l’alcôve, on entendait la forte voix de la dompteuse, adoucie jusqu’au murmure et qui disait:

– Fleurette, ma petite Fleurette chérie, nous le sauverons ou j’y laisserai ma peau!

Le colonel ouvrit sa bonbonnière pour y prendre une tablette de pâte Regnault et dit au docteur:

– Ce rhume est tenace et me fatigue, il faudra que nous prenions une consultation sérieuse, car je ne voudrais pas m’en aller à près de cent ans comme une petite Anglaise poitrinaire, ah! mais non!

– Ce n’est rien, répliqua Samuel, je garantis vos poumons, ils sont d’acier.

Un sourire vint aux lèvres de M. Constant, qui restait debout près de la porte, parce que personne ne lui avait dit de s’asseoir.

– Mme Samayoux, demanda la marquise en s’adressant à lui justement, sait-elle ce que nous attendons de son obligeance?

– À peu près, répondit l’officier de santé, je lui ai expliqué la chose de mon mieux.

La marquise se pencha vers M. de Saint-Louis et ajouta tout bas:

– Pour une chose aussi délicate, j’aurais préféré M. le baron de la Périère, mais on ne le voit plus.

– C’est vrai, dit le prince, que devient-il donc, ce cher baron?

M. Constant avait les yeux fixés sur le colonel, qui lui envoya un regard souriant.

– M. de la Périère s’occupe de vous, chère bonne amie, dit-il; vous le verrez peut-être ce soir, peut-être demain, et vous regretterez d’avoir pu penser qu’il abandonnait ses amis dans le malheur.

Il fit en même temps un signe imperceptible pour les autres, mais que M. Constant sut traduire sans doute, car M. Constant disparut aussitôt.

Le silence régna autour du foyer.

Il est permis de penser que chacun dans le cercle désirait entendre ce qui se disait au fond de l’alcôve.

Mais aucun bruit de voix ne dépassait plus les rideaux.

Mme Samayoux avait les lèvres appuyées sur le front de Valentine, qui murmurait à son oreille:

– Ce Constant est-il encore là?

– Non, répondit la veuve après s’être penchée pour regarder dans le salon.

– Taisons-nous! fit Valentine.

Son doigt montra le fond de l’alcôve, tandis qu’elle ajoutait:

– Il doit être là aux écoutes.

– Comment! fit la veuve, là ce n’est donc pas un mur, derrière les rideaux?

– Chère mère, dit-elle, en élevant la voix, venez!

Mme la marquise d’Ornans se leva aussitôt et traversa la chambre, leste comme une jeune fille.

– Il y avait bien longtemps que tu ne m’avais appelée, chérie, fit-elle avec émotion.

Sa voix tremblait de plaisir. Elle ajouta en se tournant vers la veuve, dont elle serra les deux mains avec effusion:

– C’est à vous que je dois cela. Du fond du cœur, je vous remercie.

– Comme elle est aimée! murmura la comtesse Corona.

Le colonel lui prit la tête et la baisa au front.

Pendant qu’elle était en quelque sorte aveuglée par cette caresse, les quatre hommes qui restaient seuls autour du foyer échangèrent un étrange et rapide regard.

Les yeux du prince, ceux du docteur en droit, et ceux de Samuel exprimaient de l’inquiétude. Dans ceux du colonel, il y avait un froid dédain.

Valentine avait attiré la marquise jusqu’à son chevet. La veuve, qui s’était retirée un peu de côté et dont les yeux s’habituaient à l’obscurité relative produite par les draperies de l’alcôve, se mit à regarder la jeune fille.

C’était peut-être la fièvre, mais il y avait des couleurs aux joues de Valentine; son regard brillait extraordinairement; elle était si belle, que la pauvre Léocadie pensait:

– Il n’y a qu’elle pour lui comme il n’y a que lui pour elle, et ce n’est pas possible que Dieu ait le cœur de séparer ces deux amours-là!

– Je voudrais vous demander une chose, bonne mère, dit en ce moment Valentine à la marquise.

– Tu as donc des secrets, méchante? fit la vieille dame d’un ton plein de caresse.

– Dites-leur de s’en aller, répliqua Valentine avec une impatience soudaine que rien ne motivait, ils me gênent! je ne les aime pas! je n’aime que vous et maman Léo.

Cette dernière éprouva une espèce de choc en écoutant ces paroles, qui étaient d’une enfant ou d’une folle.

La marquise embrassa Valentine sans répondre et dit en passant près de la veuve:

– Elle est bien mieux qu’hier; si vous l’aviez entendue dans les commencements! sa raison se remet à vue d’œil.

– Allons, messieurs, reprit-elle en rentrant dans la chambre, nous sommes de trop ici et nous n’aurions pas dû attendre qu’on nous priât de sortir. Donnez-moi votre bras, prince, et allons prendre le thé au salon.

Il n’y eut pas une seule objection. Tout le monde se leva en souriant, et le colonel, qui sortait le dernier, appuyé au bras de Francesca Corona, dit: