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– Chère, chère enfant! murmura Hector attendri.

– Je ne suis pas une enfant, dit-elle, j’ai essayé de vous fuir. Au lieu de venir au rendez-vous que je vous avais donné là-bas, j’allai loin, bien loin, mais votre souvenir me suivait; je vous cherchais, je relisais vos lettres. Et quand je voyais dans les livres, car je ne sais rien que par les livres, la distance qui nous sépare tous deux, moi, pauvre fille d’une caste méprisée… et ridiculisée, ce qui est plus cruel! – et vous si fier, si beau, noble, riche…

– Oui, dit Hector, je suis riche, et que Dieu en soit loué, puisque ma fortune est à vous!

– Je pensais, poursuivit Saphir comme si elle n’eût point pris garde à l’interruption, que vos paroles étaient celles de tous les jeunes gens, que vos lettres… Ah! c’est vous qui étiez un enfant quand vous écrivîtes ces lettres!

Hector voulut protester. Saphir poursuivit:

– Les livres n’apprennent pas tout, les livres frivoles que j’ai lus, mais ils enseignent du moins le gros de la vie. Non, non, moi, je ne suis plus une enfant; j’ai plus médité peut-être que les jeunes filles de mon âge appartenant au monde, je me disais souvent, très souvent: J’ai bien fait de fuir. Tout est contre moi. Ce serait folie à lui de me chercher, et comment me retrouverait-il? Nous sommes séparés à jamais.

«Et pourtant, je vous attendais tous les jours, s’interrompit-elle. Elle souriait, appuyée qu’elle était des deux mains au bras d’Hector.

Celui-ci contemplait en extase sa délicieuse beauté que l’ombre de la nuit faisait plus suave et presque divine.

Ils allaient lentement, serrés l’un contre l’autre. Les paroles se pressaient sur les lèvres d’Hector, mais il les retenait, écoutant avec ivresse cette voix qui descendait jusqu’au fond de son cœur.

– N’est-ce pas que vous avez toujours pensé à moi un peu? demanda-t-elle soudain avec une gaieté enfantine.

– Vous avez été le rêve de toute ma vie, répondit Hector.

– Si vous m’aviez oubliée tout à fait, murmura-t-elle, je l’aurais su, quelque chose me l’aurait dit. J’étais avec vous sans cesse, avec vous autrement que par la pensée… et tenez, j’ai été malade une fois, bien malade; ces bonnes gens qui m’aiment tant et que je continuerais d’aimer, quand même je deviendrais une princesse, crurent que j’allais mourir. J’avais vu par la fenêtre de ma chambre une fois que nous étions en voyage…

Elle s’arrêta pour le regarder fixement et reprit:

– Il n’y a pas bien longtemps de cela, c’était en venant à Paris, et depuis lors je ne me suis jamais bien guérie.

– Mais qu’aviez-vous donc vu? demanda le jeune comte.

– Vous le saurez, et il faudra me répondre franchement. Elle sentit sa main pressée contre le cœur d’Hector.

– Franchement, répéta-t-elle avec gravité; quand on me trompe, moi je devine, et j’aime trop pour ne pas être jalouse.

Hector cessa de marcher.

– Je suis encore bien jeune, dit-il, mais voilà deux ans déjà que je passe dans le monde, et les plaisirs de Paris ne me sont pas inconnus. Je n’ai jamais aimé que vous, et je n’aimerai jamais que vous. Je vous en prie, dites-moi ce qui causa votre chagrin.

– Pas maintenant, répliqua Saphir qui semblait toute rêveuse. Puis avec pétulance:

– J’ai fait ma première communion, dit-elle, on m’a donné un nom de sainte. Je songe à cela parce que je vois bien que vous hésitez à m’appeler Saphir.

– C’est vrai, balbutia Hector; mais n’en soyez pas offensée. Si vous saviez comme votre malheur ajoute à ma tendresse et grandit mon respect pour vous!

Quand il se tut, Saphir l’écouta encore.

– Chaque fois que je rêvais de vous, pensa-t-elle tout haut, vous me parliez ainsi. Pour ma première communion, ils me donnèrent le nom de la Vierge Marie: voulez-vous m’appeler Marie? Les lèvres d’Hector s’appuyèrent sur sa main.

– Marie! murmura-t-il, mon adorée Marie!

– Vous faites bien de me plaindre, reprit-elle, et pourtant ces bonnes gens ne m’ont pas rendue malheureuse, allez; je suis reine dans cette humble famille, et ce sont eux qui m’ont donné la première idée de ma naissance.

– Votre naissance? répéta Hector timidement.

– Oh! vous êtes bon, dit-elle d’un ton pénétré, vous ne riez pas, merci!

Puis, riant elle-même, mais avec une singulière tristesse, elle ajouta:

– Monsieur le comte Hector de Sabran, vous savez bien que toutes les filles trouvées comme moi se croient les enfants d’un prince et d’une princesse.

– Marie, chère Marie, s’écria Hector, pourquoi me parlez-vous avec cette amertume?

– Parce que, répondit-elle en baissant la voix, il y a un moment où mon rêve s’arrête. Je n’ai jamais pu aller au-delà. Je sais bien que vous m’aimez; pour le savoir, je n’ai pas eu besoin de l’entendre de votre bouche… mais vous êtes le comte de Sabran, et je suis mademoiselle Saphir.

Elle sentit sur sa main les lèvres d’Hector.

– Vous êtes mon amour, dit-il d’un accent plein de passion, vous êtes mon espoir et mon avenir tout entier. Ce que vous appelez votre rêve, c’est la réalité de notre vie. Rien ne l’arrêtera, ce rêve, je suis libre; mon père et ma mère sont morts.

– Ah!…, fit la jeune fille qui releva sur lui ses grands yeux pleins de larmes.

– Je suis libre, répéta Hector dont la voix s’animait; le monde est grand et il y a autre chose que l’Europe. Si vous craignez le passé de mademoiselle Saphir, Marie, un passé bien pur, mais qui, pour le vulgaire, pourrait être matière à raillerie, les biens de ma famille sont au Brésil. Dites un mot, je vous emmènerai, et nous creuserons ainsi l’abîme entre madame la comtesse de Sabran et celle que l’injustice du sort égara un instant si loin des brillants sentiers qui lui appartiennent.

Saphir ne répondit pas tout de suite; sa respiration était courte et pénible.

Dans le silence qui suivit et vers la partie de l’avenue qui tournait du côté de l’esplanade, ils entendirent tous deux un vague bruit.

Tous deux regardèrent. Ce pouvait être le vent, car les premières rafales d’un orage soulevaient en tourbillons la poussière et les feuilles sèches.

La nuit était de plus en plus sombre. On voyait seulement de distance en distance, sous les arbres, les pâles échappées de clarté qui venaient des becs de gaz.

Aussi loin que le regard de nos deux amants pouvait se porter, l’avenue était déserte.

– Vous ne me répondez pas, Marie? dit Hector au bout d’un moment.

– Je ne peux pas vous répondre, répliqua la jeune fille.

– Pourquoi?

– C’est mon secret, dit-elle avec un sourire mélancolique. Mais est-ce que j’ai un secret pour vous? Il y a deux choses dans mon existence, rien que deux, qui ont occupé uniquement ma pensée. Je devrais commencer par la première, mais vous êtes la seconde, Hector, et je ne sais plus laquelle tient en moi la plus grande place. Je ne vis que pour vous et pour ma mère.

– Votre mère! s’écria Hector, sauriez-vous!…

– Je ne sais rien, rien absolument, interrompit-elle. Il y a plus, ce que je prends pour de vagues souvenirs m’a été suggéré, sans doute après coup, par la seule personne qui se soit occupée de mon intelligence et de mon instruction. Écoutez-moi, Hector, je vous dois cela comme tout ce qui est à moi, puisque je me donne à vous sans réserve.