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Il y avait ici, en effet, le nom de Remy d’Arx signé lisiblement et d’une main assez ferme.

On voyait bien que l’agonisant avait dépensé là tout ce qui lui restait d’énergie.

Au-dessous de la signature, le texte continuait, mais devenait plus confus, parce que la main avait graduellement faibli.

Valentine put lire néanmoins à travers ses larmes:

«Ma sœur, ma Valentine, laisse-moi te garder ce nom que j’ai tant aimé.

«Mais laisse-moi te dire aussi tout de suite que le regard de notre mère peut descendre au fond de mon cœur, guéri de sa blessure.

«Je t’aime comme il m’est permis de t’aimer sous l’œil de Dieu qui m’appelle, je t’aime comme l’enfant chérie dont je contemplais jadis le berceau et dont je surveillais le souriant sommeil.

«Nous avons été bien malheureux, ma sœur, j’espère que ma mort achèvera de payer notre dette de misère.

«Il en sera ainsi, Valentine, si vous suivez mon conseil, si vous exaucez ma prière. Que ma fin douloureuse vous serve au moins d’exemple; n’essayez pas de combattre ces hommes qui possèdent un pouvoir surnaturel.

«Ce que je n’ai pu faire, moi qui étais armé de la loi comme un soldat porte l’épée, moi que ma fonction semblait rendre invulnérable, moi qui passais pour avoir la faveur des puissants de ce monde, il y aurait folie de votre part à le tenter.

«Folie inutile, coupable, presque suicide. Vous n’êtes qu’une pauvre enfant isolée, tous ceux qui vous entourent, tous ceux qui vous protègent en apparence ou du moins presque tous sont affiliés à la ténébreuse corporation que j’ai voulu vaincre et qui m’a tué.

«Je ne vous apprends rien en vous disant que vous êtes au milieu des Habits Noirs, dont le chef s’est servi de vous comme d’une arme infernale pour assassiner le seul homme peut-être qui pût combattre avec avantage la terrible association.

«Sauf Mme la marquise d’Ornans, pauvre victime désignée d’avance à leurs coups et qu’ils ont frappée dans son fils unique, sauf Francesca Corona (et je n’oserais répondre d’elle absolument), tous les autres sont des scélérats abrités derrière une sorte de rempart magique.

«Valentine, l’esprit s’éclaire à l’heure de mourir, la vengeance n’appartient qu’à Dieu. Si j’avais été seulement un juge, peut-être ne tomberais-je pas écrasé dans la lutte.

«Mais il y avait autre chose en moi que le zèle du magistrat, il y avait la passion de l’homme qui se venge.

«Valentine, ma sœur chérie, songe à toi, songe surtout à celui que tu aimes, à Maurice, qui ne m’ayant plus pour démêler son innocence au milieu des preuves mensongères accumulées par mes assassins, va retomber tout au fond de son malheur.

«Je viens de voir l’homme qui me remplacera; il est de ceux qu’on appelle des gens instruits, avisés, prudents; il a cette cruelle sagesse qui ne croit à rien en dehors des choses admises par le sens commun; tout ce qui sort de la vraisemblance acceptée lui semble fabuleux et indigne d’occuper un brave esprit.

«Son opinion est faite par mon opinion même, dont il prendra le contre-pied; j’étais à son sens un rêveur et il est un sage; là où j’ai dit non, il dira oui.

«Maurice sera renvoyé devant les assises, Maurice sera condamné; aucune éloquence d’avocat, aucune perspicacité de magistrat, nulle puissance humaine, en un mot, ne peut empêcher le jury en pareille circonstance de répondre: «Oui, l’accusé est coupable.»

«Ne nous venge pas, Valentine, laisse dormir ton père, ta mère, ton frère au fond de leur cercueil. Les morts ne connaissent plus la haine, laisse la haine, songe à l’amour, sauve Maurice!

«Pour le sauver, il n’y a qu’un moyen, l’évasion, la fuite sans espoir de retour, le changement de nom et la vie cachée loin, bien loin au-delà de la mer.

«Pour ouvrir toute grille, l’argent est une clef magique; tu es riche, tu peux répandre l’or à pleines mains, tu ne saurais acheter trop cher ton bonheur.

«Adieu, Valentine, j’ai tenu ma plume tant que j’ai pu. Ceci est la dernière ligne que ma main tracera. Si tu m’aimes, ne me venge pas et sois heureuse!»

Valentine resta un instant immobile, les yeux fixés sur le dernier mot, qui n’était pas achevé.

Elle porta le papier à ses lèvres et le baisa à la place même où la main du mourant s’était arrêtée.

Puis elle se laissa tomber à genoux, et ainsi prosternée, elle regarda le portrait de son frère, qui semblait vivre.

Qui semblait vivre et répéter encore la dernière pensée du vaillant et malheureux jeune homme: «Ma sœur, ne me venge pas!»

Ce fut au bout de plusieurs minutes seulement que les lèvres de Valentine s’entrouvrirent et qu’elle murmura:

– Pardonne-moi, pardonne-moi, mon frère, car je vais te désobéir!

– Ah! ah! dit une rude voix derrière elle, c’était pourtant un bon conseil qu’il vous donnait là, le défunt.

Elle se retourna en sursaut. Le commissionnaire dont Germain lui avait parlé et qui était venu la demander déjà dans la matinée était sur le seuil et refermait la porte.

XXX Le commissionnaire

Coyatier, car c’était bien lui, ne fit qu’un pas à l’intérieur de la chambre; il resta debout devant le seuil et ôta sa casquette, découvrant le poil crépu qui se hérissait sur son crâne.

Son costume de commissionnaire lui allait comme un gant, mais ne lui ôtait rien de sa terrible mine, et il aurait fallu avoir une confiance robuste pour mettre des objets de quelque valeur entre les mains d’un messager tel que lui.

– Alors, dit-il avec ce mélange d’effronterie et de timidité qui était le caractère le plus frappant de sa sauvage physionomie, nous n’avons pas l’idée d’obéir à ce pauvre M. d’Arx?

Valentine le regarda en face, et les yeux du bandit battirent comme s’ils eussent été éblouis.

– Avancez, dit-elle au lieu de répondre. Coyatier s’approcha.

– Nous avons à causer, dit-elle encore, asseyez-vous là.

Son doigt tendu montrait le propre fauteuil du jeune magistrat. Le marchef eut un mouvement d’hésitation.

– Au fait, murmura-t-il enfin, je peux bien m’asseoir où il s’asseyait, car je ne lui ai jamais fait de mal.

– Vous avez parlé de bon conseil, murmura Valentine, vous connaissez donc ceux qu’il me donne dans cet écrit?

– Non, répondit le marchef, mais je les devine. Il a voulu combattre, lui aussi, et moi, qui ne suis pas payé pour aimer les juges, je lui avais dit d’avance qu’il allait à la boucherie. Ce n’était pas le premier venu, ce juge-là, et je n’ai pas connu beaucoup de soldats plus braves que lui. Il savait que je lui disais la vérité; mais il continua de suivre son chemin, jusqu’au cimetière. Chat échaudé craint l’eau froide, je pense bien qu’avant de tourner l’œil, M. d’Arx vous aura défendu de jouer avec le feu.

– C’est vrai, prononça tout bas Valentine.

– Il m’avait payé pour savoir, reprit le marchef, et je lui avais dit fidèlement tout ce que je savais. Ce n’était pas de la trahison; ces gens-là ne me tiennent pas par une promesse ni par rien qui ressemble à du dévouement; ils ont mis un carcan autour de mon cou et ils serrent quand ils ont besoin de mon obéissance. Je me souviens de la première parole que je dis au juge Remy d’Arx quand il vint me trouver jusque dans mon galetas de la barrière d’Italie… Et il fallait un crâne ouvert de la part d’un magistrat pour venir chez Coyatier! Ça me plaît à moi, le courage, parce que j’ai été une manière de lion avant de tomber chien enragé. Je lui dis: «Monsieur le juge, si dans mon idée c’était possible d’assommer les Habits Noirs ou de les brûler, il y aurait du temps que la besogne serait faite, car ils se sont servis de moi comme d’un bourreau et m’ont forcé à tuer en m’étranglant. Mais rien ne peut contre eux, ni les coups de massue, ni le fer, ni le feu.»