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Il était tendre parce qu’il connaissait le bon cœur de son Pylade, et qu’il comptait avoir à souper.

Mais à ses avances personne ne répondit.

Il appela encore, et cette fois le lion poussa un rugissement qui retentit dans la baraque avec un éclat terrible.

Similor eut froid dans les veines. Il avait refermé la porte en entrant; l’intérieur de la baraque était plongé dans une obscurité complète. Son regard, qui s’était tourné d’instinct vers le lion, distingua deux lueurs rougeâtres, semblables à des charbons prêts à s’éteindre.

En même temps un pas pesant et mou sonna sur le sol et il parut à Similor que les deux charbons approchaient.

Les Parisiens sont rarement poltrons. Similor, ce misérable amalgame de tous les défauts, de tous les vices et de tous les ridicules de la basse bohème, avait du moins une sorte de bravoure.

– Toi, dit-il, tu ne vaux pas cher, bonhomme. Si tu étais cuit, je mangerais bien tout de même une tranche de ton filet, car j’ai une faim de Patagon, mais je ne veux pas que tu me manges.

Tout en parlant, il s’était baissé, cherchant autour de lui un bout de bois qui pût lui servir d’arme.

Le lion approchait toujours, lourdement et selon toute apparence paisiblement, car l’instinct de tous les animaux est le même à l’heure de la souffrance: ils cherchent du secours.

La main de Similor venait de rencontrer un fragment du balancier ayant jadis servi à la danseuse de corde et qui formait une excellente massue.

– À la niche, dit-il, vieux Rodrigue! allez coucher ou je tape!

Comme il se retournait en ce moment, il vit les deux charbons tout auprès de lui et sentit le vent d’une haleine fétide.

– Crénom! s’écria-t-il en reculant d’un pas, est-ce que M. Daniel aurait faim, lui aussi?

Dans sa frayeur irréfléchie, il brandit le fragment de balancier, qui tournoya et vint tomber sur la tête du lion.

Le lion s’affaissa en poussant un rauquement plaintif et les deux charbons ne brillèrent plus.

– Nom d’un nom! fit Similor, la bourgeoise ne va pas être contente; mais on n’aura pas besoin de lui raconter cette histoire-là en détail.

– C’est égal, ajouta-t-il en se redressant dans toute l’enfantine naïveté de son orgueil, on n’en trouverait pas beaucoup, depuis l’Hercule de l’Antiquité, pour abattre un lion furieux avec un bout de bois et d’un seul coup!

Il marcha en tâtonnant vers le coin où se faisait la cuisine, car la faim le talonnait. Le fourneau de fonte était froid et sur la planche où Échalot mettait d’ordinaire ses pauvres provisions, il n’y avait pas même une croûte de pain sec.

– Est-ce qu’il se dérange, ce gredin-là? pensa Similor. Où donc peut-il être allé avec le môme? Quand le diable y serait, il va revenir coucher, toujours? Qui dort dîne; en l’attendant, je vais tâcher de faire un petit somme!

Il traversa la baraque dans toute sa longueur pour gagner l’endroit où était la paille du lion.

– C’est encore chaud, fit-il en se couchant à la place occupée naguère par sa victime, mais ça ne sent pas la rose.

Au moment où il fermait les yeux, quelqu’un tira au-dehors le loquet de l’entrée des artistes. Similor se souleva sur le coude et pensa:

– Allons, j’ai de la chance, je n’aurai pas attendu trop longtemps mon souper.

XXXIII La tentation de Similor

Le nouvel arrivant était encore un habitué de la baraque, car il ouvrit la porte sans effort et entra comme chez lui.

Similor, désormais, attendait. Le sauvage parisien a des prudences d’Iroquois; il guette toujours un peu avant d’agir ou de parler.

Le nouveau venu eut à peine fait quelques pas dans la baraque qu’il buta contre le corps du lion.

– Je m’en avais douté, dit-il avec mélancolie, mes soins ont manqué à la pauvre bête et elle a rendu l’âme.

– C’est Échalot! pensa Similor; motus! on va savoir d’où il arrive et la vie qu’il mène.

Échalot, en effet, comme presque toutes les pauvres créatures qui n’ont pas beaucoup d’amis, parlait volontiers tout seul.

– De profundis! murmura-t-il. Un peu plus tôt, un peu plus tard, nous finirons tous comme ça. C’est une perte pour la patronne; mais elle n’a pas le cœur à s’occuper de ses affaires d’intérêt.

– Où l’a-t-elle donc, le cœur? se demanda Similor; est-ce qu’elle va se faire chartreuse pour pleurer son lieutenant d’Alger?

Échalot, cependant, gagna le coin où était son fourneau et se mit à battre le briquet. Similor avait la bouche ouverte pour parler enfin, lorsqu’il entendit ces paroles remarquables:

– Ça me gêne, moi, disait Échalot, d’avoir tant d’argent sur moi. On ne sait pas ce qui peut arriver; je cherche la patronne depuis midi, et il me semble toujours que ma poche coule, laissant filtrer les billets de banque.

Les oreilles de Similor s’ouvrirent comme deux pavillons de trompe de chasse.

– Des billets de banque! répéta-t-il.

Et il s’incrusta plus avant dans la paille, flairant un énorme coup à tenter.

– Faut tout de même que madame Léocadie ait une jolie confiance en moi, continua Échalot en approchant une allumette de l’amadou qui avait pris feu; j’avais peine à croire que ses paperasses avaient la valeur qu’elle disait, mais je n’ai eu qu’à les mettre sur la planchette au guichet du changeur pour avoir des mille et des cents.

Similor se pinçait le bras du doigt pour être bien sûr qu’il ne rêvait point.

– En voilà un changeur, pensait-il, qui a de la confiance de reste! Au vis-à-vis de la mauvaise tenue de ce canard, il n’a donc pas seulement eu l’idée que les papiers devaient être volés?

C’était là une observation plausible et pleine de justesse, mais la chandelle d’Échalot en s’allumant y fit une triomphante réponse.

Les yeux de Similor battirent, frappés par un éblouissement; il n’aurait pas été plus étonné s’il avait vu son humble ami revêtu d’un manteau d’hermine et coiffé de la couronne royale.

C’était en effet une métamorphose presque féerique. Échalot avait des souliers neufs bien cirés, un pantalon noir, le tout en beau drap fin et tout battant neuf. Il avait en outre un chapeau de soie dont le lustre était vierge et qui, par la neige qui tombait, avait dû voyager en voiture. Il portait enfin une chemise d’une entière blancheur sur laquelle se nouait une cravate de satin.

De plus, ses cheveux étaient peignés à fond et sa barbe était faite.

Nous ne voulons point dire qu’il fût très beau comme cela, mais sa laideur était transfigurée à ce point que Similor eut vraiment peine à le reconnaître: d’autant que la gibecière, asile habituel de Saladin, n’était plus suspendue au cou d’Échalot.

Similor pensa trop de choses pour prendre le temps de les exprimer; il dit seulement en lui-même: «Nom de nom!» et cette simple interjection valait tout un long discours.

Échalot apporta son flambeau sur la table où Mme Samayoux avait trinqué la veille au matin avec Gondrequin-Militaire et M. Baruque. Il s’assit sur la chaise même de la veuve et tira de sa poche un paquet de papiers que du premier coup d’œil Similor reconnut pour des billets de banque.