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Ce matin, ceux qui avaient la bonté de faire attention à elle la trouvèrent plus pâle. Sur son joli visage il y avait quelque chose de languissant.

Après la messe finie, elle resta un instant absorbée dans sa prière d’action de grâces, puis elle rabattit son voile et gagna le bénitier.

Auprès du bénitier, un jeune homme très beau et très élégamment vêtu se tenait debout. Il n’y avait presque plus personne à l’église, mais, parmi les rares fidèles qui restaient, ceux qui étaient coutumiers du mignon péché de curiosité purent voir la jeune étrangère rougir, sous son voile, à l’aspect du brillant cavalier.

Rougir – et sourire.

Le cavalier trempa le bout de ses doigts dans la conque et offrit de l’eau bénite, en rougissant plus fort que l’inconnue elle-même, mais en souriant aussi. Leurs mains se touchèrent et ils firent ensemble le signe de la croix.

Ensemble ils sortirent.

Comme toujours, mademoiselle Saphir prit le chemin de l’esplanade et le cavalier marcha à ses côtés.

Les curieux, s’il y en avait aujourd’hui, durent s’étonner de ce fait: ils ne se parlaient point.

La jeune fille avait gardé son beau sourire, le jeune homme semblait souffrir d’un insurmontable embarras.

La route se fit ainsi jusqu’au bout de la rue Saint-Dominique. Là, mademoiselle Saphir s’arrêta et se tourna vers Hector de Sabran qui murmura, plus confus, plus timide que le jour où il l’avait vue pour la première fois, au théâtre, en compagnie de ses camarades du collège ecclésiastique du Mans:

– Allons-nous donc nous séparer déjà?

Au lieu de répondre, mademoiselle Saphir lui dit en lui tendant la main:

– Il y avait bien longtemps que je vous attendais.

Une expression de ravissement se répandit sur les traits d’Hector. Il cherchait encore des paroles et n’en trouvait point; il avait dans le cœur un vrai, un grand amour.

– Nous allons nous quitter, reprit Saphir sans lui retirer sa main, n’avez-vous rien à me dire?

– Vous êtes pâle, balbutia Hector, je vous trouve changée.

– C’est que je suis un peu malade, répondit-elle, depuis deux jours je ne danse pas.

Hector détourna les yeux.

– Je n’aurais pas dû vous parler de cela, fit-elle avec son charmant sourire, je pense bien que vous avez honte…

Mais Hector l’interrompit; la passion rompait la digue qui avait arrêté sa parole:

– Vous savez que je vous aime, prononça-t-il à voix basse. Les instants trop courts que j’ai passés près de vous à Fontainebleau sont toute ma vie. Je vous aime telle que vous êtes, et je ne respecte rien au monde autant que vous.

Saphir retira sa main. Il y eut dans son sourire une nuance de sarcasme.

– Pas même…, commença-t-elle.

Mais elle n’acheva pas sa phrase et dit doucement:

– C’est que je suis jalouse.

Hector aurait voulu s’agenouiller. Ce n’était pas le lieu. Saphir lui adressa un petit signe de tête comme pour prendre congé.

– Vous reverrai-je? demanda-t-il en tremblant.

– Je viens à la paroisse tous les matins à la même heure.

– Je voudrais causer avec vous, dit-il.

– Tous deux tout seuls, interrompit Saphir, comme là-bas, sous les grands arbres?

Il resta muet; elle ajouta en souriant:

– Moi aussi, je le voudrais.

Puis après une seconde de réflexion:

– Ce soir, dit-elle, à dix heures, derrière le théâtre, ma fenêtre s’ouvre à droite; venez, je vous attendrai.

Elle s’éloigna d’un pas gracieux.

Hector resta comme étourdi de son bonheur.

Ce fut leur seconde entrevue. Hector s’était senti moins timide, lors de la première, et il s’en étonnait.

Leur troisième entrevue, je vais la raconter.

Dix heures du soir venaient de sonner à l’horloge des Invalides. Sur l’esplanade presque déserte, quelques baraques s’obstinaient à faire tapage, appelant en vain les curieux clairsemés.

Le théâtre Canada, au contraire, était clos et muet. Une large bande, collée à la devanture, annonçait relâche par indisposition de mademoiselle Saphir.

Derrière le théâtre, il y avait un espace solitaire, encombré par les équipages de l’établissement Canada, et à droite duquel stationnait l’immense voiture qui servait de maison à la famille. Au centre de la voiture s’ouvrait une petite fenêtre carrée, au-delà de laquelle on voyait la lumière.

Hector parut au bout du passage étroit qui contournait la baraque et communiquait avec l’esplanade. Au moment où il se montrait, deux ombres qui étaient restées jusqu’alors immobiles, collées, pour ainsi dire, à l’une des roues de la maison Canada, se baissèrent et glissèrent sous la voiture, de l’autre côté de laquelle un homme attendait.

– Nous ne sommes pas seuls, ce soir, en chasse, dit une des ombres.

Une autre répondit:

– Pas d’imprudence! attendons et profitons.

Hector de Sabran avait traversé l’espace désert. Il n’eut pas besoin d’appeler. Au bruit léger de ses pas, une gracieuse figure de jeune fille se détacha en silhouette sur le fond clair de la fenêtre.

– Est-ce vous? demanda la jeune fille d’une voix contenue, mais qui ne tremblait pas.

– C’est moi, répondit Hector.

– Avez-vous bien vu s’il ne venait personne?

Le regard d’Hector interrogea tout ce qui l’entourait. Pendant qu’il avait le dos tourné, Saphir toucha le sol auprès de lui. Plus leste qu’un oiseau, elle avait sauté par la fenêtre.

– Venez, dit-elle en mettant un doigt sur sa bouche.

Elle se faufila entre les baraques et les voitures jusqu’à ce qu’elle eût trouvé un autre passage. Hector la suivait.

Mais une des ombres s’était détachée de la maison Canada et suivait à son tour Hector.

Sans s’arrêter, Saphir gagna le bosquet latéral qui est à gauche de l’esplanade, en descendant des Invalides. Elle le traversa dans toute sa longueur jusqu’au quai.

Les promeneurs étaient rares. La nuit très noire sentait l’orage et le ciel menaçait.

Saphir avait son costume sombre de ce matin; c’est à peine si on l’apercevait entre les arbres.

Arrivée à l’extrémité du bosquet, elle prit à gauche pour gagner l’allée tournante qui va de l’esplanade au Champ-de-Mars, en suivant le quai Billy.

Ce fut aux premiers arbres de cette allée qu’elle s’arrêta seulement. Elle jeta un long regard derrière elle et elle ne vit qu’Hector.

– Ordinairement, lui dit-elle, je suis brave, mais aujourd’hui je ne sais pourquoi j’ai peur.

– Même avec moi? demanda Hector.

– Surtout avec vous, répondit Saphir, et surtout pour vous. Oh! comprenez-moi bien, s’interrompit-elle, j’ai confiance en votre courage, en votre force, je vous ai choisi entre tous pour vous admirer et pour vous aimer… Mais si je vous perdais…