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Lily, pendue ainsi au cou de la jeune fille, et baignant son regard dans ses grands yeux bleus fixés sur elle avec des larmes, balbutiait:

– C’est toi, cette fois! je t’ai si souvent revue! c’est toi, mais bien plus belle!… Oh! je suis éveillée et j’ai ma fille sur mon cœur!

– Puissiez-vous dire vrai, madame, répliqua Saphir, car toute mon âme s’élance vers vous. Mais je viens vous parler d’Hector qui est peut-être en danger de mourir.

La duchesse ne comprenait point. Saphir se dégagea de ses bras et courut vers le secrétaire ouvert où il y avait des plumes, de l’encre et du papier.

Elle écrivit rapidement deux lignes.

«Cher père et chère mère, rassurez-vous je suis sauvée. Un autre reste en péril; prenez avec vous nos hommes et courez dans l’avenue du quai d’Orsay; à la hauteur du pont de l’Alma, vous trouverez un blessé et vous lui donnerez votre l’aide pour l’amour de moi.»

– Hector blessé! dit la duchesse qui lisait par-dessus son épaule. Saphir pliait déjà la lettre. Elle sonna elle-même.

– Vous allez envoyer sur-le-champ, madame, dit-elle, une personne sûre.

– Si nous allions!… commença Mme de Chaves.

– Nous irons… ou du moins j’irai, car vous êtes bien faible, mais il faut envoyer d’abord.

Une femme de chambre se présentait. Saphir la regarda en face.

– Celle-ci est dévouée, n’est-ce pas! demanda-t-elle à madame de Chaves.

La duchesse répondit:

– Je suis sûre d’elle.

L’instant d’après, Brigitte partait en courant avec les instructions précises qui devaient lui faire trouver le théâtre Canada. Elle avait ordre d’éveiller, en passant dans la cour, le cocher de madame la duchesse et de faire atteler.

XXI Un vieux lion qui s’éveille

Tout cela n’avait pas pris cinq minutes. La duchesse et Saphir, seules de nouveau, étaient assises l’une auprès de l’autre sur le canapé où, l’avant-veille, mademoiselle Guite avait ronflé.

Madame de Chaves voulait savoir par quel miracle Saphir était en ce lieu, à cette heure, mais elle voulait savoir tant d’autres choses! Chaque fois que la jeune fille commençait son récit une pluie de baisers l’interrompait.

La duchesse était guérie, la duchesse était folle de joie; elle comparait avec triomphe les transports croissants de sa tendresse, aux hésitations qui l’avaient prise si vite en présence de l’autre.

Elle parlait de l’autre à Saphir qui ne pouvait pas la comprendre, puisqu’elle ignorait toute l’histoire de mademoiselle Guite.

La duchesse interrogeait, elle coupait les réponses, elle remerciait Dieu, elle riait, elle pleurait, elle faisait envie et pitié. Sa beauté avait des rayons. On n’eût point su dire laquelle de Saphir ou d’elle était belle le plus admirablement.

– Je ne t’empêcherai jamais de les voir, ces braves gens, disait-elle. Ce n’est pas assez, cela; ils demeureront avec nous, ils seront toujours ton père et ta mère… et figure-toi que j’étais allée avant-hier soir avec Hector pour te voir danser. Quelle providence qu’Hector ait pu te rencontrer, t’aimer!

Et comme une larme, à ce nom, venait aux yeux de la jeune fille, madame de Chaves la sécha à force de baisers.

– Ne crains rien, ne crains, rien! dit-elle; Dieu est avec nous maintenant! il ne voudrait pas mettre une douleur parmi tant de joie. Nous allons retrouver Hector… l’aimes-tu bien?

Ceci fut murmuré d’une voix jalouse déjà. Elle sentit les lèvres froides de Saphir sur son front et la serra passionnément contre sa poitrine.

– Tu l’aimes bien! tu l’aimes bien! dit-elle. Tant mieux! si tu savais comme il t’aime, lui! J’étais sa confidente, et je le grondais d’adorer comme cela une… oh! je puis bien dire le mot, maintenant: une saltimbanque. Il me semble que je t’aime plus profondément à cause de cela… je ne t’aurais jamais vu danser, moi, car tu ne danseras plus… Mais tu l’aimeras mieux que moi, n’est-ce pas? il faut se résigner à cela.

– Ma mère! ma mère, murmurait Saphir, qui l’écoutait avec ravissement.

Je ne puis mieux exprimer la vérité qu’à l’aide de cette parole: Saphir écoutait madame de Chaves comme les mères écoutent le babil désordonné des chers petits enfants.

Les rôles étaient retournés. Madame de Chaves était l’enfant; il y avait en elle, à cette heure, l’allégresse turbulente du premier âge. Elle ne se possédait plus.

– Je vais être bien jalouse de lui, dit-elle, c’est certain. Heureusement qu’il était comme mon fils avant cela, je tâcherai de ne point vous séparer dans mon amour.

– Mais, s’interrompit-elle joyeusement, tu as donc été jalouse aussi, chérie? jalouse de moi, ce jour où nous nous rencontrâmes sur la route de Maintenon?

– Je vous avais vue si belle, ma mère!… commença la jeune fille.

– Tu me trouves donc belle! interrompit encore la duchesse. Moi je ne saurais pas dire comment je te trouve. Tu ressembles…

Elle allait dire: «à ton père», mais n’acheva pas et un voile de pâleur descendit sur son visage.

– Écoute, fit-elle mystérieusement, tout à l’heure, dans cette lettre qui me parlait de toi, je croyais reconnaître son écriture. Mais, se reprit-elle, que vais-je dire là? Je perds la tête tout à fait. Comment me comprendrais-tu, puisque tu avais un an à peine. Tiens, regarde, te voilà!

Elle s’était levée plus pétulante qu’une vierge de seize ans et avait été chercher dans son livre d’heures la photographie envoyée par Médor.

Elle l’apporta, disant avec le rire franc des heureuses:

– Regarde, regarde! te reconnais-tu? Saphir était émue et toute sérieuse.

– Je ne reconnais que vous, ma mère, dit-elle en portant le portrait à ses lèvres. Mais il y a en moi un trouble étrange, une fatigue que je ne saurais définir: c’est comme si ma mémoire comprimée allait éclater. Il me semble que je me souviens… mais non! J’ai beau faire, je ne me souviens pas. Aujourd’hui comme autrefois je suis ce nuage bercé entre vos bras bien-aimés.

Madame de Chaves l’attira doucement contre son cœur et, baissant la voix jusqu’au murmure, elle dit:

– Tu avais autrefois…

Elle s’arrêta, presque confuse, et Saphir rougit dans un délicieux sourire.

– Comment donc l’autre avait-elle fait? pensa tout haut madame de Chaves qui ajouta:

«Tu sais bien de quoi je parle, le signe?

– Ma cerise… dit tout bas Saphir, dont les cils de soie se baissèrent. Elles riaient toutes deux avec un trouble où il y avait une ineffable pudeur.

– Je suis juge, dit madame de Chaves gaiement, et j’examine ton acte de naissance. C’est un interrogatoire, mademoiselle… de quel côté?

– Ici, répliqua Saphir en posant le bout de son doigt rose entre son épaule droite et son sein.

Madame de Chaves effleura ce doigt d’un baiser, et dit si bas que Saphir eut peine à l’entendre:

– Je veux voir.

– Et je veux que tu voies, répondit la jeune fille, qui la tutoyait pour la première fois.