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– Elle, répondit Justin; mais c’est vrai, tu ne sais pas… leur fille… c’est terrible à penser! leur fille! et pourtant, ils sont autant au-dessus de moi que j’étais au-dessus d’eux il y a quinze ans. Moi, moi, je suis le dernier degré de la misère et de la honte. Moi, rien ne peut me racheter… il vaut mieux qu’elle soit leur fille, puisque je ne peux pas avoir de fille!

Médor écoutait, bouche béante, et comprenait à demi.

– Votre fille! dit-il, étouffé par son grand trouble; parlez-vous vraiment de votre fille, papa Justin?

– Oui, répliqua le malheureux, je parle de celle qui mourrait de honte et de douleur si quelqu’un lui disait en me montrant au doigt: tiens, regarde, voilà ton père. Ah! je me suis laissé vivre trop longtemps!

Médor l’aidait à se relever. En l’écoutant, il riait et il pleurait tout à la fois.

– Et, dit-il, respirant à chaque mot, vous savez où elle est, votre fille?

Il soutenait la tête de Justin à deux mains, de façon à bien voir sa figure.

– Oui, balbutia celui-ci, je sais où elle est.

– Mais regardez-moi donc, père Justin! s’écria Médor. J’ai peur de vous tuer, vous voyez bien… de vous tuer par trop de joie! Regardez-moi rire et pleurer! devinez un petit peu, pour que ça ne vous tombe pas comme un coup de massue…

Justin ouvrit les yeux tout grands.

– Quoi… Quoi? fit-il éperdu, haletant; est-ce que tu vas me parler d’elle?

– Oui, répondit Médor, je vas vous parler d’elle. Voyons, tenez-vous bien! Vous n’avez que quarante ans, que diable! vous êtes un homme!

– Parle, balbutia Justin qui défaillait, parle vite!

– Eh bien! dit Médor, vous n’avez pas besoin de chercher des parents pour l’enfant, allez. Si vous savez où est votre fille, tout est fini, car moi je sais où est sa mère.

Justin s’échappa de ses bras et se tint debout, dressé de toute sa hauteur pendant une seconde.

Puis il chancela et Médor s’élança pour le soutenir, croyant qu’il allait tomber à la renverse.

Mais Justin le repoussa encore une fois. Ses jarrets fléchirent; il s’agenouilla et mit sa tête entre ses mains.

– Lily! prononça-t-il d’une voix que Médor n’avait jamais entendue. Elle n’est donc pas morte! Est-ce que Dieu me donnerait cette joie de la revoir?

– Mais oui, mais oui, répondait toujours Médor, et vous avez supporté ça mieux que je ne pensais, papa!

Justin pleurait silencieusement pendant que Médor continuait:

– Elle est toujours belle, elle est toujours jeune; elle a un hôtel qui est un palais.

Les mains de Justin glissèrent, découvrant son visage livide. Il regarda Médor en face.

– Ah! fit-il, elle est belle, jeune, riche… et moi… moi! Si je la revoyais elle me verrait, cela ne se peut pas… j’aime mieux mourir avant.

Il se laissa choir la face contre terre.

Médor le considéra un instant d’un air découragé.

– C’est sûr qu’il s’est laissé glisser bien bas, pensa-t-il. Jamais ça ne redeviendra l’homme d’autrefois; mais si on pouvait retrouver seulement un petit coin de lui-même!

Il se remit à genoux auprès du chiffonnier et fit mine de le relever encore une fois, mais ses mains s’arrêtèrent avant de le toucher et il se dit:

– Ça n’en finirait plus. Vaut mieux s’asseoir sur le même canapé et se mettre à son niveau pour le remonter à la douce.

Médor ne craignait pas beaucoup la poussière. Il se coucha à son tour sur le carreau poudreux, de façon à placer sa tête tout contre celle de Justin, dont le front touchait la terre et disparaissait dans ses grands cheveux blancs.

Ils étaient posés ainsi comme deux voyageurs fatigués qui font halte, étendus tout de leur long sur la marge de la route.

– Je savais bien que ça vous ferait de l’effet, papa, reprit-il en donnant à sa voix des inflexions persuasives; moi, je suis comme vous, les jambes me flageolent parce que je sens bien qu’il va falloir donner un terrible coup de collier… et je ne sais pas si j’aurai la force.

Justin restait insensible et sourd. Médor approcha sa bouche tout auprès de son oreille et dit tout bas en détachant chacune de ses paroles:

– Si je suis seul, que voulez-vous que je fasse pour elle?

Justin eut un tressaillement faible qui parcourut tout son corps.

– Vous étiez un vaillant luron, un temps qui fut, reprit Médor. Si je n’avais qu’à marcher derrière vous, on pourrait encore venir à son aide.

Justin ramena son bras sous son front, et, ainsi soutenu, il répéta avec une fatigue profonde:

– À son aide?

Il ajouta presque aussitôt après:

– Elle est donc en danger?

– Voilà que ça va mieux, papa Justin! s’écria Médor. Je ne vous ai pas tout dit, ou plutôt je ne vous ai encore rien dit. Quand je vous aurai parlé de son mari…

– Son mari! répéta encore Justin.

Sa tête se retourna lentement et ses yeux mornes se fixèrent sur ceux de son compagnon.

– J’écoute, dit-il.

– Vous faites bien, papa. La pauvre femme a peut-être grand besoin de nous.

Justin le regarda toujours.

– Je ne sais pas si j’ai bien compris, balbutia-t-il; j’ai compris que Lily était mariée.

– Oui, fit Médor, mariée à un homme qui est un scélérat et qui me fait peur.

Justin appuya ses deux mains sur le carreau et se releva ainsi à demi.

Une flamme brilla dans ses yeux, puis s’éteignit, mais il prononça d’une voix distincte:

– Parle haut et clair. Je ne suis mort qu’à moitié: j’écoute.

XVI Justin s’éveille tout à fait

La figure du bon Médor exprimait le contentement et l’espoir.

– C’est vrai que vous n’êtes mort qu’à moitié, papa, dit-il, et encore parce que vous le voulez bien. Si on pouvait vous éveiller une bonne fois, tout irait sur des roulettes.

– J’écoute, répéta Justin gravement.

– Ah! ah! s’écria Médor, j’en ai long à vous dérouler. Je n’ai jamais jeté le manche après la cognée, moi; pendant que vous dormiez je cherchais. Voilà quatorze ans que je cherche sans m’arrêter. Je ne vous ai rien dit depuis tout ce temps, parce que ça n’aurait pas servi. Vous ne vouliez pas, quoi! mais aujourd’hui vous allez marcher, c’est mon idée, fi n’y a plus à reculer. D’abord et pour commencer, cet homme-là a dû être pour quelque chose dans le vol de l’enfant. Je me souviens. Je vois encore sa figure, et ça m’est toujours resté qu’il aurait pu arrêter la voleuse.

– De qui parles-tu? demanda Justin qui depuis bien des années n’avait pas eu ce regard lucide.

– Je parle du mari de la Gloriette, répondit Médor. Les yeux de Justin se baissèrent.

– Qui est cet homme? demanda-t-il encore.

– Un grand seigneur étranger, monsieur le duc de Chaves.

– Ah! fit Justin, un duc!

– Un vrai duc! et c’était à lui la voiture qui emmena madame Lily, le jour où vous revîntes à Paris.