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Les paroles se pressaient au-dedans d’elle et voulaient monter vers ses lèvres; mais dans la lutte mortelle qui était engagée, un mot aurait suffi pour anéantir la chance suprême à laquelle essayait de se rattacher l’obstination de son espoir.

À quoi bon parler, d’ailleurs? Ne valait-il pas mieux que cette malheureuse femme gardât son ignorance? Que pouvait-elle contre les assassins de son fils?

La marquise poursuivit:

– Tu n’as pourtant pas le cœur mauvais, fillette, je le sais, j’en suis sûre; c’est l’inquiétude qui te rend indifférente à tout. Eh bien! voyons, il faut le rassurer: c’est lui, la prudence même, c’est le colonel qui a pris toutes les mesures. À moins qu’il ne surgisse un obstacle imprévu, et ce n’est pas possible, puisqu’il prévoit toujours tout, tu peux regarder le lieutenant Maurice comme étant libre déjà. Ah! il me le répétait encore ce matin, quand j’ai été savoir de ses nouvelles, il me disait de sa pauvre voix, qu’on n’entend presque plus: «Bonne amie, je n’ai rien négligé; nous avons jeté l’argent par les fenêtres comme s’il se fût agi de l’évasion d’un prince prisonnier d’État; ce sera ma dernière affaire.»

– Et il souriait, ajouta-t-elle. As-tu jamais vu le sourire d’un juste en face de la mort?

La respiration de Valentine s’oppressait dans sa poitrine. Elle répéta encore:

– D’un juste!

Puis elle murmura:

– Non, je n’ai jamais vu cela.

– Tu me fais peur, s’écria la marquise presque indignée, et je crois bien que tu vas me refuser… car j’ai quelque chose à te demander, ma fille. Quand le colonel va être mort et que vous serez partis, je serai seule ici-bas… j’avais espéré que tu me laisserais partir avec toi…

Valentine se redressa, et ses yeux, tout à l’heure si mornes, eurent un rayon.

– Partez avant nous, ma mère! dit-elle vivement, c’est une heureuse, c’est une chère idée que vous avez là; partez, je vous en prie, nous irons vous rejoindre.

Mme d’Ornans demeura étonnée et presque offensée. Elle ne pouvait pas saisir le vrai sens de cette parole qui jaillissait du cœur même de la jeune fille.

Celle-ci, en effet, voulait tout uniment l’écarter de la bataille prochaine. Cette longue journée de solitude avait abattu la double fièvre de ses espoirs et de ses terreurs.

Elle voyait le danger tel qu’il était et se sentait emprisonnée dans un cercle infranchissable.

En elle l’espérance n’était pas morte tout à fait, parce qu’elle aimait ardemment et que ce n’est pas seulement au point de vue des tendres aspirations qu’il faut dire: Il n’y a point d’amour sans espoir.

L’amour, le grand amour des jeunes années, l’amour qui rêve l’éternité des dévouements et des ivresses, implique tous les espoirs.

L’amour produit la foi, et c’est sa force, comme le rayon apporte la chaleur en même temps que la lumière.

Valentine espérait donc encore, mais c’était en la bonté de Dieu, car à bien regarder l’aventure inouïe qu’elle allait tenter, il n’y avait point de chances favorables à attendre, sinon celles qui naissent en dehors des calculs de la prudence humaine, et que les uns attribuent à la Providence, les autres au hasard.

Cela ne lui faisait pas peur ou du moins cela ne lui enlevait rien de la froide détermination qui permet au condamné de regarder fixement l’appareil du supplice.

Souvenons-nous, en effet, que ce vaillant découragement était le point de départ de toute sa conduite avant même sa dernière entrevue avec Maurice.

Souvenons-nous qu’elle n’avait pas présenté l’entreprise autrement à son fiancé et qu’elle lui avait dit: «Je ne veux plus de suicide, je veux que le crime de notre mort ne se place pas entre nous deux comme une barrière dans l’éternité.»

Mourir épouse, mourir dans un combat ou par le martyre, tel avait été son vœu exprimé.

Plus tard, si l’enthousiasme de sa nature intrépide avait fait naître et grandir en elle la pensée de vaincre, de vivre, de venger ceux dont elle aimait le souvenir, c’était en une heure de transport fiévreux.

Le cri qui s’échappait maintenant de son âme était donc tout miséricordieux; elle essayait d’arracher Mme la marquise d’Ornans au péril vers lequel, fatalement, elle marchait elle-même. Elle prétendait entrer seule dans cette maison minée et préserver à tout le moins les jours de la pauvre femme qui lui avait servi de mère.

Ce désir s’éveilla en elle si soudainement qu’elle fut sur le point de se trahir. Pour la réduire au silence, il fallut l’idée de Coyatier et la mémoire des mystérieuses promesses de cet homme, dont la perdition profonde avait des lueurs de repentir ou de générosité.

Elle avait cru au marchef, quand le marchef était là, devant elle; maintenant la figure du bandit lui revenait comme une sombre énigme.

Elle voulut lui laisser, pour le cas où son dévouement ne serait pas la suprême raillerie du destin, toute la possibilité d’action que donne un secret fidèlement gardé.

La marquise, certes, ne pouvait deviner tout cela; elle répéta, étonnée qu’elle était:

– Partir avant vous, ma fille! et pourquoi? Suis-je déjà de trop et ne pensez-vous point que j’aie le droit d’assister au moins à votre mariage?

– Vous avez le droit d’être partout où nous sommes, répondit Valentine, comme la plus respectée, comme la mieux aimée des mères, mais pourquoi partager sans nécessité les hasards d’une évasion? Maurice peut être poursuivi. Que je l’accompagne, moi, c’est mon devoir…

– Mon enfant, interrompit la marquise avec une certaine noblesse, tu étais trop jeune pour qu’il fût utile ou même convenable de t’initier à nos grands projets; tu ne t’es jamais doutée de rien, parce que la première qualité d’une femme politique est de savoir garder un secret. Ce n’est pas d’aujourd’hui que j’apprendrais à braver le danger. Ma pauvre fillette, j’occupe un rang bien important parmi ceux qui hâtent de leurs vœux et de leurs efforts la restauration du malheureux fils de Louis XVI. Je ne te reproche point de n’avoir pas su deviner mon caractère aventureux; j’ai accompli des missions difficiles et trompé bien souvent les plus fins limiers de l’usurpation; ce que j’ai fait pour un roi, ne puis-je le faire encore pour toi qui es désormais toute ma famille? Ne discutons plus, c’est une chose entendue, je pars avec vous, et qui sait? si la police nous inquiète en route, l’habitude que j’ai de ces sortes d’intrigues ne vous sera peut-être pas tout à fait inutile.

Elle baisa Valentine au front et reprit:

– Maintenant, chérie, nous n’avons plus que le temps. Je pense que tu te marieras en noir, comme tu es là? J’ai assisté dans ma jeunesse à un mariage clandestin, du temps des guerres de la Vendée; le jeune homme avait son costume de cornette dans l’armée catholique et royale; la jeune personne portait un simple fourreau de moire noire avec un voile de dentelle à l’espagnole. C’était très bien. De fleurs d’oranger, il n’en fut pas question. Du reste, tu sais que c’est tout uniment une affaire de conscience, comme la cérémonie de l’ondoiement qui précède un baptême forcément retardé; cela ne vous empêchera pas de vous marier une seconde fois, selon les rites de l’Église, aussitôt que les événements le permettront, et vous en prendrez même l’engagement formel vis-à-vis de M. Hureau, notre bon vicaire, pour la paix de sa conscience… Es-tu prête?