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La Gloriette disait:

– Justine! ne te cache plus, je t’en prie! je sais bien que tu es là, mais je ne veux plus jouer. C’est un jeu cruel. Réponds-moi, où es-tu?

Elle dérangeait chaque enfant l’un après l’autre, et ceux-ci la regardaient, ébahis, avec des larmes dans les yeux.

Ils avaient compassion instinctivement, parce qu’elle les suppliait à mains jointes.

– Mes petits, mes petits, priait-elle avec un sourire qui mendiait une consolation, laissez-moi voir ma chérie. Je sais bien qu’elle n’est pas perdue, mais… mais voyez-vous, je n’ai plus la force de jouer!

Il y eut un enfant qui répondit:

– Cherchons!

Et le troupeau s’éparpilla, tournant autour des arbres, quêtant, furetant, appelant:

– Petite-Reine! Petite-Reine!

Médor laissait faire, il semblait anéanti.

Madame Noblet, au milieu du groupe, détaillait le signalement de Justine, mais chacun répondait:

– Nous connaissons bien Petite-Reine!

Et beaucoup partaient, les bonnes âmes, pour fouiller le jardin de bout en bout. D’autres arrivaient: le bosquet était plein, l’allée aussi. Le nom de Petite-Reine allait et venait par la foule.

Tous l’aimaient et disaient à ceux qui ne l’avaient jamais vue, sa gentillesse, sa grâce et la mignonne vivacité de ses reparties. Tout à l’heure encore on l’avait applaudie, sautant à la corde, comme si on eût été au théâtre.

Et sa mère qui en était si fière! si folle! sa mère qui, à cause d’elle, s’appelait la Gloriette!

On se la montrait de partout. Elle ne pleurait pas. On devinait bien qu’elle avait un coup au cerveau.

Je ne sais comment dire cela: elle était belle, à l’adoration, là-bas, tout isolée au milieu des groupes qui semblaient craindre son approche, tant il y avait de douleur terrible, navrante, prête à faire explosion sous l’apparente sérénité produite en elle par l’engourdissement moral.

Elle avait l’air d’une dame; on n’avait jamais si bien remarqué cela qu’aujourd’hui, et pourtant ce n’était qu’une pauvre ouvrière. Sa fille était tout son bien, tout son cœur: elle n’avait au monde que sa fille.

Elle ne parlait plus. Elle regardait la foule avec une sorte d’indifférence; seulement ses doigts tremblants touchaient son front et dénouaient peu à peu ses cheveux, qui tombèrent bientôt en boucles mêlées sur ses épaules.

Il y avait un homme au visage bronzé, encadré dans une barbe noire épaisse, qui se tenait à l’écart et suivait d’un œil fixe tous ses mouvements. Cet homme semblait de marbre, tant son immobilité était complète. Nous l’avons vu déjà par deux fois, au théâtre forain et dans le coupé qui stationnait au coin du boulevard Mazas lors du départ de la Gloriette et quand la Gloriette était montée en omnibus, c’était lui qui avait dit au cocher: Suivez.

Depuis le départ de Justin, la Gloriette n’en était plus à compter ceux qui avaient essayé en vain de s’approcher d’elle. À supposer que celui-ci fût un amoureux, il ne ressemblait point aux autres qui parlent, qui s’insinuent, qui osent. Il était muet.

La Gloriette rencontrait souvent sur son chemin sa figure régulière et sombre, mais elle ne connaissait pas le son de sa voix.

Elle se tourna enfin vers madame Noblet qui lui dit au hasard:

– On la retrouvera! jamais rien de pareil ne m’est arrivé.

– Oui, oui, fit Médor, qui secoua ses cheveux hérissés, comme s’il se fût éveillé tout à coup, je promets bien qu’on la retrouvera!

Lily revint sur le banc et s’y assit, les mains croisées sur ses genoux. De toutes les parties du Jardins des Plantes, les curieux affluaient maintenant. La perte d’un enfant est malheureusement chose peu rare dans les promenades parisiennes; il n’y a pas toujours voclass="underline" l’incurie proverbiale des bonnes et les distractions que leur apportent leurs galants civils et militaires causent des alertes fréquentes.

Il n’est guère de semaines sans qu’on rencontre aux Tuileries quelque rougeaude, essoufflée à force de courir et qui demande aux gens si l’on n’a pas vu Alfred ou Emma, qui s’est perdu.

Le public est très sévère en ces circonstances, et il a raison. La faute de la bonne est invariablement mise sur le compte de «son soldat». Ce n’est pas toujours juste, mais c’est juste beaucoup trop souvent.

On nous a dit que des mesures disciplinaires avaient été prises pour modérer la fougue de ces vaillants cœurs à qui la paix laisse trop de loisirs. Si les mesures n’ont pas été prises, il faudrait les prendre.

La liberté d’action de chacun est chose sacrée; mais d’autre part, certains jeux sont défendus au nom de la morale ou dans l’intérêt de la sécurité générale. Au nom de la sécurité et de la morale, il faut dénoncer ce jeu qui met de si vilains tableaux sous nos marronniers et qui constitue un danger permanent pour les familles.

Ici, rien de semblable ne s’était produit; madame Noblet, par son âge, était au-dessus des séductions, et pourtant, d’un bout à l’autre du bosquet, les groupes répétaient la légende de la Picarde, amusée par son voltigeur, pendant que l’enfant confié à ses soins est entraîné Dieu sait où. La caricature a essayé de provoquer le rire à l’aide de cette terrible histoire de Mars, changé en chenille et infestant nos jardins.

Paris ne demande jamais mieux que de rire, mais il n’est pas désarmé pour cela.

Soyez sûrs que la rancune inexplicable contre l’armée qui apparaît chez nous à de certains moments n’est pas sans connexion avec ces misères. Le bouillon du sapeur, grenadier déclarant sa flamme pendant que le marmot crie et pleure à plat ventre sur le sable, ce ne sont pas là des plaies bien profondes, n’est-ce pas? c’est du moins une irritante démangeaison qui s’attaque justement à des épidermes très susceptibles. Les mères de famille et les maîtresses de maison n’aiment pas jouer des rôles de Prussiennes dans cette parodie de la comédie du pays conquis.

Ceux qui professent pour l’armée affection et respect voudraient voir l’armée elle-même appliquer un remède quelconque à de si burlesques maladies.

Il y avait cependant un fait bizarre: de tous les gens directement intéressés à retrouver Petite-Reine, personne ne bougeait, madame Noblet mettait en rang le troupeau consterné, Médor restait immobile à regarder la Gloriette, et celle-ci, courbée en deux, l’œil à demi fermé, semblait incapable d’agir et même de penser.

Les gardiens arrivaient, et ceux qui s’étaient chargés d’aller aux grilles revenaient l’un après l’autre. Les factionnaires n’avaient rien remarqué.

Lily leva les yeux, parce que le nom de Petite-Reine fut prononcé près d’elle par ceux qui donnaient des renseignements aux gardiens.

– Elle est cachée, dit-elle doucement, elle se met comme cela derrière les arbres pour me faire des niches.

Le fossile se leva et s’en alla. On le vit tirer son mouchoir pour s’essuyer les yeux. C’était poignant. Médor dit avec un sanglot:

– Si on ne retrouve pas la petite ce soir, celle-là sera morte demain.

– Quelqu’un connaissait-il la femme qui a tourné la corde? demanda tout à coup une voix dans la foule.