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N’ayant point reçu de réponse, il prit la rue des Ormeaux, qui mène au boulevard de Montreuil, et entra dans l’échoppe d’un marchand de bric-à-brac, au lieu dit «La Petite-Allemagne».

C’est là, sans contredit, un des plus curieux coins du Paris indigent.

Sur une longueur de cinq cents pas, depuis le Trône jusqu’au centre de Charonne, tous les chignons sont blonds, tous les jupons courts, tous les corsages lacés à l’alsacienne. On n’y parle point français. J’y ai vu des barbes pointues et des houppelandes pelées qui eussent fait honneur à la Judengasse de Francfort.

Le marchand de bric-à-brac était juif, jaune et maigre; sa femme était grasse, courte, blonde et juive. Il y avait dans la poussière, jonchée de débris, six ou huit enfants bien dodus qui grouillaient.

Saladin expliqua qu’il avait une vieille mère, dont il était le seul soutien. Fils pieux, mais peu favorisé sous le rapport de la fortune, il voulait remonter à peu de frais la garde-robe maternelle.

Ces juifs allemands sont très souvent de braves gens. L’homme maigre et la femme grasse furent touchés par la piété filiale de Saladin. Pour cinq francs, ils trouvèrent moyen de lui composer un trousseau complet qui ne valait rien, mais qui avait une sorte d’apparence. Il y avait surtout un béguin à voile bleu (la vieille mère de Saladin s’en allait aveugle) qui était une véritable trouvaille. Saladin fit du tout un paquet qu’il emporta sous son bras.

Il était dix heures quand il acheva son marché. Il faisait jour enfin chez ces sybarites de La Pie voleuse. Saladin entra dans la voiture et demanda monsieur Languedoc, grand premier rôle, ophicléide, régisseur et peintureur.

Ce dernier métier est double: il consiste à rechampir les décors et à faire des têtes aux artistes.

À l’aide de tous ces talents réunis, M. Languedoc gagnait de quoi maigrir, et depuis dix ans, il n’avait pas pu saisir l’opportunité de boucher les trous de sa redingote. Il était gai comme un pinson et plus généreux que Guzman.

– Ça va au Français et Hydraulique! s’écria-t-il en apercevant Saladin. La Canada a une chance de raté. Vous aviez six francs passés à la dernière d’hier, et nous n’avons eu que vingt-huit sous. La grêle! Je paye à déjeuner, si tu avances les capitaux, jeune homme.

Saladin jeta son paquet sur la table et répondit:

– Voici des effets qui m’ont coûté trente francs comptant. J’en ai besoin seulement pour aujourd’hui, qu’ils doivent me servir à pénétrer chez celle que j’adore, malgré la jalousie de son bourgeois qui me poignarderait s’il connaissait mon sexe. Demain, le tour sera joué. Je mettrai les hardes au clou et nous irons déjeuner à la Râpée. Fais-moi une tête analogue au costume.

Languedoc le regarda avec admiration.

– N’y a plus d’enfant! dit-il. C’est gredin avant d’avoir fait sa crue! est-elle calée, ta chacune?

– Mieux que ça! répliqua Saladin. Elle est nourrie dans le faste, linge fin, chaussure vernie, fiacre à l’heure et prisant du tabac à la rose!

– Alors, soupira Languedoc, elle va t’en payer un repas de corps, ce matin, petite racaille!

Tout en parlant, il avait atteint une boîte carrée et plate dont l’intérieur était divisé en une quantité de petits compartiments. Saladin s’assit sur le pied du lit et l’opération commença aussitôt.

La tête demandée était celle d’une brave femme de 45 à 50 ans.

Saladin fut d’abord coiffé avec la maladresse voulue; un œil de poudre grisonna ses cheveux; puis le pinceau joua, et l’estompe, et le pouce, et la houppe. Ce Languedoc n’était pas de l’école de Meissonier, il peignait à grands traits.

– Si c’était pour le soir, à la lumière, dit-il en se mettant au point pour juger l’effet, on pousserait à la couleur; mais pas de bêtise! Le jour, il faut ménager sa marchandise… Regarde voir si ça te va, petit.

Il mit dans la main de Saladin un tesson de miroir.

– Ça y est! s’écria celui-ci. Je reconnais ma tendre mère! aide-moi à m’habiller; le bourgeois de mon idole n’y verra que du feu!

Dix minutes après, madame Saladin, la mère, descendait le boulevard Mazas d’un pas tranquille et discret. Similor et Échalot l’auraient croisée sur le trottoir sans reconnaître en elle leur coupable fils qui se disait:

– Je vas manger deux sous de pain, et il me restera 60 centimes pour acheter du sucre d’orge à la petite. Ah! elle me trouve laid! Va bien! l’affaire mitonne.

C’était une maison de chétive apparence, située à une trentaine de mètres de l’angle formé par la rue Lacuée et la place Mazas. Tout ce quartier était alors en voie de reconstruction et l’angle lui-même, entouré d’une barrière en planches, attendait une bâtisse nouvelle.

Au troisième étage de la maison, il y avait une petite chambre, éclairée par deux fenêtres dont l’une s’ouvrait au levant, l’autre au midi. Comme aucun obstacle ne masquait ces croisées, la seconde regardait le Jardin des Plantes et toute une part du vieux Paris, la première voyait, par-dessus Bercy et Ivry, les campagnes riveraines de la Seine.

Tout était clair, net et propre dans cette chambrette où la pauvreté avait je ne sais quel air d’élégance. Petite-Reine dormait dans un berceau d’osier, entouré de rideaux blancs comme neige et qui cachait à demi la couchette de sa mère: un de ces lits en fer qui ont atteint, ce semble, le dernier degré du bon marché.

Une commode, une table de couturière et quelques chaises formaient l’ameublement. Tout cela souriait, inondé de gai soleil. Il n’y avait de triste qu’un meuble en bois de rose qui restait là, parlant d’un luxe évanoui, et faisant contraste avec tout ce qui l’entourait.

La Gloriette était levée depuis longtemps déjà. On le voyait à l’ordre établi dans le modeste ménage. Elle avait savonné des chemises, des collerettes, des bas mignons appartenant à Petite-Reine; les souliers de Petite-Reine étaient cirés et sa gentille toilette attendait, bien brossée.

Que disions-nous qu’il était triste le meuble en bois de rose! Il était joyeux plutôt et, certes, Lily ne regrettait rien en le regardant. C’était l’armoire de Petite-Reine, il contenait tous les objets à l’usage de l’enfant adoré qui était l’âme de cette demeure.

Ah! qui pourrait dire comme on la chérissait, comme on était follement fière d’elle, et heureuse, et facile à glisser sur la pente d’or des beaux rêves d’avenir!

Il y avait un deuil dans le passé, un grand amour brisé, une douleur que rien ne devait éteindre.

Mais supposez le cœur le mieux doué, vous y trouverez un battement qui domine. Chaque femme surtout a une corde qui vibre plus passionnément, un attrait, un élan supérieur à tous autres: une vocation dans la passion.

Celle-là est mère avant tout, celle-ci, avant tout, est amante.

La Gloriette était mère jusqu’au culte, jusqu’au délire.

Elle avait aimé Justin, elle avait pleuré Justin, son premier, son unique ami, mais ce berceau, cette allégresse, cette idolâtrie!

J’en ai vu qui restaient inconsolables et mornes à regarder l’enfant dont le père n’était plus; j’en ai vu qui regrettaient le père avec assez d’emportement furieux pour prendre l’enfant en horreur.