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Madame Noblet frémit et Médor sauta sur ses pieds.

– Après? fit-on de toutes parts.

Celui qui avait parlé sortit des rangs, mais il n’ajouta rien, sinon ceci:

– Elle avait méchante mine, c’est sûr!

Un des enfants dit:

– Elle a donné un sucre de pomme à Petite-Reine.

Et un autre:

– Quand les soldats ont foncé pour aller aux paysannes, la femme a embrassé Petite-Reine et lui a encore donné un bonhomme de pain d’épice. Petite-Reine était bien contente; elle a dit à la femme: mène-moi voir les communiantes.

En trois coups de coude, Médor perça le cercle formé par la foule. On le vit courir lourdement mais de toute sa force dans l’allée Buffon.

Un des gardiens prit par écrit le signalement de Petite-Reine et celui de la femme qui avait tourné la corde, puis il indiqua à madame Noblet la série de démarches à faire pour mettre la police sur les traces de l’enfant.

– Mais, ajouta-t-il, ce n’est pas en restant comme ça, les bras croisés, que vous la retrouverez, non!

– Parbleu! firent vingt voix, et c’est de drôle de monde tout de même!

– J’ai mes autres petits… balbutia madame Noblet pour s’excuser.

– Mais la mère! que diable! quand on a perdu son enfant…

Les yeux de Lily tombèrent par hasard sur celui qui allait parler.

Il eut froid dans les veines et se tut, en reculant de plusieurs pas.

– Moi d’abord, dit une grosse femme qui portait un chien dans ses bras, je n’ai jamais eu d’enfants, mais je ne les aurais pas donnés à garder à une promeneuse!

– Ah! s’écria madame Noblet avec désespoir, je sais quel tort cette histoire-là va faire à mon commerce!

Elle jeta à Lily un regard où il y avait de la rancune et ajouta:

– Voyons, ma bonne dame, remuons-nous un peu! Vous devriez être déjà chez le commissaire.

Lily ne bougea pas. De ses deux mains qui étaient blêmes comme des mains de morte, elle rejeta ses cheveux en arrière et dit tout bas:

– Tout ce monde lui fait peur et m’empêche de la voir… Je sais bien qu’elle n’est pas perdue.

Un travail mental se faisait en elle pourtant, car le cercle bleuâtre qui entourait ses yeux devenait plus profond, et par intervalles, une sorte de grelottement agitait tout son corps.

Au bout d’une minute, elle se mit sur ses pieds avec effort et marcha droit devant elle, toute chancelante. Les gens s’écartaient pour la laisser passer, et je ne sais pourquoi sa merveilleuse beauté, prenant un caractère enfantin par le voile qui était sur son intelligence, rappela plus énergiquement à tous, en ce moment, Petite-Reine perdue.

– Comme elle lui ressemble! balbutia madame Noblet, au milieu d’un murmure composé de cent voix qui échangeaient des paroles à voix basse.

Tout est spectacle à Paris. C’était ici un spectacle étrange et qui ne rappelait en rien les scènes analogues. Il n’y avait ni grand mouvement, ni pleurs, ni cris, mais toutes les poitrines étaient oppressées. Et depuis que Lily avait quitté son banc, une douloureuse curiosité se peignait dans tous les regards.

Ceux qui connaissaient Petite-Reine redisaient à satiété comme elle était belle et douce, et riante, quel enchantement c’était que de la voir jouer sous les arbres, entourée d’enfants qui semblaient ses sujets et ses courtisans.

Certes, Lily n’entendait pas. Elle allait comme si elle eût essayé d’étouffer le faible bruit de ses pas pour surprendre quelqu’un. Un sourire où il y avait de l’espièglerie entrouvrait ses lèvres décolorées.

Je l’ai dit et je le répète: c’était navrant, mais d’une autre façon que l’angoisse ordinaire.

Elle n’alla pas bien loin. Elle s’arrêta au premier arbre qui se trouva sur son chemin et s’y appuya.

Puis, ainsi soutenue, elle en fit le tour vivement.

Ce n’était pas de l’espoir qui éclairait son visage, c’était comme une certitude de voir derrière l’arbre ce qu’elle cherchait.

Quand elle vit que, derrière l’arbre, il n’y avait rien, elle secoua la tête lentement et reprit sa marche vers l’arbre suivant.

Le silence s’était fait. On voyait des gens qui pleuraient.

Rien encore derrière le second arbre. Lily toucha son front et appela d’une voix chevrotante:

– Justine, ma petite fille!

Mais elle ne se découragea point et continua sa route vers le troisième arbre.

En marchant, elle dit avec des pleurs dans la voix:

– Je t’assure que je ne veux plus jouer, Justine… quand je souffre tu m’obéis toujours.

Au pied du troisième arbre, l’homme au visage bronzé était debout. Ceux qui suivaient Lily le remarquèrent, plus pâle qu’elle et le regard cloué sur elle comme s’il eût subi une fascination.

À l’approche de la jeune femme, il se retira pas à pas, à reculons, sans cesser de la regarder.

Elle atteignit l’arbre, elle chercha derrière; elle se laissa aller, accroupie et disant:

– Je ne veux plus jouer, je ne veux plus jouer… ah! que je souffre!

À ce moment, Médor, lancé comme un boulet de canon, perça la foule de nouveau. Il était baigné de sueur.

Il se rua sur l’homme au teint de bistre qui regardait Lily d’un œil égaré, et le saisit au collet avec violence, en criant:

– C’est lui! le factionnaire l’a reconnu! Il a parlé à la voleuse d’enfants! Si personne ne m’aide à l’arrêter je l’arrêterai tout seul!

VIII La foule

Médor s’appelait de son nom Claude Morin. Il n’en était pas plus fier, attendu que cette étiquette lui avait été fournie par l’administration de l’hospice des Enfants trouvés.

Il était bon chien de berger; peut-être n’aurait-il point su faire autre chose. On lui donnait chez mère Noblet quinze sous par jour et le déjeuner. Le soir, il travaillait en chambre et gagnait encore cinq sous à piquer des bretelles. C’était juste son loyer. Sa chambre lui appartenait en propre; il louait seulement le terrain, au sixième étage d’une maison de la rue Moreau, entre deux toits, dans les plombs.

Sa chambre était une ancienne stalle d’écurie des Arènes nationales, où il avait été balayeur. Il l’avait eue à bon compte, lors de la vente; il l’avait montée, couverte, installée, meublée, cramponnée; il y tenait, ainsi qu’à son ménage, comme tout homme établi tient à son avoir.

Quand on parlait devant lui d’embellir la ville et d’exproprier des immeubles, il devenait sombre; il avait peur d’être démoli.

On ne lui connaissait d’amitié que pour sa chambre, et il ne souriait jamais qu’à Petite-Reine.

Lorsqu’on avait fait allusion, tout à l’heure, à la femme inconnue qui s’était offerte si obligeamment pour tourner la corde, Médor avait été frappé d’un trait de lumière. Ce n’était pas assurément un observateur, mais il avait l’instinct, et au moment où il prit sa course à travers la foule, il était sûr de tenir la piste de la voleuse d’enfants.

La figure de cette femme se représentait à lui de plus en plus suspecte, à mesure qu’il interrogeait sa mémoire. Médor ne savait même pas qu’on pût «se faire une tête», mais les tons bizarres et violents de ce teint, les rides farineuses, tout ce que le voile du béguin laissait entrevoir lui sauta aux yeux par souvenir, bien mieux que dans la réalité même.