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Le lendemain était le grand jour. On ne vit point le colonel à la maison de santé du Dr Samuel; Valentine resta seule presque toute la journée; Coyatier ne parut point, maman Léo ne donna pas signe de vie.

Vers onze heures, M. Constant, l’officier de santé, vint faire la visite à la place du docteur et dit:

– Chère demoiselle, votre santé a gagné cent pour cent depuis hier. Voici des nouvelles: le docteur a lâché sa maison ce matin pour s’occuper de vos histoires, parce que ce bon colonel n’a pas autant de force que de bonne volonté. Il est au lit, tout à fait malade.

Comme Valentine ne répondait point, M. Constant ajouta en riant:

– Votre petit voyage d’hier ne vous a pas trop fatiguée. Écoutez, c’est trop drôle, vous vous cachez du docteur et des autres, le docteur et les autres se cachent de nous, et tout le monde sait à quoi s’en tenir. Il n’y a pas de danger qu’on vous trahisse, allez! ma chère demoiselle, vous êtes bien trop aimée pour cela, et ça me fait plaisir de penser que c’est moi qui vous ai amené cette brave femme, maman Samayoux, dont la présence vous a autant dire ressuscitée.

– Je vous en suis reconnaissante, prononça tout bas Valentine.

– Je n’en sais trop rien, répliqua M. Constant, je n’oserais pas dire comme le coloneclass="underline" «Drôle de fillette!» mais il est sûr que vous ne ressemblez pas aux autres demoiselles. Enfin, n’importe! on vous aime comme ça, et il n’y a pas jusqu’à ce dogue de Roblot qui ne vous lèche les mains comme un caniche. Voici mon ordonnance: plus de remèdes, levez-vous quand vous voudrez, mangez ce que vous voudrez, et quand vous aurez la clef des champs, souvenez-vous un petit peu d’un pauvre apprenti médecin qui s’est mis en quatre de tout son cœur pour vous être agréable.

C’étaient là de ces choses qui entretenaient vaguement l’espoir de Valentine. Les gens qui l’entouraient semblaient réellement ne point jouer au plus fin avec elle.

Mais, d’un autre côté, le danger, qui était sa vie même depuis quelque temps, avait développé en elle une finesse extraordinaire de perception intellectuelle.

Les chasseurs du désert voient et entendent, dit-on, à des distances incroyables; on avait beau faire la nuit plus profonde autour de Valentine et pousser l’art de tromper jusqu’aux suprêmes limites de la perfection, elle devinait, laissant son va-tout sur table, et prête à choisir entre les mille probabilités contraires la chance unique que son courage, avec l’aide de Dieu, pouvait lui rendre profitable.

Vers trois heures de l’après-midi, Mme la marquise d’Ornans, émue et bien triste, vint lui dire qu’il était temps de se préparer.

La marquise la trouva habillée pour un voyage, bien plus que pour une noce, et demi-couchée sur son canapé où elle songeait.

Les yeux de la marquise étaient rouges; toute sa physionomie exprimait un trouble profond.

Comme Valentine lui demandait le motif de son chagrin, elle répondit:

– Depuis six semaines, je n’ai pas dormi une nuit tranquille; pense donc à tout ce qui nous est arrivé, ma pauvre enfant! Dieu merci, te voilà bien mieux, tu es calme, ton intelligence est revenue mais sommes-nous donc pour cela au bout de nos peines?

Valentine baissa les yeux; il y avait une réponse navrante dans l’amertume de son sourire.

Mais Mme d’Ornans ne pouvait comprendre ce silence; elle poursuivit:

– Maintenant que tu raisonnes, tu dois te rendre compte de bien des choses: j’ai accepté une lourde responsabilité en consentant à ce mariage. Mon excuse est dans la tendresse sans bornes que j’ai pour toi, chérie; il fallait que ce malheureux jeune homme fût sauvé, puisque tu serais morte de sa mort; toute autre considération s’est effacée à mes yeux. Je pensais à vous deux jour et nuit, et je me suis dit: «Quand Maurice sera délivré, il quittera la France, elle voudra le suivre, et tout ce qu’elle veut il faut que je le veuille; mon devoir est à tout le moins de régulariser autant que possible cette situation…»

– Ah! fit-elle en s’interrompant, je sais bien que j’aurai beau faire, tout cela est en dehors des règles et rien de tout cela ne sera sanctionné par le monde: je sais bien que ce mariage lui-même restera nul aux yeux de la loi, mais j’ai ma conscience, vois-tu, j’ai ma religion; j’ai pu renoncer à l’approbation du monde, je n’ai pas voulu désobéir aux commandements de Dieu. Voilà le motif de ma conduite, fillette… À quoi rêves-tu donc? tu ne me réponds plus.

Valentine lui tendit la main et prononça tout bas:

– Je vous écoute, ma mère, et je vous remercie.

– M. Hureau, le vicaire de Saint-Philippe-du-Roule, est un bon prêtre, reprit la marquise comme si elle eût plaidé vis-à-vis d’elle-même, c’est un très bon prêtre, nous le connaissons tous, et il a fallu l’insistance de M. de Saint-Louis pour vaincre ses scrupules, car enfin ce que nous allons faire n’est pas régulier…

Elle essuya ses paupières mouillées.

– Mais il ne s’agit pas de cela, dit-elle d’une voix qui était presque étouffée par les larmes, je n’ai plus que toi sur la terre, pauvre chérie, et cependant, ce n’est pas pour toi que je pleure. Tu as bon cœur, tu vas partager mon chagrin. Depuis le jour de deuil où j’appris que je n’avais plus de fils, je ne me souviens pas d’avoir eu ainsi l’âme navrée. C’est une si vieille amitié que la nôtre! et il avait pour toi une tendresse si paternelle! Mon enfant, ah! mon enfant, il y a en ce moment un saint qui se prépare à monter au ciel; nous allons perdre l’excellent colonel Bozzo. Il est couché sur son lit d’agonie; jamais, entends-tu, jamais il ne se relèvera!

La main de Valentine, froide comme glace, serra les bras tremblants de la marquise, mais elle ne prononça pas une parole.

– Sans doute, fit cette dernière, je ne t’accuse pas, ma fille; tu n’as qu’une pensée; il n’y a plus de place dans ton cœur pour les peines de ceux qui t’entourent. Mais si tu savais comme celui-là t’aimait! Si tu savais… c’est lui, c’est lui seul qui a tout fait, c’est à lui que tu devras ton bonheur, si ma prière est exaucée et si tu es heureuse; c’est chez lui, c’est auprès du pauvre lit où il souffre, où il se meurt, qu’on va dresser l’autel…

– Ah! interrompit Valentine, dont les yeux étaient toujours baissés, c’est chez le colonel Bozzo que Maurice et moi nous allons être mariés!

Elle ajouta en réprimant un frisson et d’une voix si basse que la marquise eut peine à l’entendre:

– Chez lui! moi!

– Il ne pense qu’à toi, reprit la bonne dame, tu es sa dernière préoccupation. Notre ami, le vicaire du Roule, me le disait encore tout à l’heure: c’est un saint, il ne tient plus à notre monde que par la miséricorde et l’amour!

– Un saint! répéta Valentine, dont la voix était morne et sourde.

La marquise la regarda étonnée.

– Comme tu dis cela! murmura-t-elle. C’est bien vrai que le bonheur et le malheur aussi nous rendent égoïstes. Tu ne songes qu’à toi-même.

La marquise se trompait.

Valentine songeait à ce brillant jeune homme dont elle avait habité la chambre à l’hôtel d’Ornans.

Elle songeait au fils unique de celle qui parlait, et qui donnait le nom de saint au Maître des Habits Noirs.

Elle songeait au marquis Albert d’Ornans, heureux, riche, souriant à tous les plaisirs de la vie, qui était parti un jour pour son château de la Sologne et qui n’était jamais revenu.