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Sa seconde pensée fut: je suis à l’hôtel de Chaves.

C’était une courageuse enfant. L’effort de son âme brisée cherchait déjà où se reprendre pour espérer ou pour combattre.

Les gens qui la portaient causaient.

– Doucement! dit l’un d’eux, celui qui semblait commander et qui tout à l’heure était avec elle dans le fiacre. Madame la duchesse est malade, elle doit avoir le sommeil léger, la moindre chose est que la nouvelle sultane favorite ne l’éveille pas en faisant son entrée à l’hôtel. Monsieur le duc ne voit pas plus loin que sa fantaisie; il traite le faubourg Saint-Honoré comme si c’était un trou perdu au fond du Brésil, mais moi qui suis un homme du monde, je veux au moins respecter les convenances.

– Ce n’est toujours pas la petite qui fera du bruit, dit un des porteurs; elle est comme morte.

– Il n’y a pas de ma faute, reprit le vicomte Annibal Gioja que le lecteur a sans doute reconnu dans le premier interlocuteur. Je l’aimerais mieux un peu plus émouillante, car monsieur le duc va nous revenir ivre comme un Polonais, et d’humeur détestable pour tout l’argent qu’il aura perdu, mais nous n’avons pas à choisir. Doucement! voici la porte de madame la duchesse.

Ils étaient montés par l’escalier de service de l’aile droite, et passaient naturellement devant l’entrée des appartements de madame de Chaves.

On fit silence; on écouta: toute cette portion de l’hôtel était silencieuse.

D’un regard perçant, Saphir, que l’on croyait évanouie, essaya de reconnaître le lieu où elle passait ainsi.

Nos hommes portaient de la lumière. Elle put voir toutes les particularités de la galerie, entre autre une lampe en bronze, de forme antique, qui pendait au plafond et dont la lueur achevait de mourir.

À l’autre bout du corridor s’ouvrait le logis particulier de M. de Chaves. C’était là que se rendaient les porteurs de notre belle Saphir.

S’il existait un instrument avec un nom finissant en mètre pour mesurer l’orgie habituelle et brutale, nous dirions que monsieur le duc, dans ces derniers temps, en avait atteint les plus bas degrés. Il avait déserté le cercle illustre où les gens à la mode ruinent leur bourse et leur vie. Le sauvage avait fini par dévorer en lui le gentilhomme, et Gioja avait raison quand il comparait sa vie aux barbares débauches des aventuriers de l’autre hémisphère.

Sans prétendre que Paris ne contienne pas quelques Parisiens de cette force, il est certain que nos Richelieu ont une autre tournure. Les petites maisons du dernier siècle, qui contenaient cinq cent mille écus de meubles et de tableaux sont généralement démolies, mais nos roués, plus économes, font du moins leurs farces en garni.

À Paris, le fait d’un homme qui souille son propre nid est regardé comme le symptôme de la dernière décadence.

Monsieur le duc n’était pas plus de Paris que les jaguars mexicains enfermés dans leurs cages au Jardin des Plantes.

Son appartement, très riche et orné à la créole, avait une couleur et des parfums énergiquement exotiques et rappelait le luxe grossier des aventuriers de l’Amérique espagnole.

Il y avait beaucoup d’armes, surtout des armes du Mexique. Monsieur le duc avait été là maintes fois jouer ces homériques parties où chacun abrite son or derrière un couteau dégainé. Vous eussiez reconnu chez monsieur le duc tous les engins dont le nom fait si bien dans les récits du Nouveau Monde: le bowie-knife, fabriqué dans les États de l’Union, ainsi que le rifle et le revolver-Colt, auprès du mince poignard portugais et de cet instrument hideux, la sanglante machette.

Au moment où Gioja et ses compagnons entraient chez monsieur le duc, la chambre à coucher était vide, mais derrière les draperies légères d’une galerie régnante qui rappelait l’éternelle véranda des habitations tropicales, on voyait deux nègres de stature athlétique, étendus sur des nattes et dormant.

Ils portaient la livrée de Chaves. Au bruit que fit la porte en s’ouvrant, ils se relevèrent sur le coude et leurs yeux blancs brillèrent au milieu de leurs faces d’ébène.

Les porteurs de Saphir la déposèrent sur le lit.

– Ici! dit Gioja.

Les deux Noirs se levèrent aussitôt. C’étaient des animaux magnifiques qui s’appelaient Saturne et Jupiter, comme des planètes ou des dieux.

Gioja leur parlait comme à des chiens.

– Allez chercher Son Excellence, leur dit-il, et dites-lui ce que vous avez vu.

– Maître battra, gronda Saturne.

Gioja leva une grosse canne qu’il tenait à la main.

Les deux nègres courbèrent l’échine et se dirigèrent vers la porte.

– Si maître ne peut pas marcher, ajouta Gioja en contrefaisant leur langage, vous l’apporterez.

En France, il n’y a point d’esclaves: Jupiter et Saturne étaient des hommes libres.

Dès qu’ils furent partis, le vicomte Annibal prit la lampe qui était sur la table et s’approcha du lit pour éclairer le visage de Saphir.

Ils étaient là quatre coquins fort bien vêtus. Leur emploi nécessite une certaine toilette, et, dans la gamme de l’ignoble, leurs visages n’ont pas le même genre de bassesse que les visages des simples bandits.

Il y a en eux du maquignon et de l’expert en œuvres d’art.

L’admirable beauté de la jeune fille, soudainement illuminée par l’éclat de la lampe, leur sauta aux yeux comme un éblouissement.

Ils eurent ce petit cri discret et pieux du dilettante, saluant l’apparition de la diva.

– Ah! firent-ils à l’unanimité, morceau de roi! combien?

Gioja cligna de l’œil.

– Autant d’or et de billets de la Banque de France, répondit-il, que nous pourrons en emporter à nous quatre dans nos poches, sous nos chemises, dans les formes de nos chapeaux, dans nos mouchoirs et dans des serviettes: il y a en bas trois millions cinq cent mille francs qui sont à nous.

Les regards avides des trois compagnons du vicomte demandaient une explication.

Gioja se rapprocha de Saphir et passa par deux fois la lumière de la lampe au-devant de ses yeux.

– Une belle statue de marbre! murmura-t-il.

Aucun muscle du visage de la jeune fille n’avait en effet tressailli.

– Elle se gardera elle-même, ajouta le vicomte Annibal en reposant la lampe sur la table, monsieur le duc se chargera de l’éveiller. Nous avions besoin d’elle pour entrer dans la place, maintenant notre besogne est ailleurs.

Il marcha vers la porte et les autres le suivirent. Le dernier coupa une bougie et la mit allumée dans sa lanterne.

Ils traversèrent les corridors à pas de loup et descendirent l’escalier de service situé du même côté que le pavillon en retour, où madame la marquise de Rosenthal faisait sa résidence.

Pendant qu’ils descendaient, ils purent entendre le bruit de la porte cochère, ouverte à deux battants et une voiture roulant sur le pavé de la cour.

– Déjà Son Excellence! s’écria Gioja. Il faut nous hâter, mes braves. Du reste, vous serez traités en enfants gâtés; on a enlevé tous les cailloux de votre route. Les deux caissiers brésiliens ont bu ce soir des grogs qui leur donneront de beaux rêves, jusqu’à ce qu’on les éveille à coups de bâton.