M. de la Périère prit alors la parole. C’était un homme discret et sachant exprimer toutes les nuances du langage; il fit comprendre à la veuve que toutes les personnes présentes étaient assises sur un degré de l’échelle sociale qui n’admettait point certaines relations, et qu’elle seule, Mme Samayoux, était bien placée pour choisir la cheville ouvrière de toute l’opération: c’est-à-dire l’homme qui, pour un prix fait, consentirait à remplacer Maurice dans sa prison.
Nous verrons tout à l’heure le détail de cette partie de l’entreprise qui était, comme tout le reste, admirablement combinée.
– En un mot, comme en mille, s’écria M. de Saint-Louis, quand le baron eut achevé, dès qu’il s’agit d’arriver à l’action, dès qu’on cherche le point laborieux, utile et brave d’une entreprise quelconque, il faut toujours s’adresser au peuple.
Maman Léo n’avait pas encore eu le temps de répondre, lorsque le colonel Bozzo, qui était auprès du lit de Valentine se leva.
– Voilà donc qui est entendu, ma mignonne chérie, dit-il, nous avons fini avec nos petites ruses, et nous marchons désormais d’accord. Il faut cela, croyez-le bien, si nous tardions d’un jour à jouer notre va-tout, je ne répondrais plus de la partie… Viens me donner le bras, Francesca, je vais céder ma place à cette bonne Mme Samayoux pour que notre Valentine lui donne ses dernières instructions. Tout dépend d’elles deux; je n’y mets point de solennité intempestive, je dis les choses comme elles sont: la vie du lieutenant Maurice Pagès est désormais entre leurs mains.
Il s’éloigna, presque porté par la comtesse Corona, à laquelle vint s’adjoindre M. de la Périère. Samuel glissa à l’oreille de M. de Saint-Louis:
– Je déchire mon diplôme si cet homme n’est pas à bout, tout à fait à bout. Il n’y a plus d’huile dans la lampe, chacune des minutes qu’il vit encore est un miracle du diable.
Maman Léo s’assit dans le fauteuil que venait de quitter le colonel, au chevet du lit de Valentine.
– Que faut-il faire? demanda-t-elle.
– Il faut trouver l’homme, répondit Valentine.
– As-tu confiance? demanda encore la veuve.
La jeune fille frissonna entre ses draps.
– Je ne sais, murmura-t-elle, je n’aurais jamais cru qu’il fût possible de tant souffrir sans mourir.
Il y eut un silence.
La veuve était retombée tout au fond de ses terreurs.
Valentine reprit:
– Il faut trouver l’homme. Choisis bien. Tu es notre vraie mère, et je trouve tout simple que tu meures avec nous.
Maman Léo prit la main, qui pendait hors du lit, et l’appuya contre ses lèvres.
– C’est vrai, murmura-t-elle, je suis ta mère. J’ai prié Dieu, qui m’a exaucée; ma tendresse pour toi est la même que ma tendresse pour lui… mais, je t’en prie, parle-moi… explique-moi.
Valentine eut un sourire navré.
– Demain, dit-elle, j’attendrai dans la voiture à la porte de la prison, et puis nous ne nous quitterons plus tous les trois. Voilà tout ce que je sais, le reste est dans la main de Dieu… Va-t’en, trouve l’homme, et à demain!
C’était en sortant de cette entrevue que maman Léo était rentrée dans la baraque. L’homme était trouvé, car la dompteuse avait songé à Échalot tout de suite.
Elle arrivait avec le trouble poignant que les dernières paroles de Valentine avaient fait naître en elle. Elle ne s’occupait point de la question de savoir si Échalot accepterait, elle était tout entière au travail impossible de sa pensée qui cherchait une lueur au milieu de cette profonde nuit.
Elle n’avait pas même l’idée de fournir une explication quelconque, elle allait son chemin, fuyant le trouble de ses souvenirs, s’accrochant à toute espérance qui essayait de naître.
– Oui, oui, reprit-elle sans remarquer le désarroi croissant du pauvre garçon qui l’écoutait; pour armé, il sera armé, j’en réponds, et si l’on se tape, saquédié! j’en veux deux ou trois pour ma part.
– Si l’on se tape, répéta Échalot, j’en serai, pas vrai, patronne?
– Non, tu n’en seras pas, répondit la veuve, tu auras autre chose à faire, mais laisse-moi finir. Elle n’a pas voulu de mon argent, et quoique je te remercie tout de même, ces chiffons-là ne serviront à rien. Ça ne m’aurait pas étonnée, car elle en a plus que moi à présent, de l’argent, mais on n’a pas voulu du sien non plus, et cependant ça a dû coûter bien cher pour marchander tant de monde!
M. de la Périère m’a détaillé tout cela: on les a achetés tous, à moitié s’entend, tu vas voir, depuis le concierge jusqu’au porte-clefs, en passant par ceux qu’on pourrait rencontrer par hasard dans les corridors. Ah! c’est mené grandement, on n’a pas liardé… mais voilà ce qui te regarde: il faut un homme, un homme qui n’est jamais allé devant la justice, car un repris risquerait trop gros, et des hommes pareils, on n’en trouverait pas à l’estaminet de l’Épi-Scié. Te souviens-tu que tu m’avais dit une fois: «J’irai dans le cachot du lieutenant Pagès, et pendant qu’il s’échappera je resterai à sa place!»
– Oui, je m’en souviens, répondit Échalot.
– Nous avions ri, reprit la veuve, moi la première, quoique j’avais envie de pleurer, nous avions bien ri, car tu ne lui ressembles guère, dis donc? Eh bien! on avait eu tort de rire, l’enflé, car c’est comme ça que ça se jouera.
– Vrai, madame Léocadie, s’écria Échalot, je serais assez chanceux pour vous témoigner mes sentiments au milieu des périls!
– Non, répondit la veuve, c’est justement ce qu’on va t’expliquer: tu ne courras aucun danger, puisque tu n’es recherché, comme ils disent en justice, pour aucun autre crime ou délit.
Échalot contenait du mieux qu’il pouvait la tendre exaltation qui lui montait au cerveau.
– Ah! fit-il avec une chaleur très comique et très éloquente, ne me parlez pas comme ça, patronne, si vous voulez m’exciter mon tempérament. C’est le danger qui m’attire! Quand il est question de vous être agréable, je grille de braver la mort pour vous.
Les souverains ont une façon particulière d’aimer. Sans comparer Échalot au regrettable prince Albert, qui fit si longtemps le bonheur de notre alliée et voisine la reine Victoria, nous pouvons affirmer du moins que ce bon garçon avait quelques-unes des qualités nécessaires à un prince époux. Maman Léo le regarda avec bonté.
– J’entr’aperçois l’état critique de ton cœur, bonhomme, dit-elle, et je ne m’en trouve pas offensée de ce que tu as eu l’audace d’un pareil amour. Ne tremble pas comme un jocrisse; c’est un petit bout de conversation particulière que je mélange instantanément ici à notre grande affaire. Bois un coup pour que la joie ne te flanque pas une indisposition au moment d’avoir besoin de toute ta bonne santé.