– Savez-vous que ma petite Fanchette a raison d’être jalouse? Nous l’aimons trop, cette enfant-là!
– Et je l’aime comme tout le monde, ajouta la comtesse.
– Venez, fit la marquise; quand elles vont avoir fini, nous reprendrons la bonne Mme Samayoux en sous-œuvre, et je suis bien sûre qu’elle fera tout ce que nous voudrons.
– Nous voilà seules, dit la veuve au moment où la porte se fermait. Elle allait parler encore, mais Valentine lui mit la main sur la bouche.
Puis, tout à coup, elle rejeta sa couverture d’un mouvement violent, et sauta hors du lit en riant à gorge déployée.
La dompteuse, stupéfaite, voulut la saisir dans ses bras, mais Valentine s’échappa vers le foyer en disant:
– J’ai froid et mon frère est mort, il faut que j’aille à son enterrement.
Elle s’accroupit près du feu et chauffa ses pieds nus.
Mme Samayoux resta un instant immobile sous le coup de son angoisse. Toute idée de folie s’était en effet effacée dans son esprit au premier aspect de Valentine si calme; maintenant elle se souvint de ce que lui avait dit M. Constant.
Valentine, en se retournant à demi, secoua les beaux cheveux qui tombaient sur ses épaules.
– Viens, dit-elle, avec un sourire d’enfant, viens te chauffer aussi, nous parlerons de mes noces.
XI En dormant
Mme Samayoux avait enveloppé Valentine dans un manteau de nuit pour l’asseoir à la place même occupée naguère par le colonel.
Les petits pieds de la jeune fille sortaient seuls des plis de l’étoffe et semblaient chercher la chaleur du foyer.
– Tu es comme les autres, disait-elle d’un ton insouciant et doux, tu ne veux pas croire que j’avais un frère, mais moi je me souviens bien d’une nuit terrible… et quand je pense à cette nuit-là, c’est comme si on me racontait une histoire de brigands!
Elle baissa la voix tout à coup pour ajouter rapidement:
– Ils sont difficiles à tromper, prends garde!
La dompteuse ouvrit de grands yeux; elle ne savait que croire.
– Qu’est-ce que Maurice t’a dit pour moi? demanda tout haut Valentine.
– Je n’ai pas vu Maurice, répondit Mme Samayoux.
– Quoi! vraiment! tu l’aimais pourtant bien autrefois!
– Ce matin encore, j’ignorais tout, reprit la veuve, et je me demande à moi-même comment cela se fait. C’est seulement ce matin qu’on a raconté devant moi cette horrible aventure.
Valentine l’interrompit pour dire d’un ton important:
– Mon frère était riche, et j’aurai une très belle fortune.
Leurs regards se rencontrèrent, et certes, c’était dans les yeux de la veuve qu’on aurait pu découvrir des symptômes de folie. Elle passa la main sur son front où il y avait de la sueur. Valentine reprit:
– Embrasse-moi, maman Léo, nous irons le voir ensemble. Est-ce qu’on peut se marier dans une prison?
La dompteuse sentit qu’on glissait un papier dans sa main. En même temps la voix de la jeune fille murmura à son oreille:
– Dans l’alcôve, si bas que j’eusse parlé, on m’aurait entendue. Ils sont là derrière le rideau.
– Qui donc? balbutia la veuve.
– Ceux qui ont tué Remy d’Arx: les Habits Noirs!
La veuve tressaillit de la tête aux pieds; mais Valentine lui jeta ses bras autour du cou en riant bruyamment.
Et comme la pauvre maman Léo restait toute bouleversée, la jeune fille ajouta dans un baiser:
– Vous oubliez votre rôle, parlez-moi donc de l’évasion; ils vous guettent!
La dompteuse n’aurait pas été plus complètement étourdie si on lui eût rendu sur le crâne le coup de boulet ramé qui avait fait la fin de Jean-Paul Samayoux, son mari.
Elle essaya pourtant et dit comme au hasard, répétant à son insu les propres paroles de M. Constant:
– Il n’y a pas de serrure dont on n’achète la clef avec de l’argent; tout le monde est riche ici et tout le monde a bonne volonté de mettre la main à la poche. On m’a dit comme ça qu’il n’y avait que toi, fillette, pour s’opposer à la délivrance de Maurice.
Valentine se renversa en arrière et prit une attitude de profonde réflexion.
– Penses-tu qu’on puisse condamner un innocent? murmura-t-elle; et tu sais bien qu’il est innocent, n’est-ce pas?
– Si je le sais! répliqua Mme Samayoux: quand il y aurait cent millions de juges pour dire le contraire, je crierais encore qu’il est innocent! Mais ça n’empêcherait pas un malheur, vois-tu, fillette? parce que les juges sont les maîtres. Et on en a tant vu qui étaient blancs comme neige, porter leur pauvre tête sur l’échafaud! Voyons, il faut te faire une raison: quand Maurice sera libre, vous irez en Angleterre ou en Espagne, ou même plus loin, et vous vous marierez ensemble.
– Et viendras-tu avec nous, toi, maman? demanda la jeune fille.
– Certes, si vous voulez de moi.
Valentine se leva d’un mouvement plein de pétulance et fit quelques pas dans la chambre.
– Je suis bien faible! dit-elle.
Puis s’arrêtant devant la glace qui était sur la cheminée, elle ajouta:
– Je suis bien pâle!
Puis encore, avec un frisson qui secoua ses membres, en mettant un cercle noir autour de ses yeux:
– Maurice est peut-être plus pâle que moi!
Elle revint s’asseoir, mais au lieu de s’appuyer désormais au dossier du fauteuil, elle mit sa tête sur l’épaule de la veuve, de façon à ce que son visage fût masqué pour un regard venant de l’alcôve.
– Je vais dormir ainsi, dit-elle, veux-tu?
– Je veux bien, répondit la veuve, qui reprenait quelque sang-froid et entrait peu à peu dans son rôle, mais pourquoi ne pas te remettre au lit?
– Ceci est bien, murmura Valentine tout bas, continue.
Elle ajouta tout haut:
– Parce que je suis mieux comme cela; il me semble que tu me gardes.
– Tu as donc peur, chérie?
– Quelquefois, oui… je revois mon frère… Oh! comme je l’aurais aimé!… et mon père… tous deux livides, tous deux morts… J’ai sommeil, bonsoir!
Dans la position qu’elle avait prise, sa bouche était tout contre l’oreille de Mme Samayoux.
– Maintenant, ne me répondez plus, dit-elle, si bas que la dompteuse avait peine à l’entendre. Si vous restez bien immobile, comme il faut faire pour ne point éveiller une pauvre folle qui dort, cet homme ne se doutera même pas que je vous parle à l’oreille. Avez-vous bien serré le papier que je vous ai donné? Vous le lirez quand vous serez seule. Je ne suis pas folle, vous l’avez déjà deviné, et ce ne sont pas les juges qui menacent notre Maurice le plus terriblement. J’ai vu Maurice dans sa prison.
Ici la dompteuse laissa échapper un si brusque mouvement, que Valentine fit comme si elle s’éveillait en sursaut.
– Qu’as-tu donc? demanda-t-elle, à voix haute. J’étais déjà embarquée dans un beau rêve, le rêve que j’ai toujours dès que je m’endors.